31 août 1976

[La Croix] Le refus du Concile - L’éditorial de Jean Potin

SOURCE - Jean Potin - La Croix - 31 août 1976

La messe célébrée, hier, à Lille, a consommé la rupture de Mgr Lefebvre avec l’ensemble de l’Église catholique. Le schisme existe de fait maintenant, même s’il n’est pas exprimé par une excommunication solennelle. C’est un drame pour l’Église, une souffrance pour chaque chrétien, car toute division est une atteinte à l’amour et à l’unité que le Christ a voulus entre ceux qui croient en lui.

Le discours que Mgr Lefebvre a prononcé au cours de cette messe a clairement manifesté le sens qu’il donnait à sa rupture avec le Pape et l’ensemble des évêques. Certains catholiques ont
pu penser que le mouvement lancé par lui visait simplement à restaurer le latin dans la liturgie, à redresser les abus commis par certains prêtres au nom de la réforme liturgique voulue par le Concile, à freiner l’engagement, à gauche d’une trop grande part du clergé. C’est pourquoi beaucoup avaient accueilli avec satisfaction son entreprise d’assainissement de l’Église. La hiérarchie devra tenir compte de cette aspiration qui s’est exprimée ces jours derniers dans l’ensemble du peuple chrétien.

Mais le discours de Mgr Lefebvre reprenant des déclarations antérieures et la dernière lettre qu’il avait adressée au Pape le 17 juillet, aura permis de découvrir la raison profonde de sa rupture avec Rome. Ce qu’il conteste et rejette, c’est la totalité du Concile, qui serait la négation de vingt siècles de christianisme, et une œuvre encore plus pernicieuse que la Révolution française

Nous ne pouvons pas développer ici les implications politiques de ces prises de position, la nostalgie des États catholiques, le refus de la démocratie, l’encouragement de fait à certaines formes de fascisme. Mgr Lefebvre veut lier l’Église aux courants politiques d’extrême droite, en même temps qu’il reproche à des prêtres de soutenir la gauche. Il crée à nouveau la confusion entre le temporel et le spirituel, cette confusion qui a fait tant de mal à l’Église et qui souvent l’a détournée au cours des siècles de sa mission spirituelle.

Mgr Lefebvre rejette le Concile dans sa totalité. Il l’accuse d’avoir fait capituler l’Église devant le monde moderne. Certes, il sera toujours difficile aux chrétiens d’être dans le Monde, sans être du monde, c’est-à-dire sans se compromettre avec le péché omniprésent. Mais c’est aux hommes d’aujourd’hui, marqués par une histoire, une culture, que l’Église doit faire découvrir la personne du Christ et annoncer l’Évangile. Telle a été la visée fondamentale du Concile.

Il a voulu faire entrer l’Église dans le dynamisme d’une histoire humaine qui est appelée à s’insérer dans la volonté d’amour de Dieu pour tous les hommes. Il appelle tous les chrétiens à participer à cette œuvre, et c’est pourquoi le Concile définit l’Église comme Peuple de Dieu, et non plus comme une société pyramidale où la base n’aurait qu’à être passive. Le Concile n’a pas ouvert une route facile, il est exigeant et cette exigence s’adresse à tous.

La réforme liturgique a cherché à répondre aux besoins actuels de l’Église. La nouvelle liturgie est plus exigeante que l’ancienne, car elle ne veut pas s’adresser seulement au cœur, elle veut
aussi éclairer l’intelligence, car la liturgie est aussi une catéchèse. D’abord en s’exprimant dans la langue de tous les jours. Mais aussi en faisant connaître les textes essentiels de l’Écriture, de l’Ancien et du Nouveau Testament. Le retour à l’Écriture est un des points essentiels de l’aggiornamento voulu par le Concile qui a promulgué précisément une constitution dogmatique sur la Révélation.

Il se pourrait que la nouvelle liturgie soit froide, trop intellectuelle. Mais elle n’est encore qu’à ses débuts. Il a fallu plusieurs siècles pour constituer le répertoire grégorien ; on doit avouer que tous les morceaux dans celui-ci n’étaient pas de la même qualité. Pourquoi dénigrer systématiquement tous les essais actuels, pourquoi ne pas plutôt les encourager ?

Ce sont les évêques du monde entier autour du Pape qui ont donné à l’Église les textes conciliaires pour qu’ils éclairent sa marche. L’Esprit Saint parle à travers eux, et il s’adresse aux Églises du monde entier. Le schisme, au contraire, est toujours repliement sur soi-même, il oublie que le Christ est venu pour tous les hommes.

L’Église est plus vaste que notre civilisation gréco-latine, qui n’est présente que sur un espace restreint du vaste univers et qui ne sera qu’une étape provisoire dans le développement de l’esprit humain. Comment en faire le point définitif et culminant ? L’Église au cours de son histoire a dû affronter à plusieurs reprises de nouvelles cultures. Et c’est bien une nouvelle culture qu’aujourd’hui elle doit évangéliser.