4 mars 2015

[Fr. Placide, o.s.b., prieur de Bellaigue - Lettre aux Amis & Bienfaiteurs] "L’adoration de la Croix du Vendredi saint..."

SOURCE - Fr. Placide, o.s.b., prieur de Bellaigue - Lettre aux Amis & Bienfaiteurs n° 23 - mars 2015

Chers amis et bienfaiteurs,

L’adoration de la Croix du Vendredi saint frappe par le caractère triomphal qui lui est propre. L’église a plus d’un motif pour donner au culte de la Croix cette dimension glorieuse. En effet, le Sacrifice du Seigneur est si étroitement uni à sa Résurrection, qu’il ne s’en peut séparer. Le Christ lui-même n’a jamais voulu annoncer à ses disciples sa mort sans leur donner du même coup l’assurance qu’il ressusciterait le troisième jour. C’est ainsi que prédisant encore une fois la dispersion du troupeau lors de la mort du Pasteur, Jésus ne manque pas d’ajouter la promesse de sa Résurrection : Après que je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée (Matthieu XXVI, 32). Aussi longtemps que les apôtres jugent des choses divines selon la sagesse humaine, ils se heurtent au mystère de la Croix, qui demeure à leurs yeux un scandale. à la suite de la Résurrection, ils n’en comprennent pas davantage le prix véritable, si bien que le Seigneur doit expliquer lui-même la signification de ses souffrances et de sa mort : Il fallait que le Christ souffrît et entrât ainsi dans sa gloire (Luc XXIV, 26). Saint Paul, à son tour, ne fait que reprendre le même enseignement, lorsqu’il nous montre le Père exaltant son Fils et lui donnant le Nom au-dessus de tout nom, parce qu’il s’est anéanti jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix (Philippiens II, 9). Dans ce passage lumineux, l’apôtre met fortement en relief la disposition divine qui veut que la gloire de Jésus lui soit acquise par la vertu de son crucifiement. La mort sur la Croix est ainsi le premier pas de cette glorieuse exaltation qui ne s’achève que lorsque le Christ remonte au Ciel pour siéger à la droite du Père.

Mais, entrant plus avant encore dans le mystère de la Croix, nous reconnaissons que la Passion du Christ doit être dite bienheureuse, non seulement à cause de la récompense magnifique qui en est le fruit, mais aussi à cause de ce qu’elle est en elle-même. Le Seigneur n’a pas attendu que sa Passion fût achevée pour réaliser son triomphe, car c’est au moment précis où il s’humiliait jusqu’à la mort, qu’il remportait la victoire. Jésus est mort par puissance, enseigne saint Augustin : « Potestate mortuus est ». Aussi la liturgie s’exprime avec une parfaite justesse lorsqu’elle décerne à la bienheureuse Passion les titres de « glorieuse » ou « très victorieuse ». De fait, c’est en mourant sur la Croix que le Christ a remporté la victoire sur le prince de la mort : « Par sa mort il a détruit notre mort (Préface pascale). » De telle sorte que la Croix est, tout à la fois, le lieu et l’instrument de la victoire de Jésus-Christ.

La liturgie n’évoquera donc jamais le souvenir de la Croix sans rappeler le triomphe insigne dont celleci fut l’instrument, comme jamais non plus elle ne célébrera la victoire du Christ sortant du tombeau sans rappeler qu’elle a été remportée par la mort sur la Croix. C’est pourquoi l’Eglise ne manque pas, en ce grand Vendredi où elle célèbre la Passion du Seigneur, de se ré- jouir du triomphe qui se laisse entrevoir : « Seigneur, nous adorons votre Croix, nous louons et glorifions votre sainte Résurrection, car voici que par le bois la joie s’est répandue dans tout l’univers ». La Résurrection manifeste la victoire, alors cachée, remportée à la Croix ; victoire de l’amour sur la mort, sur le péché et sur Satan. La mort sur la Croix, on ne le dira jamais assez, c’est la victoire du Christ.

Si on considère la Croix d’un point de vue purement humain, elle est scandale et folie. Mais si on la regarde dans la lumière de la sagesse de Dieu, elle devient l’instrument de la glorification du Christ. Dieu envoie son Fils à la mort, non pas pour qu’il soit englouti par elle, mais pour qu’il triomphe d’elle et qu’il nous entraîne après lui dans sa Résurrection. L’œuvre du salut est ordonnée à la gloire du Christ. Ce qu’il faut considérer tout d’abord, c’est l’amour du Père pour son Fils, alors même qu’il le livre pour nous. Dieu, par amour pour son Fils, a voulu de toute éternité pour lui la gloire de la Rédemption. La Croix, sur laquelle Jésus paraît vaincu, est en vérité le trophée de sa victoire.

Jésus crucifié est notre sagesse, ce qui donne son sens à toute notre vie : Si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui (Romains VI, 8). On ne peut dépasser le scandale et la folie de la Croix que si on considère sa finalité profonde. Or sa finalité, c’est la gloire de Dieu dans le Christ Jésus. Que la Vierge, dans le mystère de sa Compassion, nous donne quelque chose de la pureté de son regard, afin que nous puissions contempler la Croix en transparence, ne la dissociant jamais de la Résurrection.

Fr. Placide, o.s.b., Prieur