30 mai 2016

[Abbé Michel Simoulin, fsspx - Le Seignadou] Il est bien vrai que le monde a bien changé !

SOURCE - Le Seignadou - juin 2016
Il est bien vrai que le monde a bien changé ! Nous ne sommes plus ni au Moyen-Age, ni sous Louis XIV, ni même sous Pie XII ! Nous pouvons le regretter mais il serait illusoire d’imaginer que nous puissions vivre comme au siècle dernier !

Cela dit, avons-nous pensé à nous interroger – avant de dire qu’on ne peut plus vivre comme autrefois, qu’il faut être de son temps et s’adapter au monde tel qu’il est devenu – sur le rôle de l’Eglise, et notre rôle à nous chrétiens. Il y a peu de temps, je lisais ces lignes si sages d’un commentateur actuel, suite à la dernière exhortation du Pape.

« Le problème, avec l’Église catholique, est que les médias et le public voudraient qu’elle soit à l’image des autorités de la société civile, qu’elle écoute le sens du vent qui souffle et qu’elle s’adapte au siècle et à ses évolutions. Contresens énorme ! L’Église n’est pas là pour répondre aux souhaits des pécheurs que nous sommes. Ce n’est pas une institution civile.

Elle est une institution divine : Jésus-Christ répandu et communiqué dans le monde, pour le sauver. Celui-ci n’a pas attendu notre époque pour savoir dans quel sens le vent soufflait. Il est l’éternité. L’absolu. Le mystère. Celui dont tout découle. Père, fils et Saint-Esprit. Il n’a rien à voir avec la sociologie, la politique, la psychologie, nos petits problèmes d’épanouissement personnel par rapport à notre agir, notre moi, notre ego !

Le pape qui est le chef de cette Église ne peut pas la faire évoluer. Il n’en a ni le pouvoir ni les moyens. Nous ne sommes pas dans le domaine des raisonnements humains, simplement et trop humains. La démocratie n’a pas voix au chapitre. Quelle que soit la majorité, l’erreur reste l’erreur, la vérité reste la vérité et le dogme demeure le dogme.

Qu’attendons-nous de l’Église ? S’il s’agit, pour nous, d’en faire notre chose, selon nos caprices, nos attentes, nos besoins subjectivement appréciés, elle n’est plus catholique. Si, par contre, il s’agit de savoir comment nous pouvons être rachetés et quelle est la voie du salut pour notre âme, alors notre mère l’Église est prête à nous écouter, nous pardonner, nous entendre, pleurer avec nous, nous emmener sur le chemin de la miséricorde et nous conduire au ciel.

Il n’est qu’un problème dans le monde contemporain : l’inconscience de notre besoin le plus fondamental, celui du rachat de nos péchés, notre totale omerta sur la vie éternelle, le salut de nos âmes et notre perte de vue de l’éternité… Car la vie sur cette terre n’est qu’un passage vers l’au-delà. »

Cela est le premier point, le plus fondamental. Mais nous pourrions aussi tenter de réfléchir un peu pour savoir si le monde a changé en bien ou en mal ? Cela peut sembler enfantin, mais beaucoup hélas, n’y réfléchissent guère, semble-t-il.

Le monde a donc changé dans l’ordre matériel, dans le domaine des techniques nouvelles, cela est incontestable. Et cela peut être un bien, si les progrès réalisés sont utiles et servent vraiment à améliorer la vie humaine, matérielle, intellectuelle, sociale et même spirituelle. Et si nous savons nous en servir pour cela !

Mais dans l’ordre moral, les changements survenus sont-ils un progrès, un mieux ? La réponse est évidente, me semble-t-il. Depuis que la république a proclamé son matérialisme et sa laïcité, laquelle n’est en rien une neutralité passive, le monde où nous vivons a perdu son âme, et les hommes de caractère sont devenus introuvables, même dans la Sainte Eglise, hélas !

La foi est remplacée par la science ;

La charité est remplacée par le sentiment humanitaire ;

Quant à l’espérance... elle est morte !

Je me souviens encore de cette chanson pleine de nostalgie que chantaient autrefois les Frères Jacques : « Pleurez Pierrots, poètes et chats noirs, la Lune est morte ce soir... »

Ils chantaient la nostalgie de cette lune qui faisait rêver les poètes, cette lune dont il n’est plus possible de rêver depuis que les hommes ont marché sur elle. Et c’est votre cœur que l’on crève, la corde qu’on vous passe au col ! Il va falloir aller plus loin, par delà des millions d’étoiles à la recherche « de l’étoile qui vous fera rêver demain »….Dans mon jardin depuis la veille, ne chante plus le rossignol...

Se trouvera-t-il un poète pour chanter la tristesse d’un monde sans espérance, sans âme, sans autre finalité que de posséder et jouir sans fin ? Le monde aujourd’hui a  piétiné l’espérance, et il est impossible de découvrir dans ce monde quelque vestige de cette étoile qui nous fera rêver demain, cette étoile qui est la recherche d’un monde plus beau, plus pur, plus vrai… pour lequel nous sentons en nos âmes un attrait que rien ne peut anéantir.

Le monde d’aujourd’hui n’est plus métaphysique Il a été décapité; il a perdu la tête au sens propre : il a perdu sa raison d’être et de vivre, il n’a plus de finalité ! Il tourne sur lui-même comme un fou ! Englué dans la matière et le sensible, il cultive l’art de paraître et l’art de jouir, l’art d’avoir, de calculer et de compter … alors que l’âme aspire à être, à aimer et à chanter en silence !

Gustave Thibon, dans la préface à « deviens ce que tu es » écrivait au sujet du fils de Marcel de Corte, mort à 18 ans : « Absent de sa propre existence, il n'était qu'accueil à toutes les formes du savoir, de la beauté et de l'amour - et tout ce qui lui avait été ravi sous l'aspect caduc de l'avoir lui était rendu au centuple dans la sphère incorruptible de l'être. »

Être, savoir, aimer dans le silence et la pauvreté… pour rencontrer Dieu, si pauvre et qui ne possède rien, mais qui est intensément, source de tout être et immuable béatitude.

Être au lieu d’avoir – Être au lieu de paraître – aimer au lieu de jouir, sous quelque forme que ce soit !

Être ce que je suis, tout simplement, sans chercher à plaire ni à déplaire,

Être ce que je dois être, et non ce que sont les autres,

Être chrétien, quitte à ne pas ressembler aux autres,

Être chrétien, quitte à ne pas agir comme les autres et s’interdire certains comportements devenus habituels,

Être chrétien, quitte à ne pas être aimé, à être moqué, être haï…être condamné. Avons-nous parfois songé à cette parole de Notre-Seigneur ? « Le monde ne peut vous haïr; moi, il me hait, parce que je rends de lui le témoignage que ses œuvres sont mauvaises. » N’est-ce pas la mission du chrétien de rendre ce même témoignage ? Et comment se fait-il que le monde ne nous haïsse pas ? Il hait les chrétiens qui se battent pour le demeurer et il nous laisse encore relativement tranquilles !

Aimer, se donner au bien, au vrai, au beau… quels que soient les sacrifices à consentir pour cela !

Aimer Jésus-Christ, sa Mère et les saints, et mépriser sans orgueil et sans haine ceux qui ne savent qu’en rire, et n’aspirent qu’à jouir comme des bêtes à peine plus évoluées dans l’art d’inventer des recettes pour des plaisirs plus raffinés !

Il est vrai que notre société n’admet plus la Croix, celle de Jésus-Christ, la vraie, celle qui arrache et fait pleurer, celle qui purifie et qui libère notre être profond ! Elle n’aime que les religions sans croix, le judaïsme, l’Islam… « religions » honorables car sans sacrifice !

Et l’Eglise elle-même est devenue amorphe et sans voix ; elle n’ose plus rendre au monde « le témoignage que ses œuvres sont mauvaises ! »

Et nous voudrions nous adapter à ce monde-là ?

Nous rougirions de ne pas ressembler aux sans-dieu qui vivent à nos côtés et ne savent rien des joies de l’esprit, du cœur et de toute l’âme ?

Mais cela ne serait même plus du respect humain, de la coquetterie, de la vanité, etc… Ce serait bel et bien de la trahison envers ce Jésus que nous disons aimer, et envers ces prochains auxquels nous refuserions de susciter en eux le goût de cette autre chose qu’ils ignorent !

A la Salette, la Vierge pleurait sur les sociétés sans dimanche, sur les dimanches sans Dieu. Pleure-t-elle aujourd’hui sur les chrétiens qui oublient la croix, pour qui elle n’est plus qu’une œuvre d’art, une image glissée dans un missel (quand il y a encore un missel) ou un geste qui n’est plus un signe, qui ne signifie rien, fait sans âme, par habitude ? Pleure-t-elle sur ces chrétiens qui se vêtent, se distraient, vivent comme ceux qui ne le sont pas ?

Que Dieu nous garde de faire pleurer notre Sainte Mère, et soyons fidèles à suivre le « sillage du Christ », dans cette folle et confiante espérance de les retrouver en cet autre monde pour lequel nous avons été créés et rachetés.