31 juillet 2017

[Abbé Christian Gouyaud - La Nef] Réflexions sur l’avenir des communautés Ecclesia Dei

SOURCE - Abbé Christian Gouyaud - La Nef - juillet-août 2017

Quel avenir pour la mouvance Ecclesia Dei ? L’un des facteurs qui invite à la réflexion est la possible réintégration de la Fraternité Saint-Pie X dans la pleine communion ecclesiale.
  
On parle de « mouvance Ecclesia Dei » car il s’agit d’une réalité polymorphique : communautés religieuses, sociétés de vie apostolique de droit pontifical, prêtres diocésains isolés ou constitués en associations cléricales. Certaines de ces communautés sont des dissidences de la Fraternité Saint-Pie X (Fraternité Saint-Pierre, Institut du Bon Pasteur), d’autres étaient liées à la Fraternité Saint-Pie X jusqu’en 1988 (le Barroux), d’autres ont toujours été indépendantes de cette Fraternité (Fontgombault, Dominicaines du Saint-Esprit, Chanoines réguliers de la Mère de Dieu) tandis que d’autres encore viennent d’un horizon différent (Fraternité Saint-Vincent Ferrier) ou, fondées après 1988, développent une spiritualité propre (Institut du Christ Roi). L’insertion diocésaine peut être mise en valeur (Missionnaires de la Miséricorde divine, Association Totus tuus). N’oublions pas les laïcs présents dans ce créneau par leurs publications, éditions, écoles, etc.
  
Ces réalités ecclésiales se réfèrent toutes au Motu proprio Ecclesia Dei du 2 juillet 1988, qui demandait aux évêques d’appliquer de façon large et généreuse les concessions des traditions liturgiques antérieures accordées en 1984, concessions qui sont d’ailleurs devenues un véritable droit reconnu à partir du Motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007. Au plan canonique, certaines de ces communautés relèvent du Saint-Siège, via la Commission pontificale Ecclesia Dei ou via la Congrégation pour les Instituts de Vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique ; d’autres sont de droit diocésain. Le ministère proprement dit s’exerce d’ailleurs toujours sous l’autorité de l’Ordinaire du lieu.
  
Ces communautés, pour nous focaliser sur elles, ont maintenant leur histoire propre, valorisent leur charisme spécifique. Certains parmi leurs membres ont voulu accueillir positivement les enseignements conciliaires selon la fameuse « herméneutique de la réforme dans la continuité de l’unique sujet-Église » ; d’autres donnent un assentiment minimal à Vatican II et préfèrent se référer à un moment donné de la théologie de l’Église. Certains excluent de célébrer la forme ordinaire du rite romain tandis que d’autres l’acceptent en pratique. La mosaïque – plus que la nébuleuse – Ecclesia Dei dans son ensemble manifeste une vitalité certaine au plan vocationnel, en comparaison notamment du nombre de séminaristes dans les diocèses. S’il est difficile de donner des chiffres, on peut estimer qu’en France, la couverture du terrain (prêtres, fidèles, églises, écoles) par la mouvance Ecclesia Dei est au moins aussi importante que celle de la Fraternité Saint-Pie X qui bénéficiait pourtant d’une avance de vingt ans. Ce qui signifie concrètement que la Fraternité Saint-Pie X, près de trente ans après les sacres de 1988, n’a plus le monopole pastoral dans ce créneau.
  
Voici donc deux courants qui convergent apparemment dans la manière de célébrer le sacrifice eucharistique mais qui sont assez fondamentalement dissemblables dans leur rapport aux évêques et au Magistère actuel, dans la conception qu’ils se font de la mission de l’Église dans le monde de ce temps.
  
Il me semble d’abord clair que la mouvance Ecclesia Dei n’est pas soluble dans la figure canonique dévolue, selon ce qui se profile, à la Fraternité Saint-Pie X. Personne, à mon avis, de part et d’autre ne le souhaite. L’histoire chargée de vicissitudes de ces presque trente années de séparations douloureuses et de développement parallèle ne permet pas d’envisager une (con)fusion irénique. Peut-être simplement certains membres d’instituts Ecclesia Dei, voire quelques prêtres diocésains, qui n’avaient à objecter à la Fraternité Saint-Pie X que son déficit de statut canonique, iront-ils au bout de leur cohérence si la société fondée par Mgr Lefebvre est pourvue d’un tel statut et frapperont-ils à sa porte. On pourrait éventuellement y gagner en clarté.
  
En revanche, il me paraît indispensable que personne, du point de vue de la mouvance Ecclesia Dei où je me situe, ne puisse plus « excommunier » les fidèles parce qu’ils se rendent à des offices célébrés par des prêtres de la Fraternité Saint-Pie X. Je verrais bien, de surcroît, des gestes fraternels d’hospitalité en direction de ces « nouveaux » ou de ces « de nouveau » confrères, un accueil généreux et au fond normal dans les églises et sanctuaires pour des mariages ou des funérailles.
  
Il conviendra surtout que la mouvance Ecclesia Dei démontre sa valeur ajoutée. Voici quelques réflexions d’un prêtre impliqué dans l’application des Motu proprio successifs et qui n’entend évidemment en rien parler au nom des instituts dont il a été fait mention.
  
Jusqu’à présent, la Fraternité Saint-Pie X n’a pas souhaité – c’est un euphémisme – travailler avec les évêques diocésains. Même si l’accueil qui leur a été fait a souvent été circonspect, même si leur loyauté a parfois été récompensée de manière assez – voire très – ingrate, les communautés Ecclesia Dei ont, quant à elles, appris à travailler avec les évêques. On n’estimera que le statut d’exemption dévolu à la Fraternité Saint-Pie X est meilleur que celui de dépendance à l’égard de la juridiction de l’Ordinaire du lieu que si l’on érige l’autonomie en valeur ecclésiale – alors qu’elle n’est qu’une valeur somme toute très « moderne ». Des liens de confiance avec le clergé diocésain ont pu être noués, une place dans le presbyterium local a pu être trouvée. Tout cela représente des années d’humble travail de terrain qui, à terme, portera ses fruits : éviter la juxtaposition de fait de deux filières ecclésiales parallèles. Car la question décisive qui se pose au (plutôt) jeune clergé, toutes tendances confondues, dans la société de plus en plus déchristianisée vers laquelle nous allons, n’est autre que celle-ci : comment allons-nous faire face ensemble à la tâche immense qui nous attend en étant crédibles par notre témoignage commun, c’est-à-dire en dépassant les clivages d’antan, étant admis que la division interne porte préjudice à la mission ?
  
L’effort déployé de réception du concile Vatican II et du Magistère suivant doit être poursuivi, au-delà même de la démonstration de sa stricte compatibilité avec l’enseignement antérieur. Car, en réalité, nous avons eu un « grand Magistère » dont J. Ratzinger/Benoît XVI a été la cheville ouvrière, un Magistère apte à répondre aux problèmes de ce temps, un Magistère surtout si fécond pour l’intelligence de la foi. Personnellement, je ne puis m’imaginer en revenir à la théologie dispensée dans les universités romaines dans les années 1930, ressassant les mêmes cours issus de manuels, et être privé du souffle revigorant des encycliques, homélies et autres discours de ce pape qui nous a restitué la foi dans son intuition la plus profonde, et dont la stature intellectuelle et spirituelle est de la même veine que celle des Pères de l’Église. Il faudrait que les théologiens de la mouvance Ecclesia Dei, libérés du carcan de l’interprétation quasi-canonique de saint Thomas, participent au véritable renouveau de la pensée thomiste, ce qui requiert un regard positif sur la « nouvelle théologie ».
  
Pour les raisons qui sont les siennes, la Fraternité Saint-Pie X a mis un point d’arrêt au Mouvement liturgique : 1962, en hypostasiant une édition du missel que saint Jean XXIII ne voulait que provisoire. La mouvance Ecclesia Dei devrait écouter de sages liturgistes comme Mgr Klaus Gamber qui présentent la liturgie comme un corps vivant dont il ne faut pas décréter arbitrairement le terme de la croissance, à moins de l’exposer ensuite à des ajustements artificiels. En 1998, le cardinal J. Ratzinger recommandait de célébrer ce que l’on appelle aujourd’hui la « forme extraordinaire » en tenant compte des principes fondamentaux de la constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium. On pense ici à l’unité de l’action liturgique, à l’accès à la Parole de Dieu et à la participation des fidèles. Benoît XVI a préconisé un enrichissement réciproque entre les deux formes. Il est regrettable que la jurisprudence du cardinal Mayer, premier président de la Commission Ecclesia Dei, concédant volontiers un certain nombre de modifications aux rubriques de 1962, ait été mise en cause par la très bureaucratique instruction Universae Ecclesiae (2011). La mouvance Ecclesia Dei serait avisée, au lieu d’accentuer la distance entre les deux formes liturgiques par un excès de rubricisme dans la célébration de l’extraordinaire – jusqu’à reproduire les défauts qui ont précisément provoqué la réforme ! –, de souligner au contraire « la continuité entre les deux missels », selon l’expression heureuse du cardinal Sarah.
  
Finalement, l’avenir de la mouvance Ecclesia Dei – comme sans doute d’ailleurs aussi celui de la Fraternité Saint-Pie X – tient dans sa capacité de cultiver un véritable art de la prière qui, par-delà l’esthétisme rituel, atteint l’essence des mystères, de redonner une âme à un thomisme desséché qui, faute d’être irrigué par la Parole de Dieu et la pensée des Pères de l’Église, s’est replié sur lui-même en une vaste pétition de principe, et de participer à la nouvelle évangélisation qui est sans doute l’ultime chance de l’Église en Occident. À ces trois défis, personne ne pourra se dérober.
  
Abbé Christian Gouyaud

[Roberto de Mattei - Correspondance Romaine] Italie: un exemple de résistance catholique, la princesse Elvina Pallavicini

SOURCE - Roberto de Mattei - Correspondance Romaine - 31 juillet 2017

Il y a quarante ans, un événement historique eu lieu : Mgr Marcel Lefebvre tint une conférence le 6 juin 1977 au Palais Pallavicini à Rome, sur le thème L’Église après le Concile. Je pense qu’il vaut la peine de rappeler cet événement, sur la base des notes et des documents que j’ai conservés.

Mgr Marcel Lefebvre, fondateur de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X (1970), après les ordinations sacerdotales du 29 juin 1976, avait été suspendu a divinis le 22 juillet de la même année. Cependant, les catholiques informés avaient de sérieux doutes quant à la légitimité canonique de ces mesures et, en particulier, ils ne comprenaient pas le comportement de Paul VI qui semblait réserver ses censures seulement pour ceux qui disaient vouloir rester fidèles à la Tradition de l’Église. Dans ce climat de désorientation, en avril 1977, la princesse Elvina Pallavicini (1914-2004), décida d’inviter Mgr Lefebvre à son palais au Quirinal, pour écouter ses arguments.

La Princesse Pallavicini avait 63 ans à l’époque et était la veuve du Prince Guglielmo Pallavicini qui avait été tué lors de sa première mission de guerre en 1940. Depuis plusieurs années, elle était en fauteuil roulant à la suite d’une paralysie progressive, mais c’était une femme d’esprit indomptable. Elle avait un cercle restreint d’amis et de conseillers autour d’elle, parmi lesquels le Marquis Roberto Malvezzi Campeggi (1907-1979), Colonel de la Noble Garde Papale au moment de la dissolution de ce corps en 1970, et le Marquis Luigi Coda Nunziante di San Ferdinando (1930-2015), ancien Commandant de la marine Italienne.

Au début, l’annonce de la conférence qui circula au cours du mois de mai, n’avait suscité aucune préoccupation de la part du Vatican. Paul VI pensait qu’il aurait été facile de convaincre la Princesse de renoncer à son idée et confia la tâche à l’un de ses collaborateurs les plus proches, « Don Sergio » Pignedoli (1910-1980) qu’il avait créé cardinal en 1973. Le prélat appela donc la Princesse et s’enquis d’abord de sa maladie. « Je suis contente de votre intérêt – répondit ironiquement Elvina Pallavicini –, après une si longue période de silence ».

Après environ une heure d’échanges de civilités, la question du Cardinal arriva enfin : « J’ai entendu dire que vous recevrez Monseigneur Lefebvre. Est-ce que ce sera une conférence publique ou privée ? » « Si c’est chez moi, cela ne peut être que privé », répondit la Princesse. Le Cardinal osa donc ajouter : « Ne serait-il pas opportun de la reporter ? Monseigneur Lefebvre a fait beaucoup souffrir le Saint-Père qui est très affligé de cette initiative … » La réponse de la Princesse Elvina glaça le cardinal Pignedoli : « Votre Éminence, je pense que chez moi je peux recevoir tous ceux que je désire recevoir ». Face à cette résistance inattendue, le Vatican s’adressa au prince Aspreno Colonna (1916- 1987), qui occupait encore, ad personam, le poste d’Attaché au trône pontifical. Lorsque le chef de cette ancienne famille historique demanda à être reçu, la Princesse lui fit répondre qu’elle était occupée.

Le prince Colonna demanda alors de lui rendre visite le lendemain à la même heure, mais la réponse de la noble dame fut la même. Pendant que le Prince se retirait silencieusement, le Secrétaire d’État pensa y arriver d’une autre manière. Mgr Andrea Lanza Cordero di Montezemolo, qui venait d’être consacré Archevêque et nommé Nonce en Papouasie-Nouvelle- Guinée, demanda une audience à la Princesse. Le prélat était le fils du colonel Giuseppe Cordero Lanza di Montezemolo (1901-1944), chef de la résistance monarchique à Rome, fusillé par les Allemands aux Fosses Ardeatines.

Pendant l’occupation allemande, la jeune princesse Elvina avait collaboré avec lui, ce qui lui valut la croix de bronze de la valeur militaire Je participai personnellement à cette rencontre, mais ma présence irrita vivement le futur Cardinal qui, en vain, fit appel à la mémoire de son père pour éviter la prochaine conférence. On rappela au Nonce que la résistance de nombreux soldats au national-socialisme démontrait bien qu’il était parfois nécessaire de désobéir aux ordres injustes des supérieurs pour respecter les prescriptions de sa conscience.

À ce stade, la Secrétairerie d’État joua sa dernière carte, en se tournant vers le Roi d’Italie, Umberto II, en exil à Cascais. Le marquis Falcone Lucifero, ministre de la Maison Royale, appela la Princesse pour lui faire savoir que le Souverain l’exhortait vivement à renvoyer la conférence. « Je suis étonnée de voir comment Sa Majesté se laisse intimider par la Secrétairerie d’État après tout ce que le Vatican a fait contre la Monarchie », répondi-t- elle avec fermeté, confirmant que la conférence serait dûment tenue à la date fixée. Le marquis Lucifero, âgé et gentilhomme, envoya à la Princesse un bouquet de roses.

À ce stade, le Vatican décida de passer aux mesures fortes. Une véritable campagne de terrorisme psychologique commença alors dans les grands quotidiens présentant la Princesse comme une aristocrate obstinée, entourée d’une poignée de nostalgiques d’un monde destiné à disparaître. En privé, on a fit savoir à Donna Elvina que si la conférence devait avoir lieu, elle serait excommuniée.

Le 30 mai, par un communiqué de presse à l’agence Ansa, la Princesse précisa que «son initiative n’était motivée par aucune intention de défier l’autorité ecclésiastique mais plutôt par l’amour et la fidélité à la Sainte Mère Église et au Magistère ». « Les contrastes dans l’Église Conciliaire – continuait le communiqué – existent malheureusement, en dehors de la personne de Mgr Lefebvre et aussi en Italie à un degré non négligeable, même si c’est moins évident que dans le reste du monde catholique. Nous avons l’intention, lors de la conférence du 6 juin, d’offrir à Mgr Lefebvre la possibilité d’exprimer directement ses thèses en toute liberté, précisément dans le but de clarifier les problèmes qui perturbent et affligent tant le monde catholique, dans la certitude que la paix et la sérénité peuvent être ramenées par une unité restaurée dans la vérité ».

Le 31 mai, à la une du quotidien Il Tempo, apparut une déclaration du prince Aspreno Colonna dans laquelle on lisait : « Le Patriciat Romain se dissocie de l’initiative » déplorant qu’elle était « complètement inopportune ». La bombe fut cependant larguée le 5 juin par le Cardinal Vicaire de Rome, Ugo Poletti (1914-1997). Par une déclaration agressive dans le quotidien de la Conférence des Évêques Italiens, Avvenire, Poletti attaqua Mgr Lefebvre et ses « partisans aberrants », les définissant comme « une poignée de nostalgiques de classe, prisonniers d’habitudes traditionnelles ».

Il exprima de plus de « l’étonnement, de la douleur et du chagrin, mais la plus ferme désapprobation de l’offense commise contre la foi, l’Église catholique et son Divin Chef, Jésus », Mgr Lefebvre ayant mis en doute «des vérités fondamentales relatives à l’infaillibilité de l’Église catholique fondée sur Pierre et ses successeurs, en matière de doctrine et de morale ».

À partir du quartier général de la Princesse, il y eut une réponse immédiate : « Il est difficile de comprendre comment l’expression privée de thèses qui ont été celles de tous les Évêques du monde jusqu’il y a quelques années, peut perturber la sécurité d’une telle autorité qui a de son côté la force de la continuité doctrinale et l’évidence de ses positions ». La Princesse déclara : « Je suis une Catholique Romaine Apostolique plus que convaincue car j’ai atteint le vrai sens de la religion par le raffinement de la souffrance physique et morale : je ne dois rien à personne, je n’ai pas d’honneurs ni de prétentions à défendre, et je remercie Dieu pour tout. Dans les limites que l’Église le permet, je peux différer d’opinion, je peux parler, je peux agir: je dois parler et je dois agir : ce serait lâche de ne pas le faire. Et permettez-moi de dire que dans notre Maison, même à cette génération, il n’y a pas de place pour les lâches ».

Enfin, la journée fatale du 6 juin arriva. La conférence avait été soigneusement réservée à quatre cents invités, contrôlés par la « sécurité privée » fournie par les jeunes de Alleanza Cattolica, mais il y avait plus d’un millier de personnes qui remplissaient les escaliers et le jardin du Palais historique Rospigliosi-Pallavicini, célèbre partout dans le monde pour ses œuvres d’art. Mgr Lefebvre arriva accompagné de son jeune représentant à Rome, l’abbé Emmanuel du Chalard. La princesse Pallavicini le rencontra dans son fauteuil roulant, poussé par sa Dame d’honneur, Donna Elika del Drago. La Princesse Virginia Ruspoli, veuve de Marescotti, l’un des deux princes-héros à la bataille d’El Alamein, donna à Mgr Lefebvre une relique de saint Pie X qui lui avait été donnée personnellement par Pie XII.

Malgré le fait que le Grand Prieuré de l’Ordre de Malte à Rome avait exprimé « une nécessité contraignante » de s’abstenir d’intervenir à la conférence, le prince Sforza Ruspoli, le comte Fabrizio Sarazani et d’autres courageux aristocrates défiaient les censures de l’institution et étaient là en première ligne, juste à côté de Mgr François Ducaud Bourget (1897-1984), qui avait dirigé l’occupation de l’église Saint-Nicolas du Chardonnet à Paris le 27 février.

La princesse Pallavicini introduisit Mgr Lefebvre qui pris place sous le baldaquin rouge avec les armoiries du Pape Clément IX, Rospigliosi. L’Archevêque, après quelques moments de prière, commença par ces paroles : « Je respecte le Saint-Siège. Je respecte Rome. Si je suis là, c’est parce que j’aime cette Rome catholique ». La Rome catholique qu’il avait devant lui interrompit son discours à plusieurs reprises avec des applaudissements tonitruants. La salle était pleine à craquer et une foule était rassemblée sur les grands escaliers du palais.

Le « Concile de l’aggiornamento » (mise à jour, ndt) – expliqua Mgr Lefebvre – veut en réalité une nouvelle définition de l’Église. Pour être « ouverte » et être en communion avec toutes les religions, toutes les idéologies, toutes les cultures, l’Église devrait changer ses institutions excessivement hiérarchisées et se diviser en plusieurs Conférences Épiscopales nationales. Les Sacrements insisteront sur l’initiation et la vie collective, plus que s’occuper de chasser Satan et le péché. Le leitmotiv du changement sera l’œcuménisme. La pratique de l’esprit missionnaire disparaîtra. On proclamera le principe selon lequel « tout homme est chrétien et ne le sait pas » et donc tout homme recherche le salut, peu importe la confession qu’il pratique.

Les changements liturgiques et œcuméniques – poursuivit Mgr Lefebvre dans un silence feutré de toutes les personnes présentes – provoquent la disparition des vocations religieuses et rendent les séminaires déserts. Le principe de la « liberté religieuse » semble scandaleux à l’Église et à Notre-Seigneur Jésus-Christ, car ce n’est rien d’autre que « le droit à la confession publique d’une fausse religion sans ingérence d’aucune autorité humaine ».

Mgr Lefebvre s’attarda alors sur les concessions post-conciliaires au communisme, en se référant aux nombreuses audiences données aux dirigeants communistes par le Saint Siège ; à l’accord de ne pas condamner le communisme pendant le Concile ; au traitement méprisant réservé à plus de 450 Évêques qui avaient demandé cette condamnation. Au contraire, le dialogue avec le communisme avait été encouragé par la nomination d’Évêques pro-marxistes comme Mgr Helder Câmara au Brésil, Mgr Silva Henriques au Chili et Mgr Mendez Arceo au Mexique.

C’est un fait, ajouta Mgr Lefebvre en conclusion, que de nombreux Dominicains et de nombreux Jésuites qui professent ouvertement des hérésies ne sont pas condamnés et que les Évêques qui pratiquent l’inter-communion, qui introduisent des fausses religions dans leurs diocèses et églises, qui finissent même par bénir le concubinage, ne sont même pas poursuivis. Seuls les catholiques fidèles risquent d’être expulsés des églises, persécutés, condamnés. « J’ai été suspendu a divinis parce que je continue à former des prêtres comme ils ont toujours été formés ».

En s’adressant à un public vivement touché par ses paroles, Mgr Lefebvre conclua sa conférence en disant : « Aujourd’hui, l’obligation la plus sérieuse pour un catholique est de conserver la Foi. Ce n’est pas licite d’obéir à ceux qui travaillent à la diminuer ou à la faire disparaître. Avec le Baptême, nous avons demandé la Foi à l’Église parce que la Foi nous conduit à la vie éternelle. Nous continuerons jusqu’à notre dernier souffle à demander à l’Église cette Foi ».

La réunion se termina par le chant du Salve Regina. Le journaliste du Vatican, Benny Lai, commenta sur La Nazione du 7 juin : « Ceux qui s’attendaient à un tribun se sont trouvés devant un homme doux qui, avant d’inviter les personnes présentes à réciter le Salve Regina, a conclu [son discours] avec ces paroles : ‘Je ne veux pas former un groupe quelconque, je ne veux pas désobéir au Pape, mais il ne doit pas me demander de devenir Protestant’ ».

La conférence avait donc été une victoire stratégique pour ceux qui avaient été qualifiés de façon inappropriée de traditionalistes, car Mgr Lefebvre a réussi à faire connaître ses thèses au niveau international sans souffrir de conséquences canoniques. Paul VI décéda un an plus tard, dévasté par la mort de son ami Aldo Moro. Le nom du cardinal Poletti est toujours resté lié à l’affaire obscure de l’autorisation accordée le 10 mars 1990, pour l’enterrement du chef de la Banda della Magliana (organisation criminelle romaine, ndt), « Renatino » De Pedis, dans la basilique de Sant’Apollinare.

La Princesse Pallavicini sortit gagnante de ce « défi ». Non seulement elle n’a pas été excommuniée, mais dans les années suivantes, son palais est devenu le point de référence de nombreux Cardinaux, Évêques et intellectuels catholiques. Elle, et ses amis Romains, n’étaient pas « des fantômes du passé » comme les a définis le Corriere della Sera le 7 juin 1977, mais des témoins de la Foi catholique qui préparaient l’avenir. Quarante ans plus tard, l’histoire leur a donné raison.

[Peregrinus - Le Forum Catholique] "Révolution française et traditionalisme (IX):Accords pratiques

SOURCE - Le Forum Catholique - 31 juillet 2017


C’est au plus fort des polémiques de l’été 2012 sur la possibilité d’un « accord pratique » entre Rome et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X que le blogue Catholiques réfractaires nous donne sa vision de la manière dont le clergé a fait face à l’épreuve révolutionnaire : 
Il y eut aussi [les prêtres], qui face à la menace de sanctions, acceptèrent la signature d’un compromis, qui sans être forcément un grain d’encens à l’idole révolutionnaire, laissait planer des ambiguïtés sur le rôle et la fin du clergé, et sur la soumission que devait celui-ci à l’Etat révolutionnaire. Ce faisant, ils échappaient aux sanctions et s’assuraient, croyaient-ils, un certains (sic) confort et une reconnaissance (1).
Le texte semble distinguer ce « compromis » qui laisse planer des ambiguïtés du serment constitutionnel étrangement désigné, probablement pour les besoins de la cause, comme une « sinistre convention ambiguë ». Comme le Petit Eudiste dont le texte a été examiné dans la partie précédente, le blogue ne semble donc pas évoquer ici l’attitude des jureurs, mais d’une classe intermédiaire d’ecclésiastiques dont la conduite est cependant réprouvée de la façon la plus explicite : si l’auteur paraît deviner la complexité de la situation révolutionnaire, il s’efforce de la ramener à l’opposition des deux clergés. Les prêtres dont il s’agit ne seraient pas de « vrais » prêtres réfractaires.

On a vu qu’une partie du clergé réfractaire, jamais condamnée même par les évêques les plus antirévolutionnaires, a en réalité prêté au début de l’année 1791 le serment avec restriction proposé par François de Bonal, évêque de Clermont. On pourrait objecter qu’il s’agissait alors d’une attitude nécessairement provisoire, qui visait à éviter le pire en écartant le schisme. Il n’en est rien : l’histoire du clergé réfractaire, de 1791 à 1801, n’est pas seulement celle de la persécution, mais aussi celle de ses compromis, de leur acceptation ou de leur refus dans l’un ou l’autre diocèse. 

En effet, si le serment schismatique de novembre 1790 a logiquement éclipsé les exigences ultérieures des autorités révolutionnaires, il n’a pas été le dernier. En août 1792, la chute de la monarchie rend inévitablement sans objet un serment de fidélité «à la Nation, à la Loi et au Roi». Les autorités exigent donc des ecclésiastiques un nouveau serment, dit de «Liberté-Egalité»:
Je jure d’être fidèle à la Nation, et de maintenir la liberté et l’égalité, ou de mourir en les défendant.
Il importe de préciser dès maintenant qu’à l’époque Rome ne s’est pas officiellement prononcée sur la licéité de ce nouveau serment, ce qui entraîne de vigoureux débats au sein du clergé insermenté (2). Les divisions qu’occasionnent les serments postérieurs à 1792 feront l’objet d’une prochaine partie de cette petite série ; je me bornerai donc ici à rappeler les positions et les arguments des prêtres réfractaires qui ont accepté de prêter ces serments. 

Parmi ces ecclésiastiques, on compte plusieurs figures de premier plan de la fidélité à l’Eglise, à commencer par Mgr de Juigné, archevêque légitime de Paris, ou Monsieur Emery, supérieur de la Compagnie de Saint-Sulpice, valeureux chef du clergé réfractaire parisien et théologien universellement respecté (3). Comme le souligne Bernard Plongeron (4), l’attitude de Monsieur Emery, qui voit son séminaire confisqué et est emprisonné sous la Terreur, ne peut en aucun cas être ramenée à un désir de confort ou de reconnaissance. Il est donc important de rappeler les arguments mobilisés par les prêtres qui font le serment de 1792.

Pour ces ecclésiastiques, le serment de Liberté-Egalité est purement politique ; il n’implique aucune adhésion à la Constitution civile du clergé qui impose à l’Eglise de France une organisation schismatique. Pour Monsieur Emery, la « liberté » qu’il jure de maintenir n’est rien d’autre que la soumission dans l’état présent à la loi. Le serment n’implique qu’une fidélité passive à l’Etat révolutionnaire, ce qui n’est rien de plus que la fidélité passive que les chrétiens de l’Antiquité observaient vis-à-vis d’un Empire païen et persécuteur. Quant à l’évêque de Langres, il rappelle que les abus du pouvoir révolutionnaire ne font pas partie en soi de la liberté ou de l’égalité : en jurant conformément à l’obéissance due au souverain, le prêtre n’en demeure pas moins entièrement libre vis-à-vis de toutes les lois que ce souverain pourrait édicter contre la religion (5). 

A ces prêtres et évêques, il a été opposé qu’ils consentaient à un serment équivoque. On trouve une réponse détaillée à cette objection dans une passionnante correspondance entre les grands vicaires du diocèse d’Angoulême, conservée aux archives du même évêché et partiellement reproduite dans un ouvrage de l’abbé Jean-Pierre-Gabriel Blanchet (6).
  
A son départ pour l’émigration, l’évêque légitime, Mgr d’Albignac de Castelnau, donne les pouvoirs les plus étendus à l’un de ses grands vicaires, Jean Vigneron, chanoine de la cathédrale, faisant de lui le chef du clergé réfractaire dans le diocèse. Le 31 mars 1793, l’abbé Vigneron se rend à la municipalité d’Angoulême pour y faire le serment de Liberté-Egalité, ce qui ne l’empêche pas d’être bientôt emprisonné ; par la suite, fort du silence du pape et de son évêque, il se prononce en faveur de la licéité des formules post-thermidoriennes, dont la prestation permet la reprise du culte public (7). Cette attitude lui vaut cependant, à la veille du Concordat, d’être attaqué par un autre vicaire général, l’abbé de Lafitte, qui le range au nombre des assermentés (8). L’abbé Vigneron écrit alors, le 23 janvier 1800, une longue réponse à l’abbé de Chabrignac, grand vicaire et doyen du chapitre, où il rend raison de sa conduite.

Le fondement de l’attitude de ce prêtre réfractaire est la soumission que le chrétien doit à la puissance temporelle, même lorsque celle-ci n’est pas légitime ou adopte de faux principes :
Jéroboam était un usurpateur ; son pouvoir n’en venait pas moins de Dieu, et les dix tribus soumises à sa puissance ne lui en devaient pas moins la fidélité, le respect, l’obéissance et le tribut (9).
On le voit, pour Vigneron à Angoulême, comme pour Emery à Paris ou pour l’évêque de Langres, la question de la licéité du serment ne relève en soi pas du confort ou de la reconnaissance, mais du devoir et de la conscience. On peut noter également que cette licéité ne dépend pas des autorités qui imposent le serment, mais du contenu de ce dernier : les autorités républicaines de 1792 sont en effet beaucoup plus suspectes de vouloir détruire la religion catholique que la Constituante. Quant aux termes du serment,
Les termes généraux liberté, égalité, signifient aussi bien la liberté et l’égalité restreintes, que la liberté et l’égalité indéfinies, désordonnées (10).
Certes, le serment est équivoque. Il n’en est pas pour autant illicite. Vigneron s’autorise en effet de saint Grégoire (Moralia, lib. XXV, cap. 10) : 
Les oreilles de l’homme, dit saint Grégoire, jugent nos paroles suivant le sens qu’elles rendent au dehors ; mais Dieu les juge suivant l’intention qu’on a en les prononçant.
L’abbé Vigneron s’appuie encore sur saint Thomas (IIa IIae, q. 89, a. 7), qui cite le même texte de saint Grégoire : si celui qui fait un serment aux termes équivoques n’emploie pas la tromperie, l’obligation se mesure à ses propres intentions, donc au sens qu’il donne à ces termes. C’est également l’opinion du dominicain Sylvius, de la Théologie de Poitiers ou des Conférences d’Angers (11).

On est donc très loin d’une position motivée par la peur ou la recherche d’un certain confort. Il s’agit d’une position fondée en doctrine, qui s’appuie sur d’importantes autorités théologiques, et que de fait Rome a fait sienne au moment du Concordat de 1801 dans la mesure où celui-ci s’accompagne de la prestation par le clergé de la promesse de fidélité à la Constitution de l’an VIII. 

Si l’on ne peut négliger l’importance du souci pastoral, du reste parfaitement légitime, d’obtenir la réouverture des églises après la Terreur, on ne peut pas davantage oublier la préoccupation doctrinale qui anime cette frange conciliante du clergé fidèle : si celle-ci accepte des « compromis », ce n’est pas tant pour « échapper aux sanctions », auxquelles ils se sont rarement soustraits, mais parce qu’elle ne croit pas pouvoir s’y soustraire, précisément pour préserver la doctrine. Hier comme aujourd’hui, il faut beaucoup d’aveuglement, de naïveté ou d’idéologie pour croire qu’un seul camp a le monopole des préoccupations doctrinales. 

On sait aujourd’hui la méfiance que ces serments purement politiques inspiraient à Rome. Pie VI, pourtant, n’a pas cru bon de les condamner, à l’exception du serment de haine de la royauté ; encore n’a-t-il pas voulu que la condamnation de cette dernière formule soit publiée, en sorte qu’au moment du Concordat le légat de Pie VII n’a exigé des « jureurs de haine » aucune rétractation. 

Quoi que l’on puisse penser de l’opportunité de cette sorte d’accords pratiques avec l’Etat révolutionnaire consentis par une partie, puis par la presque totalité du clergé réfractaire, on ne voit donc pas vraiment au nom de quoi certains traditionalistes d’aujourd’hui se croient habilités à condamner là où l’Eglise s’est bien gardée de condamner, et à dénoncer comme traîtres à la doctrine, outre ceux qui rappelaient hier la soumission due à la puissance temporelle, ceux qui rappellent de nos jours la soumission due, à plus forte raison, à la puissance spirituelle. 

(A suivre)

Peregrinus 
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(1) « Si tu savais le don de Dieu », Catholiques réfractaires (blogue), 4 juillet 2012.
(2) La position de Pie VI à propos de ce serment a été l’objet de nombreux débats, cf. Gérard Pelletier, Rome et la Révolution française. La théologie et la politique du Saint-Siège devant la Révolution française (1789-1799), Ecole française de Rome, Rome, 2004, p. 362-379.
(3) Parmi les ecclésiastiques réfractaires qui se prononcent en faveur de la licéité du serment de Liberté-Egalité, Gérard Pelletier, sur la base du dossier constitué par les congrégations romaines, cite également les évêques de Nîmes, Saint-Malo, Troyes, Langres, Saint-Dié, Aix, les docteurs de Sorbonne, la Compagnie de Saint-Nicolas-du-Chardonnet (ibid.). 
(4) Bernard Plongeron, Conscience religieuse en Révolution. Regards sur l’historiographie religieuse de la Révolution française, Picard, Paris, 1969, p. 38-39.
(5) Gérard Pelletier, op. cit., p. 362-379.
(6) Jean-Pierre-Gabriel Blanchet, Le clergé charentais pendant la Révolution, Despujols, Angoulême, 1898, p. 544. 
(7) L’abbé Vigneron désapprouve alors à titre personnel comme relevant d’une mauvaise politique le serment de haine de la royauté, mais conserve leurs pouvoirs aux prêtres qui l’ont prêté (ibid., p. 553-554).
(8) Ibid., p. 549.
(9) Ibid., p. 573.
(10) Ibid., p. 288.
(11) Ibid., p. 291.

[Abbé Patrick Duverger - Pour Qu'Il Règne - FSSPX (Benelux)] Entretien avec le Supérieur de district

SOURCE - Abbé Patrick Duverger - Pour Qu'Il Règne - FSSPX (Benelux) - 31 juillet 2017

Au terme de sa première année en Benelux, le Supérieur de district, Monsieur l’abbé Patrick Duverger, répond aux questions de Pour qu’Il règne, la revue trimestrielle du district.
Pour qu’Il règne : Monsieur l’abbé, après bientôt un an comme Supérieur du Benelux, quel regard portez-vous sur la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X dans cette région du monde ?
L’accueil que m’ont réservé tant mes confrères que les fidèles, dans les trois pays : Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, a été excellent et a grandement facilité l’installation et une première découverte d’un ensemble si riche de ses variétés. J’ai déjà entrevu les ravages incalculables que la crise conciliaire a réalisés particulièrement en Benelux. Dès 1965, la réaction de courageux catholiques a fort bien préparé d’abord la venue de Mgr Lefebvre puis l’implantation de la Fraternité, présente depuis bientôt quarante ans. Aujourd’hui, il y a un bel élan dans la jeunesse pour recevoir le flambeau des mains des ouvriers de la première heure. Je prie pour que cet élan s’affermisse et s’étende. Nos prêtres ont souci de faire rayonner la Fraternité ; ils font tout ce qu’ils peuvent pour la mieux faire connaître et estimer. Car la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X fait réellement partie de l’Eglise catholique romaine et en professe toute la foi, l’exprimant sans équivoque ou nouveautés.
Pour qu’Il règne : Selon vous et de manière succincte, comment décrire la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X ?
Fondée officiellement selon le droit de l’Eglise, je dirais que la Fraternité continue de s’appliquer à sa vocation particulière selon son charisme propre, inséparables l’une de l’autre en cette époque de grave crise dans l’Eglise. Sa vocation est de servir l’Eglise par le sacerdoce catholique : former des prêtres, les conduire dans leur sanctification, et accompagner au long de leur vie consacrée les prêtres qu’ils appartiennent à la Fraternité ou pas. Son charisme est de manifester la vitalité de la Tradition de l’Eglise, de la défendre contre ceux qui, quels qu’ils soient, la remettent en cause ou la relativisent, et de répondre aux justes demandes des catholiques subissant un état de grave nécessité.
Pour qu’Il règne : Au Benelux, la Fraternité Saint-Pie X est étiquetée comme rebelle à l’Eglise et même schismatique. Qu’en dites-vous ?
Ces étiquettes n’expriment pas la réalité ; elles sont calomnieuses. La Fraternité professe et adhère d’esprit et de cœur à l’unique Eglise du Verbe incarné, Notre-Seigneur Jésus-Christ - l’Eglise catholique romaine - fondée sur Pierre et les apôtres. Cette Eglise, incarnée elle aussi dans le temps et dans l’espace, existe aujourd’hui, sous l’autorité du Pape François, Vicaire de Jésus-Christ, avec les évêques sous son autorité. La Fraternité tient à vivre dans l’unité romaine hors de laquelle il n’y a pas de salut, et refuse catégoriquement tout ce qui pourrait l’en séparer. La Fraternité, à la suite de son vénéré fondateur, Mgr Marcel Lefebvre, tient à « sentire cum Ecclesia » - juger à l’unisson de l’Eglise -, de manière bien réelle en chacun de ses membres.
Pour qu’Il règne : A l’unisson de l’Eglise, dites-vous. Voulez-vous préciser ?
La Fraternité Saint-Pie X reconnaît et adhère au Magistère de l’Eglise, entendu comme la légitime autorité de l’Eglise enseignante - le Pape et les évêques -, divinement établie pour conserver et transmettre fidèlement aux hommes d’aujourd’hui, la foi, la morale, le culte et la discipline catholiques, tels que l’Eglise les a toujours et partout tenus.
Pour qu’Il règne : Cependant, vous contestez, depuis des années, l’enseignement et la pratique des souverains pontifes ?
En effet, tant d’enseignements et de pratiques sont objectivement contestables, parce qu’étrangement dissonants et même contraires à la Tradition de l’Eglise. De fait, la Fraternité Saint-Pie X n’adhère pas à l’« aggiornamento » - mise à jour - voulu au concile Vatican II et aussi dans ses réformes postconciliaires, causes d’une profession de foi ambigüe, d’un enseignement déficient, d’une liturgie équivoque et désacralisante, d’une discipline douteuse.
Pour qu’Il règne : La Fraternité verra-t-elle un jour son bon droit rétabli et reconnu ?
La Fraternité, œuvre d’Eglise, a le droit d’être reconnue, telle qu’elle est, selon sa vocation et son charisme propres, par un juste statut canonique. La Fraternité en exprime le légitime désir. Bien évidemment, une telle reconnaissance ne saurait mettre sous le boisseau l’impérieuse nécessité de continuer le bon combat de la foi, en dénonçant les erreurs et même les hérésies partout répandues, et en donnant aux âmes de bonne volonté les moyens de tout restaurer dans le Christ, notre Seigneur et notre Roi. La Fraternité a la conviction que cette reconnaissance, réparant une longue injustice, apporterait à l’Eglise une grâce de renouveau, aujourd’hui si urgente. Notre-Seigneur Jésus-Christ y pourvoira selon sa Sagesse qui nous dépasse. Il est le Chef de son Eglise.

[Paix Liturgique] La saison des premières messes... en Pologne aussi

Ci-dessous, l'abbé Szydlo
imposant les mains aux
fidèles à l'issue d'une de ses
premières messes en forme
extraordinaire à Cracovie.
SOURCE - Paix Liturgique - Lettre n°604 - 31 juillet 2017

Les semaines qui courent de mi-juin à mi-juillet concentrent chaque année une grande part des ordinations sacerdotales de l'Église. Durant tout l'été, les prêtres tout juste ordonnés célèbrent donc leur première messe dans leur paroisse d'origine ou dans un lieu auquel ils sont attachés. Pour les prêtres des instituts traditionnels, c'est ainsi l'occasion de faire rayonner la messe traditionnelle en des lieux qui en sont parfois privés depuis des décennies. Une occasion que ne manquent pas de saisir également de plus en plus de prêtres diocésains, comme nous l'avions déjà relevé dans notre lettre 398 du 30 juillet 2013.

Ordonnés pour la forme ordinaire, ces nouveaux prêtres profitent de la liberté apportée par le motu proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI pour placer leur sacerdoce sur les rails de la plénitude et de la paix liturgiques. C'est ce qu'a choisi de faire récemment l'abbé Timoteusz Szydlo, prêtre polonais du diocèse de Bielsko-Zywiec, en Silésie, ordonné le samedi 27 mai : comme il est de coutume en Pologne, il a célébré sa première messe dans sa paroisse de baptême. Selon la forme ordinaire, entouré de sa famille et des habitants du village. Il y avait aussi de nombreux photographes et gardes du corps pour suivre la procession d'entrée car l'abbé Szydlo a pour maman Beata Szydlo, l'actuel Premier ministre polonais et seul chef de gouvernement au monde à avoir donné un fils à l'Église !

Quelques jours plus tard, le dimanche de Pentecôte, c’est une première messe en forme extraordinaire que le jeune abbé Szydlo (25 ans) a tenu à célébrer en l’église Sainte-Croix de Cracovie, desservie par la Fraternité Saint-Pierre (FSSP). D’après la presse polonaise, l’abbé Szydlo avait pris l’habitude d’y assister à la forme traditionnelle au cours de ses études au séminaire de Cracovie. Nous n’avons pas trouvé de bonne photo de cette messe de Pentecôte mais vous en proposons une, en fin de lettre, d’une des messes suivantes, célébrée à nouveau selon la forme extraordinaire par l’abbé Szydlo en cette même église.

LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1) Comme un écho de notre sondage polonais

Sur le site polonais de la FSSP, on lit qu’un autre des nouveaux prêtres issus du séminaire de Cracovie a tenu lui aussi à célébrer une première messe en l’église Sainte-Croix selon les livres liturgiques hérités de saint Grégoire-le-Grand et de saint Pie V. Ce double choix apparaît en fait comme un écho des résultats de notre sondage réalisé au pays de saint Jean-Paul II pour le dixième anniversaire du motu proprio (voir notre précédente lettre) : la forme extraordinaire du rite romain est bel et bien une richesse restituée à toute l’Église par Benoît XVI, à ceux qui la connaissaient et la désiraient bien sûr mais aussi à tous ceux qui ne la connaissaient pas, la découvrent grâce à Summorum Pontificum et, comme l’abbé Szydlo, en font l’un des piliers de leur vie de prière et d’adoration.

2) La croissance de la « Pologne extraordinaire » illustrée par le colloque Ars celebrandi

La semaine dernière était organisé au sanctuaire marial de Lichen, pour la 4ème année consécutive, le colloque Ars celebrandi. Du 20 au 27 juillet 2017, près de 180 personnes, dont une quarantaine de prêtres, y ont approfondi leur connaissance de la forme extraordinaire du rite romain. Pour une vingtaine de ces prêtres, ce fut même l'occasion d'apprendre à célébrer la forme traditionnelle. Chaque journée de ce colloque très intense commence en effet par la célébration des messes privées, à partir de 6h30 et selon le missel de saint Jean XXIII. Ensuite, de nombreux ateliers et quelques conférences rythment les travaux, sans oublier la célébration de la messe chantée et la célébration des vêpres et des complies. Pour les laïcs, il était possible, selon les ateliers : de découvrir le chant grégorien et le chant polyphonique ou de s'y perfectionner ; de se former au service de la messe basse ou solennelle ; ou encore d'apprendre à coudre et entretenir le linge d'autel, etc. Dans le cadre de ce colloque que nous avons pu, à l'invitation des responsables d'Ars celebrandi, dont Tomasz Olszynsky, vice-président d'Una Voce Pologne, présenter l'action de Paix Liturgique et, en particulier, les résultats de notre sondage polonais qui ont fortement impressionnés et réjouis les auditeurs.

En répondant aux questions des participants à ces journées, nous avons pu mesurer combien la tradition liturgique et doctrinale intéressent nos amis de ce grand pays catholique. Le potentiel de la forme extraordinaire y est d'autant plus considérable qu'il semble que les évêques polonais, par ailleurs très classiques doctrinalement, tentent de bloquer tout mouvement vers la tradition, notamment en mutant dans des zones isolées les prêtres diocésains qui désirent de célébrer la messe traditionnelle. Surtout, les effectifs de fidèles traditionnels sont encore réduits et l'apostolat des instituts Ecclesia Dei (FSSP et Institut du Bon Pasteur) limité. 

Toutefois, comme l'illustre la première messe de l'abbé Szydlo, le confirme le succès du colloque Ars celebrandi, et le prouve le sondage réalisé parmi les catholiques pratiquants polonais par l'ISKK, la liturgie traditionnelle représente, en Pologne comme partout dans le monde, un évident ferment de renouveau. Il existe bien désormais, liturgiquement parlant, une « Pologne extraordinaire ».

[Édouard Cothenet - La Croix] Retour de la « messe en latin » : le lien entre Ecriture et Eucharistie

SOURCE - Édouard Cothenet - La Croix - 31 juillet 2017

Prêtre du diocèse de Bourges, Édouard Cothenet est professeur honoraire de l’Institut catholique de Paris. Il a publié notamment La Chaîne des témoins dans l'évangile de Jean (Éd. du Cerf, 2005) et L’Eucharistie au cœur des Écritures(Salvator, 2016)
Permettez-moi de vous faire part de mes réflexions sur l’article intitulé En dix ans, la messe en latin a trouvé sa place, paru dans La Croix du 7 juillet. Il n’aborde le sujet que par un côté, important certes, mais secondaire par rapport à l’enjeu théologique. Il est donc essentiel de reprendre l’enseignement du Concile.

Que dit le Concile ?Dans la constitution sur la liturgie Sacrosanctum concilium - votée presque à l’unanimité, y compris par Mgr Lefebvre -, il est dit que « dans la célébration de la liturgie, la sainte Écriture a une importance essentielle » et qu’il faut « promouvoir ce goût savoureux et vivant avec la Sainte Écriture » (n° 24).

Les deux tables, celle de la Parole et celle du sacrifice, sont étroitement associées. Tel est le fondement de la norme essentielle pour notre sujet : « Pour présenter aux fidèles avec plus de richesse la table de la Parole de Dieu, on ouvrira plus largement les trésors bibliques pour que, dans un nombre d’années déterminé, on lise au peuple la partie importante des saintes Écritures » (n° 51).

La constitution dogmatique sur la Révélation (Dei Verbum) déclare que l’Écriture est l’âme de la théologie (n° 24). La formule peut aussi être appliquée à la liturgie.
Quel enseignement de l’Église ?
Suite au Synode sur la Parole de Dieu, le pape Benoît XVI a rédigé une longue exhortation Verbum Domini (La Parole de Dieu, 2010) qui fait le point sur la doctrine du concile Vatican II et ses prolongements dans la vie de l’Église. Il vaut la peine d’en relire quelques pages relatives à notre sujet.

Sur le plan scripturaire, Benoît XVI met en valeur deux textes majeurs (n°54).

Le récit d’Emmaüs, d’abord, qui manifeste la pédagogie du Christ : après avoir écouté les disciples découragés, il leur explique le sens des Écritures jusqu’à se faire reconnaître dans la fraction du pain (Luc 24,13-35).

La catéchèse eucharistique de Saint Jean, si bien commentée par Saint Augustin, doit être lue dans son entier, pour entrer dans la dynamique du texte. Tout part d’un signe, la multiplication des pains, qui demande à être éclairé par le renvoi au récit biblique du don de la manne.

Dans un premier temps Jésus fait appel à la foi de ses auditeurs et se présente lui-même comme la Parole de vie à manger pour vivre. « Crede et manducasti », dira Saint Augustin (« crois et tu as mangé »).

La communion au Verbe de vie doit conduire à la communion à sa chair et à son sang, livrés pour la vie du monde. Tel est le cadre dans lequel Jean, par anticipation, fait écho aux paroles d’institution de l’Eucharistie. Contre une interprétation matérialiste de ces paroles, Jean conclut sa catéchèse par un dialogue de Jésus avec ses disciples « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. » (Jn 6, 63)
Quel problème avec la tradition latine ?
Ce texte est décisif pour comprendre le rôle de l’épiclèse (1), trop longtemps oubliée dans la tradition latine. Parce que l’Esprit du Père a relevé du tombeau le corps de Jésus pour qu’il devienne corps spirituel, irradiant la vie (I Co 15, 45), il convient d’invoquer l’Esprit pour que le pain et le vin deviennent le Corps du Ressuscité. Parce qu’il n’y a qu’un seul Pain, nous invoquons aussi l’Esprit pour que les communiants soient en vérité membres du Christ (I Co 10, 16s).

La réforme du missel par Saint Pie V s’est faite sans aucune réflexion sur le lectionnaire. En vain, quelques Pères du concile de Trente avaient demandé l’autorisation d’une lecture en langue vernaculaire. L’heure était à la contre-Réforme, sans prise en compte de ce qu’il pouvait y avoir de légitime dans les requêtes des protestants.

Heureusement le climat a bien changé, avec la redécouverte des valeurs propres de l’Ancien Testament (Dei Verbum n° 14-16) et l’encouragement pour un dialogue avec le judaïsme (déclaration Nostra aetate).

Le refus de lire des passages de la première Alliance à la messe dominicale ne serait-il pas un relent du vieil antijudaïsme chrétien ? De ce point de vue, le nouveau Lectionnaire, préparé avec soin par un large panel d’experts, répond bien aux requêtes du Concile. Il se caractérise par le choix de passages de l’Ancien Testament en relation avec la lecture évangélique et la répartition sur trois ans d’une grande partie du Nouveau.
Vers l’adoption d’un lectionnaire unique ?
Benoît XVI en a fait un éloge appuyé, remarquant que, dans ses grandes lignes, il a été adopté par plusieurs Églises protestantes (n° 57). Des améliorations sont souhaitables, mais les grandes orientations resteront.

Concluons : la question du latin est secondaire par rapport à la mise en œuvre effective des enseignements du Concile sur le rapport entre Écriture et Eucharistie, et c’est bien sur ce point qu’il faut insister.

En même temps, il ne faut pas minimiser la requête de la grande majorité des fidèles à entendre la Parole de Dieu dans leur propre langue. L’enjeu pastoral est immense, comme peuvent en témoigner tous ceux et celles qui sont engagés dans le catéchuménat ou dans la préparation aux sacrements. Le choix des textes bibliques et leur explication constituent des moments essentiels de l’évangélisation.

L’autorisation plus large de la célébration en latin doit être comprise comme une concession et non comme une mise en cause de la réforme liturgique du concile Vatican II. L’adoption par tous d’un même lectionnaire serait un beau signe d’unité. »

(1) invocation au Saint-Esprit dans les liturgies chrétiennes afin d’évoquer sa puissance créatrice

29 juillet 2017

[Mgr Williamson - Initiative St Marcel] Consécration Selon Fatima – I

SOURCE - Mgr Williamson - Initiative St Marcel - 29 juillet 2017

Notre Dame eût voulu sauver l’homme damné,
Mais, pécheur, il blessa son Cœur Immaculé.

En mai dernier, quatre évêques ont fait à Vienne, en Virginie (États-Unis), tout ce qui dépendait d’eux pour consacrer la Russie au Cœur Immaculé de Marie. Ils ont employé, pour cette consécration, une formule quelque peu différente des formules habituellement utilisées. Elle comportait un bref historique des demandes de la Vierge Marie, prouvant que les dirigeants de l’Église, n’ont pas répondu jusqu’ici comme il convenait à la demande simple, proposée par le Ciel, pour résoudre les problèmes sans précédents que l’Église et le monde doivent affronter. Le but de cette formule était de permettre à tout le monde de comprendre que ces problèmes, par ailleurs insolubles, sont entièrement imputables, non pas au Bon Dieu, mais uniquement au manque de foi des ecclésiastiques. Ceux-ci devraient simplement obéir à ce que Notre-Dame leur a demandé de faire, en dépit de tout ce que Vatican II voudrait leur faire faire. A quels désastres va-t-il falloir assister, avant qu’ils ne se résolvent à faire ce que veut la Saint Vierge pour le salut de tous ? Voici la première moitié de la Consécration prononcée en Virginie :—
Très Sainte Mère de Dieu, Cœur Immaculé de Marie, Trône de la Miséricorde, Trône de la bonté, Trône du Pardon, Porte salutaire par laquelle les âmes accèdent au entrer au Ciel, regardez, prosternés à genoux devant vous, quatre fils de Mgr Lefebvre, quatre évêques qui s’efforcent, autant qu’il est en eux, de vous aider à obtenir du Pape et des évêques de la seule vraie Église de votre Divin-Fils, la Consécration de la Russie à votre Cœur Douloureux et Immaculé. Alors que se profile l’ombre d’une terrible troisième guerre mondiale, seul votre Cœur peut encore obtenir la paix pour l’humanité. Il y a cent ans, à Fatima, au Portugal, vous avez prédit à l’humanité que la Seconde Guerre mondiale allait éclater, vous avez annoncé la famine et les persécutions, si les gens ne cessaient pas d’offenser Dieu. Pour éviter ces malheurs, vous avez promis de revenir demander la Consécration de la Russie à votre Cœur Immaculé ainsi que la Communion réparatrice des premiers samedis ; si l’on écoutait vos demandes, la Russie se convertirait, et il y aurait la paix. Sinon, ces catastrophes auraient lieu et la Russie répandrait ses erreurs dans le monde entier. Au cours des 12 années qui suivirent, vous êtes revenue, comme vous l’aviez promis, et vous avez fait cette double demande. 
Cependant, préférant mettre leur confiance dans des moyens purement humains pour résoudre les graves problèmes de l’Église, les ecclésiastiques catholiques ont encore repoussé l’exécution de ce que vous aviez demandé. Deux ans plus tard, votre Divin Fils en personne faisait prévenir l’humanité, par Sœur Lucie de Fatima que, puisque ses ministres tardaient tant à exécuter ses commandements, de graves conséquences allaient s’en suivre : la Russie répandrait ses erreurs dans le monde entier, provoquant des guerres et des persécutions contre l’Église ; le pape aurait beaucoup à souffrir. En dépit de tout,, le pape préféra en rester à ses moyens humains pour traiter avec la Russie. 
En 1936, Notre Seigneur expliqua à Sœur Lucie que la condition nécessaire à la conversion de la Russie résidait dans sa Consécration à votre Cœur Immaculé, parce qu’Il voulait que cette conversion fût pour toute l’Église l’occasion de reconnaître le triomphe de votre Cœur et qu’ainsi, la dévotion envers votre Cœur Immaculé soit promue à côté de la dévotion à son Sacré-Cœur. 
Les hommes d’Église atermoyaient toujours ; si bien qu’en 1939, éclata cette terrible Seconde Guerre mondiale : et le communisme étendit son pouvoir partout dans le monde. Dans l’immédiat après-guerre, les vierges pèlerines de Fatima connurent un grand succès ; mais les ecclésiastiques ne faisaient toujours pas exactement ce que vous aviez demandé ; c’est alors qu’en 1957, avant qu’elle ne soit réduite au silence sur ordre de ses supérieurs, Sœur Lucie fit part de votre propre tristesse parce que personne, parmi les bons comme parmi les mauvais, ne prêtait attention au message de Fatima. Vous avez dit que les bons ne lui accordaient aucune importance tandis que les mauvais ne s’en souciaient guère. Pourtant, une fois de plus, vous avez annoncé l’approche d’un terrible châtiment.
Pour en savoir plus sur ce châtiment, vous pourrez lire les “Commentaires Eleison” de la semaine prochaine.

Kyrie eleison.

28 juillet 2017

[Olivier Bault - Présent] L’Eglise: une barque qui prend l’eau, selon Benoît XVI

SOURCE - Olivier Bault - Présent - 28 juillet 2017

Le cardinal Meisner, ancien archevêque de Berlin et de Cologne décédé le 5 juillet dernier, était un ami du pape émérite Benoît XVI et aussi un des quatre cardinaux signataires des fameuses dubia à propos de l’exhortation apostolique Amoris laetitia. Ainsi, quand, lors de ses obsèques célébrées le 15 juillet en la cathédrale de Cologne, Mgr Gänswein a lu le message de Benoît XVI, certains y ont vu une critique de la direction prise par l’Eglise sous l’impulsion du pape François : « La chose qui m’a le plus ému, c’est la manière dont il a vécu la dernière période de sa vie avec la certitude toujours plus profonde que le Seigneur n’abandonne pas son Eglise même si parfois la barque se remplit d’eau jusqu’à être sur le point de chavirer. »
   
Cette phrase a été beaucoup reprise et interprétée, ce qui a poussé Mgr Gänswein, préfet de la maison pontificale et ancien secrétaire particulier du pape Benoît XVI, à réagir dans le journal italien Il Giornale le 18 juillet, en qualifiant la polémique de stupide : « Le pape émérite a été volontairement instrumentalisé. Avec cette phrase il ne faisait allusion à rien de précis, il parlait de la situation de l’Eglise d’aujourd’hui comme du passé avec une barque qui ne navigue pas dans des eaux tranquilles. François dit la même chose. »

Il n’empêche qu’au jour de sa mort, Mgr Meisner, au même titre que les autres signataires des dubia, n’avait toujours pas reçu de réponse de l’actuel évêque de Rome. Les mots du prédécesseur de ce dernier raviveront aussi les doutes de certains vaticanistes sur les raisons de la renonciation de Benoît XVI en 2013, tels ceux régulièrement exprimés par le journaliste catholique italien Antonio Socci (près de 66 000 fans sur sa page Facebook officielle) qui s’obstine à appeler François par le nom de Bergoglio.

Pour rappel, le pape François avait justifié son refus de répondre aux dubia signées par les cardinaux Raymond Burke, Carlo Caffarra, Walter Brandmüller et Joachim Meisner parce qu’elles étaient pour lui une démonstration de « légalisme » et de « rigorisme » et une critique « entraînée par un esprit mauvais pour susciter des divisions ». Tels ont été les mots très durs du Saint Père après que les cardinaux eurent décidé de rendre publics le 14 novembre dernier leurs cinq demandes d’éclaircissements à propos d’Amoris laetitia. Pourtant, la multiplication des interprétations très divergentes selon les pays de l’exhortation apostolique de François quant à l’accès à la communion des personnes divorcées vivant dans une nouvelle union montre bien que tout n’est pas clair pour tout le monde.

Et loin de considérer que son ami Joachim Meisner était animé d’un esprit mauvais, Benoît XVI a rappelé, dans son message lu aux funérailles de Mgr Meisner, que lorsque le cardinal avait été retrouvé mort dans sa chambre, « le bréviaire était dans ses mains. Il est mort alors qu’il était en train de prier, en regardant le Seigneur et en parlant avec lui. Une mort qui démontre encore une fois comme il a vécu, en présence du Seigneur, et en conversation avec lui ».

Olivier Bault

27 juillet 2017

[Philippe Maxence - L'Homme Nouveau] L'Institut du Christ-Roi se développe : notre entretien avec Mgr Wach

Mgr Gilles Wach en compagnie
du cardinal Burke et des sœurs
adoratrices
SOURCE - Philippe Maxence - L'Homme Nouveau - 27 juillet 2017

Mgr Gilles Wach est le fondateur et le prieur général de l'Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre (ICRSP) société de Vie Apostolique en forme canoniale de Droit Pontifical dont la principale mission est la formation de futurs prêtres en son séminaire de Gricigliano (Italie). Il a bien voulu répondre à nos questions sur le développement de cet institut et sur la portée du motu proprio Summorum Pontificum dont on a fêté le 7 juillet dernier les dix ans d'application.
L'Institut du Christ Roi Souverain Prêtre (ICRSP) que vous dirigez a eu la grâce de plusieurs ordinations cette année encore. Les vocations ne se tarissent donc pas ?
Notre Institut a effectivement depuis plusieurs années la grâce de nombreuses ordinations sacerdotales, 29 depuis 2015 dont 6 cette année. Nos maintenant 106 chanoines exercent leur ministère sur trois continents, dans treize pays. C'est S.E.R. le Cardinal Burke qui cette année encore nous a fait l'honneur de venir ordonner nos prêtres, tandis que S.Exc.R. Mgr Pozzo, secrétaire de la Commission Pontificale Ecclesia Dei est venu ordonner 13 diacres et sous-diacres pour notre Institut.
Ces vocations viennent du monde entier, en particulier d'Europe et de France. Notre maison de formation, le séminaire international Saint-Philippe-Néri de Gricigliano, situé à côté de Florence en Italie, s'apprête à recevoir en septembre 2017 plus de 20 nouveaux séminaristes en première année de formation. A ceux-là s'ajoutent une quinzaine de jeunes hommes qui vont passer une année de discernement dans nos maisons aux États-Unis, en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en France.
Au total, c'est une centaine de vocations que nous accueillons actuellement pour les former au sacerdoce, dont 9 diacres.

Notre Institut compte également des oblats, c'est à dire de jeunes hommes qui se sentent destinés à se consacrer au sacerdoce de Jésus Christ Souverain Prêtre par une vie de prière liturgique avec nos chanoines, et par le service rendu au ministère sacerdotal dans notre Institut, sans avoir vocation à devenir prêtres. Ils sont actuellement une dizaine dans notre Institut, et autant en formation dans nos différentes maisons. Ils représentent 10% de nos membres, ce qui est une part importante et souvent méconnue de notre Institut ; leur aide est pourtant précieuse dans nos apostolats ; grâce à Dieu, leur nombre aussi est en croissance.

Je n'oublie pas nos sœurs Adoratrices, qui elles aussi attirent de nombreuses vocations, probablement cinq ou six nouvelles postulantes entreront dans les mois qui viennent. Cette branche féminine de notre Institut, présente dans trois pays, compte maintenant près de quarante religieuses. Elles apportent une grande aide à nos prêtres, d'abord dans la prière à leurs intentions, mais aussi en participant à divers labeurs apostoliques.
Quelle est la spécificité de votre Institut qui explique l'attirance toujours nombreuse de jeunes hommes (ou de jeunes filles pour la branche féminine) en son sein ?
Je constate tout d'abord que ces vocations viennent pour la plupart d'elles-mêmes frapper à notre porte ; il n'y a pas chez nous de communication "pastorale" particulière sur ce sujet. Plusieurs de nos prêtres et de nos séminaristes ont connu notre Institut seulement à travers nos sites internet ! Tous ces jeunes hommes sont attirés par le sens du Beau, principalement dans la liturgie. Bon nombre d'entre eux découvrent la forme extraordinaire tardivement, et ils y trouvent la réponse à cette soif intérieure qui les brûle.

Notre vie canoniale, qui met à la première place la célébration du Saint Sacrifice de la Messe et le chant de l'Office Divin, est en quelque sorte le moyen voulu par la Providence pour l'épanouissement de ces vocations. C'est à travers cette liturgie soignée que nous participons dès ici-bas à la splendide liturgie de la Jérusalem céleste.

Ces vocations, tout en restant résolument apostoliques, recherchent aussi une communauté pour éclore. A l'école de nos saints patrons, saint François de Sales pour sa spiritualité centrée sur la charité, saint Thomas d'Aquin pour les études et saint Benoît pour la liturgie, ces jeunes gens approfondissent au fur et à mesure et se nourrissent davantage du charisme propre de notre Institut.

Il semble donc que la Providence continue de nous envoyer des vocations tant que nous demeurons fidèles à mettre Dieu à la première place par une vie liturgique soignée et par une observation fidèle de la forme canoniale de nos Constitutions telles qu'elles ont été reconnues par le Saint-Siège.

Il en est de même pour nos sœurs Adoratrices qui "suivent le même esprit, prient pour la sanctification des prêtres, et particulièrement des membres de l’Institut, dont elles soutiennent l’apostolat."
Institut international, vous venez d'ouvrir, je crois, un nouveau lieu d'apostolat en Angleterre, mais vous êtes aussi présent ailleurs ?
Notre Institut est effectivement en plein extension, et à l'issue de notre Chapitre Général qui se tiendra fin août, nous pourrons annoncer notre implantation dans plusieurs nouveaux apostolats, aux États-Unis, en France, en Angleterre, etc. Nous essayons de répondre, partout où cela est compatible avec notre vie communautaire, aux demandes des évêques qui souhaitent dans leur diocèse avoir l'aide de chanoines de l'Institut et faire bénéficier leurs fidèles des richesses de la forme extraordinaire du rite romain.

Le développement de notre apostolat en Angleterre est à ce titre en effet significatif. Deux évêques nous ont depuis plusieurs années accueillis avec une très grande bienveillance dans leurs diocèses, l'évêque de Shrewsbury, S.Exc.R. Mgr Davies, qui a conféré les Ordres mineurs à nos séminaristes cette année, et l'évêque de Lancaster, S.Exc.R. Mgr Campbell. Ils nous ont confié la charge de splendides sanctuaires dont l’un (New Brighton) était fermé au public, faute d’entretien suffisant. Nos sanctuaires ont la mission de promouvoir la dévotion Eucharistique et la célébration de tous les Sacrements dans la forme extraordinaire. Pour la rentrée prochaine, S.Exc.R. Mgr Campbell confie à notre Institut une nouvelle église à Preston, dédiée à Saint Thomas de Cantorbéry et aux Martyrs Anglais ; elle sera désormais desservie par l’Institut comme sanctuaire pour la dévotion aux Martyrs anglais (les catholiques, principalement des prêtres, qui furent martyrisés pour leur foi entre 1535 et 1679 - beaucoup provenant du comté du Lancashire, dont dépend Preston), dont l’église possède actuellement plusieurs reliques insignes. Mgr Campbell a aussi donné son accord à l'ouverture d'une école où nos chanoines œuvreront. Enfin, en novembre 2017, une maison de formation pour l’Institut sera aussi ouverte, où de jeunes hommes pourront apprendre le français et suivre une formation préparatoire à leur entrée éventuelle dans l’Institut (comme séminaristes ou comme oblats).

D'un pays à l'autre, et même d'un continent à l'autre puisque nous sommes présents de l'île Maurice aux États-Unis, en passant par le Gabon et bien sûr la plus grande partie des pays d'Europe, les mentalités sont très différentes, mais il existe un point commun : les fidèles restent universellement assoiffés de Dieu. L'on mesure partout les immenses bienfaits que la présence d'un prêtre ou d'une communauté de prêtres peut apporter en ouvrant grand le trésor des sacrements : que ce soit dans les paroisses, églises, chapelles, écoles, hôpitaux ou toute autre œuvre qui nous est confiée.
Le 7 juillet dernier, nous avons fêté les 10 ans du motu proprio Summorum Pontificum. Quel bilan en tirez-vous ?
Le Motu Proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI avait pour objectif de permettre une diffusion aussi large et généreuse que possible de la forme extraordinaire du rite romain.
Celui-ci a déjà porté de nombreux fruits sur ce plan là, et dans le monde entier nous avons pu assister à la multiplication des célébrations dans l'usus antiquior, aussi bien par des prêtres appartenant à des communautés dépendant d'Ecclesia Dei que par des religieux ou des prêtres diocésains : la Messe traditionnelle a en quelque sorte enfin retrouvé en pratique le droit d'exister, même si l'on peut regretter que l'application ait été bien parcimonieuse et réticente dans un certain nombre d'endroits où toutes les conditions sont pourtant remplies.

Ce Motu Proprio restera dans l'Histoire comme l'un des actes majeurs du Pontificat de Benoît XVI, sa portée ne se limite absolument pas aux groupes de fidèles, d'ailleurs de plus en plus nombreux, qui en bénéficient directement. La liturgie traditionnelle a été officiellement rendue à l’Église, et par le même fait, l’Église a été rendue à la liturgie. Comme le notait à l'époque le Cardinal Ratzinger, la crise dans l’Église provient d'abord de la crise dans la liturgie, et dans cette perspective, c'est seulement par une restauration de la liturgie qu'une solution à cette crise peut être espérée. La Providence suscitera certainement de grands liturges et hommes de prières comme furent Durand de Mende, Mgr Gromier ou ces deux fils de Saint Benoît : dom Guéranger au XIX° et le cardinal Schuster au XX°.

Permettez-moi de vous citer quelques phrases que Dom Guéranger écrivait dans son Introduction à l'Année liturgique :
Or, sur cette terre, c'est dans la sainte Église que réside ce divin Esprit. Il est descendu vers elle comme un souffle impétueux, en même temps qu'il apparaissait sous l'emblème expressif de langues enflammées. Depuis lors, il fait sa demeure dans cette heureuse Épouse; il est le principe de ses mouvements; il lui impose ses demandes, ses vœux, ses cantiques de louange, son enthousiasme et ses soupirs. De là vient que, depuis dix-huit siècles, elle ne se tait ni le jour, ni la nuit ; et sa voix est toujours mélodieuse, sa parole va toujours au cœur de l’Époux. 
Tantôt, sous l'impression de cet Esprit qui anima le divin Psalmiste et les Prophètes, elle puise dans les Livres de l'ancien Peuple le thème de ses chants ; tantôt, fille et sœur des saints Apôtres, elle entonne les cantiques insérés aux Livres de la Nouvelle Alliance ; tantôt enfin, se souvenant qu'elle aussi a reçu la trompette et la harpe, elle donne passage à l'Esprit qui l'anime, et chante à son tour un cantique nouveau ; de cette triple source émane l'élément divin qu'on nomme la Liturgie. La prière de l’Église est donc la plus agréable à l'oreille et au cœur de Dieu, et, partant, la plus puissante.
La sainte liturgie est ce pont dressé vers le Ciel qui nous met en contact direct et immédiat avec le Seigneur. Œuvre d’amour par excellence, le culte divin constitue le renouvellement, l’actualisation, la continuation de la Passion du Christ ; et de découvrir à la médiocrité du siècle la miséricorde du Sauveur, et d’en dispenser les innombrables faveurs. Que ce soit dans la sainte Eucharistie – le Sacrement d’amour par antonomase -, la vie sacramentelle ou le chant de l’office divin, Notre-Seigneur continue à inonder le monde de ses grâces.

Je suis convaincu que la grande richesse de la forme extraordinaire encourage et stimule ce contact de l'âme avec Dieu, que ce soit l'âme du prêtre qui célèbre le saint Sacrifice ou l'âme des fidèles qui y participent. Nos prédécesseurs dans la Foi ont pendant des siècles puisé dans ce réservoir comme à une fontaine d'eau vive, et le pape Benoît XVI a rouvert un accès facile à ce trésor : ne nous lassons pas de le faire découvrir !
La liturgie romaine traditionnelle est essentiellement théocentrique. N'est ce pas ce qui manque terriblement à notre monde actuel : la présence de Dieu ?
Si Dieu ne règne pas par sa présence, Il règne par son absence et c’est l’enfer. C’est un peu paraphraser ce que disait le grand Cardinal Pie, évêque de Poitiers au XIXe siècle :
« de toute façon, Dieu règne toujours, soit par les malheurs dus à son absence, soit par les bienfaits de sa présence ».
Donnons la primauté à Dieu en tout, et d'abord dans le culte qui lui est dû ; l’Église et l'humanité ne s'en trouveront que mieux ; voilà le vrai remède. Que l'Esprit Saint ouvre les cœurs et les esprits à ses ministres sacrés pour en faire des instruments humbles et fidèles à son service.

26 juillet 2017

[Peregrinus - Le Forum Catholique] "Révolution française et traditionalisme (VIII) : Le serment, mythes et réalités"

La crise du serment se trouve, avec les persécutions de la Terreur, au cœur des représentations traditionalistes de la Révolution française. Cela est particulièrement net dans l’apologue du « Vicaire silencieux » déjà cité à plusieurs reprises dans cette petite série, publié en mars 2017 dans le Petit Eudiste, bulletin du prieuré de Gavrus (1), qui d’ailleurs confond tout uniment ces deux épisodes, comme cela a déjà été signalé. 

De manière intéressante, l’apologue s’attarde très peu sur l’attitude des prêtres constitutionnels : du curé jureur condamné pour s’être uni à la « Révolution anti-Dieu et anti-Roi », il n’est finalement qu’assez peu question. Comme le titre l’indique, c’est avant tout l’attitude de l’un des vicaires de la paroisse, explicitement associée à celle de l’actuel clergé des instituts Ecclesia Dei (2), qui doit retenir l’attention. Il importe de rappeler que dans le récit du Petit Eudiste, le vicaire n’a pas prêté le serment dit constitutionnel du 27 novembre 1790. Le prêtre « n’aime pas » la Constitution civile du clergé, mais par prudence ne veut pas que son opposition aux réformes soit connue : il espère ainsi rester en place pour donner aux fidèles les sacrements et prêcher ce qu’il a « toujours prêché : l’amour de Jésus, la prière, la pénitence… » Pour ce vicaire, la Constitution civile du clergé est avant tout une « question qui relève de Rome ». On s’en doute, ce prêtre s’attire une forte condamnation : il fait le « jeu de la Révolution en lui donnant une apparence honorable ». Du point de vue du fidèle Michel, que l’apologue nous donne en modèle, la décision est prise : 
Il est hors de question de se compromettre avec la Révolution, donc ni avec le Curé jureur, ni avec son vicaire silencieux, pas même une fois, et surtout pas pour la messe. […] Je n’irai plus à la paroisse (3).
Voilà donc quelle est l’image de l’attitude catholique dans la crise du serment que nous donne un bulletin traditionaliste d’aujourd’hui. 
On a déjà vu que le Petit Eudiste a quelques problèmes avec la chronologie. On va voir qu’il n’en a pas moins avec le fond de la question dont il traite avec pourtant beaucoup d’assurance. 

Il faut relever tout d’abord que la situation du vicaire est elle-même assez invraisemblable. Le clergé paroissial a été tenu de faire publiquement le serment au cours des mois de janvier et de février 1791 ; un prêtre de paroisse qui se serait contenté de garder le silence aurait non sans raison été tenu pour insermenté et donc expulsé de sa place par les autorités civiles. Cependant, en considérant les effectifs pléthoriques du clergé de France à l’époque du serment, on ne peut tout à fait exclure que le cas se soit présenté ; il n’est en tout cas guère représentatif. 

Cette relative invraisemblance n’est toutefois pas le principal problème que pose l’apologue. En effet, si l’on y regarde bien, l’attitude qu’il dénonce est en réalité celle d’une partie considérable du clergé réfractaire, à commencer par l’épiscopat. Au vicaire silencieux, il est reproché tout d’abord de ne pas tenir contre la Constitution civile qu’il « n’aime pas » un langage incisif, mais d’en faire une « question qui relève de Rome », en un mot de s’en remettre au jugement de l’Eglise universelle. C’est pourtant précisément ce qu’ont fait à l’époque les évêques de France. 

Il suffit pour le prouver de citer l’Exposition des principes de Mgr de Boisgelin, archevêque d’Aix, la plus notable critique épiscopale des réformes de la Constituante. Les évêques, rappelle le prélat, ont « réclamé, selon les formes antiques de l’église gallicane, le recours au chef de l’église universelle (4)»:
Nous pensions que notre premier devoir est d’attendre, avec confiance, la réponse du successeur de saint Pierre, qui, placé dans le centre de l’unité catholique et de la communion, doit être l’interprète et l’organe du vœu de l’église universelle (5).
C’est encore ainsi qu’au lendemain du Concordat l’ancien archevêque d’Aix résume l’attitude de l’épiscopat de France :
Tous les mémoires, […] toutes les consultations que nous adressions à sa sainteté, étoient toujours fondés sur ce principe, qu’il étoit notre juge, par notre déclaration, comme par son autorité, et que nous nous en rapportions à son jugement (6).
Il est donc pour le moins étrange de faire au « vicaire silencieux » un crime d’une position qui a été en réalité celle d’une part considérable des évêques fidèles ; et peut-être cela en dit-il malheureusement déjà très long sur la mission dont semblent se croire investis certains clercs et laïcs d’aujourd’hui. 

Le Petit Eudiste reproche encore au vicaire de s’être laissé par son silence prendre pour un jureur par ses paroissiens. Ce point n’est pas sans intérêt. Le serment constitutionnel du 27 novembre 1790 est rejeté comme impie par les réfractaires « parce qu’il attaque l’autorité de J.C. dans les mains de son église (7) » dans la mesure où il représente une adhésion aux atteintes que porte la Constitution civile du 12 juillet 1790 aux principes de la juridiction ecclésiastique. C’est avant tout en tant que tel qu’il a été combattu par les évêques fidèles. Cependant, ceux-ci, pour éviter le schisme, ont tenté jusqu’au bout de trouver une formule de conciliation. La plus notable est celle que propose à l’Assemblée le 2 janvier 1791 François de Bonal, évêque de Clermont.
   
Il faut ici préciser que Mgr de Bonal, prélat instruit et vigoureux, n’est pas le premier venu, mais s’impose rapidement comme l’un des meilleurs orateurs de la droite catholique de l’Assemblée et l’un des plus constants défenseurs des droits de l’Eglise (8). Cet évêque intransigeant tente donc de soumettre à la Constituante une autre formule de serment: 
Je jure de veiller avec soin, sur les fidèles dont la conduite m’a été ou me sera confiée par l’église ; d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir, de tout mon pouvoir, en tout ce qui est de l’ordre politique, la constitution décrétée par le roi, exceptant formellement les objets qui dépendent essentiellement de l’autorité spirituelle (9).
Ce serment, qui ne se distingue du serment constitutionnel que par l’ajout d’une restriction relative au spirituel, est donc jugé tout à fait acceptable par un évêque qui se signale alors par sa rigueur doctrinale, et a dans les faits été prêté par un grand nombre de curés et vicaires. C’est le cas par exemple de Jean-Joseph Traizet, curé d’Ormois au diocèse de Soissons, qui revient dans ses mémoires sur l’épisode du serment:
Comme on avait mis dans la tête de nos paroissiens, que le refus que nous pourrions en faire, serait une preuve certaine du mépris que nous ferions d’eux, je crus devoir le faire, mais avec une restriction catholique, comme faisaient nos confrères voisins, et les paroissiens en témoignèrent un grand contentement (10).
On le voit, l’abbé Traizet, ne se contente pas de garder le silence comme le vicaire de l’apologue, mais prête le serment restrictif pour ne pas se séparer de ses paroissiens en passant à leurs yeux pour réfractaire aux lois. Le Petit Eudiste n’aurait sans doute pas de mots assez durs pour condamner tant de compromis avec la « Révolution anti-Dieu et anti-Roi ». Pourtant, jamais l’abbé Traizet n’a encouru la moindre censure de la part de son évêque, l’intransigeant Mgr de Bourdeilles ; jamais il n’est mis au nombre des constitutionnels, ni par ses supérieurs ecclésiastiques, ni par les autorités civiles, qui lui font subir toutes sortes de persécutions. Son attitude est en réalité celle de la quasi-totalité des curés réfractaires de son diocèse.

Sans bien s’en rendre compte, c’est donc une part non négligeable du clergé fidèle, et parfois de véritables confesseurs de la foi, que le Petit Eudiste, pour qui la crise du serment relève visiblement davantage de la mythologie que de l’histoire, rejette comme des prêtres compromis avec la Révolution: il n’est pas question d’assister à leur messe, même une seule fois, nous dit Michel, l’exemplaire laïc de l’apologue, qui fuit donc désormais sa paroisse. 

L’attitude de Michel, on le devine en lisant ce qu’écrivaient du schisme les canonistes du camp réfractaire, aurait été dénoncée à l’époque comme schismatique par bien des prêtres fidèles. On aura l’occasion d’y revenir. 

(A suivre)

Peregrinus
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(1) Abbé Etienne de Blois, « Un vicaire silencieux », Le Petit Eudiste, n°202, mars 2017, p. 10-11
(2) « Remplaçons […] silencieux par rallié… Notre devoir est tout tracé » (ibid., p. 10).
(3) Ibid., p. 11.
(4) Examen des principes sur la Constitution civile du clergé, Le Clère, Paris, 1801, p. 68.
(5) Ibid., p. 76.
(6) « Lettre de M. l’archevêque d’Aix, en réponse au Bref de sa sainteté le pape Pie VII, en date du 15 août 1801 », dans Exposition des principes, op. cit., p. 202.
(7) Gabriel-Nicolas Maultrot, Comparaison de la Constitution de l’Eglise catholique, avec la Constitution de la nouvelle Eglise de France. Moyen de les accorder, Dufresne, Paris, 1792, p. 14. 
(8) Nigel Aston, The End of an Elite. The French Bishops and the Coming of the Revolution (1786-1790), Clarendon Press, Oxford, 1992, p. 230.
(9) Discours de M. l’évêque de Clermont, relativement au serment exigé par l’assemblée nationale, et qu’il a prononcé en partie dans la séance du dimanche matin, 2 janvier 1791, Imprimerie Briand, Paris, 1791, p. 13.
(10) Mémoire de l’abbé Traizet sur son émigration, précédées d’une notice sur l’auteur par l’abbé Pécheur, Imprimerie A. Michaux, Soissons, 1875, p. 23.