25 juin 2017

[Abbé Michel Simoulin, fsspx - Le Seignadou] Le calme des vieilles troupes

SOURCE - Le Seignadou - juillet 2017

Je vais encore parler un peu de moi, mais rassurez-vous, ce sera la dernière fois. En effet, des « amis » disent que j’ai vieilli ! Il est bien vrai que mon âge a doublé depuis mon ordination ! Mais comme nous vieillissons tous d’un pas égal, je ne vois pas l’intérêt de s’y arrêter ! Je pourrais peut-être prendre cela comme un compliment, car le vin se bonifie avec l’âge… mais je ne crois pas que telle soit la pensée de ces amis, et je pense plutôt qu’on estime que j’ai perdu de ma première vigueur : je ne dis plus ce que je disais autrefois, je me suis ramolli, mon discours est devenu différent ! Cela serait donc une bonne nouvelle : je ne répète pas toujours la même chose, et donc je ne radote pas ! Mais alors, ai-je vieilli ?
     
En fait, je crois que le reproche sous-jacent est le même que celui qui est fait parfois à Mgr Fellay, qui se serait ramolli parce qu’il ne passe pas son temps à redire ce qu’il a déjà dit, et à condamner tout ce qui est condamnable ! On le dit même isolé ou minoritaire ! Il s’en est expliqué lui-même, et j’ajouterai simplement qu’il est normal qu’il n’intervienne pas toujours lui-même, soit parce que des cardinaux l’ont fait, soit parce nos théologiens le font suffisamment. Je pense, entre autres, à l’excellent article de M. l’abbé Gleize « pour une entente doctrinale », et au texte plus récent : La Lettre sur les mariages : éclaircissements et mises au point. En outre, il n’est pas nécessaire d’être saint-cyrien pour s’apercevoir que, depuis 2000, la situation n’est plus la même : l’Eglise demeure « semper idem », mais les papes passent et passeront encore, les personnes sont différentes, et il n’est pas possible de traiter avec le pape François comme avec Jean-Paul II, ni avec le cardinal Müller comme avec le cardinal Ratzinger. Cela est tellement évident que je ne sais pas pourquoi je perds mon temps à le signaler !

Mais aucun d’entre nous ne peut attendre de Mgr Fellay qu’il enseigne, encourage ou donne l’exemple de l’insubordination. Pas plus que Mgr Lefebvre qui, au plus fort de ses contestations proclamait toujours sa fidélité à Rome et son refus de rompre, quel que soit le pape et quels que soient ses agissements, quel que soit le véritable maître de cette pensée moderniste qui a pénétré jusqu’aux viscères de l’Eglise… Nul d’entre nous ne peut attendre de Mgr Fellay qu’il ne respecte pas la primauté de Pierre, même si, d’évidence, Pierre ne marche pas droit selon la vérité de l’Evangile (Galates II, 14).

Quant à moi, j’ai tout dit et écrit quand j’étais en poste d’autorité, et il suffit de s’y reporter pour connaître ma pensée sur Jean XXIII ou le Concile, sur Jean-Paul II, le nouveau catéchisme, Assise et autres nouveautés conciliaires. Les articles, études, interventions que j’ai publiés sont assez nombreux et à la disposition de tous, et, sur ces questions, je n’ai pas changé. Je ne retire rien de tout cela mais, n’étant plus en situation d’autorité, je laisse parler à présent ceux dont c’est la fonction.

Mais là n’est pas le plus important. Je relisais ces jours-ci la brochure réalisée par sa famille sur l’admirable capitaine Jean Botet de Lacaze, mort au champ d’honneur le 3 mai 1917. Après le désastre de l’opération Nivelle, il cherchait à remonter le moral de son entourage : « Pourquoi vouloir jouer aux stratèges ? Nous sommes des exécutants. Les états-majors ont sans doute des conceptions qu'ils n'ont pas à répandre dans la troupe. C'est leur métier de penser. Le nôtre est de maintenir notre estomac en bon état, de cultiver quelques idées générales. Avec ce bagage, on fait honnêtement la guerre. Car, avant tout, il faut faire la guerre, sans quoi, il était vainement cruel de plonger nos familles dans l'inquiétude. Mais, pour bien faire la guerre, il faut d'abord croire à la victoire même au mépris de la vraisemblance. Si ce n’est pas nous qui en cueillons les lauriers, cela n'a d'importance que relative ... Le pays ne fait pas la guerre pour que nous nous en amusions; ... mais pour qu'il puisse mener cette guerre, il faut que nous la fassions avec une foi qui est à la base des actions fructueuses et, aussi, un acte d'humilité préalable en faisant litière de nos raisonnements et autres prévisions tactiques d'exécutants. Notre devoir est de nourrir nos chevaux et de mettre au point notre équilibre physique. »

L’analogie est claire, et il est facile de transposer ces réflexions à la situation dans laquelle nous nous trouvons. Pour poursuivre l’analogie, que dirait-on d’un capitaine qui proclamerait à ses troupes qu’il a un plan de manœuvre personnel génial, meilleur que celui du général ? Et que dirait-on encore s’il le faisait de telle sorte que l’adversaire apprenne ce désaccord, et sache que le front n’est pas uni ? Même si son plan était meilleur, il aurait gravement mis en péril l’union des cœurs nécessaire à ceux qui mènent le même combat, et donné des armes à ses adversaires. Il mériterait tout simplement d’être passé par les armes !

En outre, je ne sais pas qui lance sans cesse ces fausses nouvelles sur l’imminence d’un accord, et annonce même des dates, etc.… Voilà des années que cela se produit, et à chaque fois, certains tombent dans le panneau et les réactions créent confusion et troubles ! C’est la vieille tactique : Diviser pour régner. Saint Jean nous dit que le propre de l'Antéchrist est de chercher à scinder Jésus: Omnis spiritus qui solvit Jesum, est antichristus (1 Joan., IV, 3). Scinder Jésus, c'est briser le lien qui unit les membres de son Corps mystique. C'est le travail de l'esprit d'erreur.

Mais, me direz-vous, Mgr Lefebvre critiquait bien l’autorité publiquement ! Certes mais avez-vous observé qu’après son action au Concile, il a commencé par agir en silence, pour donner à l’Eglise l’arme capable de répondre aux erreurs en fondant la Fraternité ; et ce n’est que dix années après la fin du Concile qu’on a commencé à parler de lui : il n’a parlé publiquement qu’après avoir été lui-même pris à partie et attaqué publiquement par Rome et par les évêques français, en 1975-1976. L’initiative du débat public a été le fait des autorités romaines, et puis, il me semble que l’enjeu était différent. Il est trop facile de se parer d’une fidélité à Mgr Lefebvre pour faire ce qu’il n’a jamais fait. N’est pas Mgr Lefebvre qui veut !

Enfin, je vous avoue que, dans la confusion actuelle, je ne suis pas impressionné par les contestations, moins importantes qu’il paraît, et je sais que Mgr Fellay est moins minoritaire que ne le disent les contestataires de tout poil. Mais je suis plutôt impressionné par le calme des vieilles troupes ! Oui, honneur à nos vieux « maréchaux », ceux des premières années et des premiers combats qui ont traversé toutes les bourrasques et demeurent les témoins fidèles de la vigueur des grâces initiales ! Je voudrais les citer tous – je pense à ceux qui m’ont précédé au séminaire, qui sont prés d’une trentaine, – car ils oeuvrent dans le silence sans prétendre donner des leçons à nos supérieurs. Les crises n’ont pas manqué pourtant : 1975, 1977, sédévacantisme, 1988, 2004, etc. ou plus simplement et de façon continue: l’esprit d’indépendance ! La fidélité et la vigueur des vieilles troupes sont peut-être un des arguments les plus convaincants pour calmer les craintes des jeunes générations ! Cela m’impressionne beaucoup plus que le bruit qui se fait autour de quelques résistants, déclarés ou non.

Que n’entendons-nous pas comme stupidités ? La plus grosse est peut-être celle que j’ai entendue l’autre jour dans la bouche  d’un ecclésiastique (ancien de chez nous !), à savoir que les prêtres de la Fraternité se répartissent entre résistants et accordistes ! Ce bon abbé est devenu champion dans l’art de la dialectique ! Quoiqu’il en dise, il y a tout simplement une majorité de prêtres ni accordistes ni résistants, qui font leur travail sans bruit et font confiance à leurs supérieurs pour faire le leur.

Méditons cette sage réflexion, adaptée d’une pensée d’Ernest Hello: « L'homme est si petit qu'il se complaît en lui : mais il est si grand qu'il ne se satisfait qu'en Dieu. Le chef d'école veut être le maître : il impose son système. Le disciple de la vérité veut être serviteur : il accepte la loi qu'il n'a pas faite… Le rôle de serviteur est seul assez grand pour l'homme. Que Dieu donc nous donne des prêtres assez ambitieux pour s'oublier, assez grands pour être humbles, assez humbles pour être grands, des prêtres qui restituent aux choses leur majesté perdue ! »

Et concluons avec cette belle prière, qui sera notre bouquet spirituel : O Marie, Vierge et Mère de Jésus ; Donnez-moi de penser, de dire, et de faire, ce qui plaît le plus à Dieu et à vous-même. (Sainte Jeanne de France.)


Cela dit, je n’ose commenter la nouvelle que vous connaissez tous, car cela serait déplacé. Je ne veux dire à notre cher abbé Le Noach que notre amitié, voire notre affection sacerdotale, notre gratitude pour l’œuvre accomplie ici et notre prière chaleureuse et fervente. Quoiqu’il en dise, nous ne sommes pas près de l’oublier, quelle que soit la qualité de son successeur ! Que le Cœur Immaculé de Marie le couvre de sa tendresse maternelle pour adoucir tout ce que cette décision peut avoir de douloureux pour un cœur humain, même sacerdotal, qui a donné tout le meilleur de lui-même pendant tant d’années, et qui a été béni par tant de belles vocations qui ont germé sous sa houlette. Que Notre-Dame lui accorde, avec un repos bien mérité, un bel apostolat, fructueux et consolant !