5 mars 2015

[Christophe Chaland - La Croix] Il y a 50 ans, les catholiques commençaient à célébrer la messe en français

SOURCE - Christophe Chaland - La Croix - 5 mars 2015

Le pape François présidera samedi 7 mars la messe dans la paroisse romaine de Tous-les Saints, là où, le dimanche 7 mars 1965, Paul VI avait célébré la première messe en italien, marquant la mise en œuvre de la réforme liturgique de Vatican II.

Cinquante ans plus tard, la majorité des catholiques français qui l’ont connue témoignent avoir accueilli avec enthousiasme une réforme qui a favorisé leur participation active.

À Angers, Yvonne Samain, 90 ans, était au lendemain du Concile une jeune veuve. « La messe en français a transformé ma vie. Je pouvais goûter le poids de chaque mot. J’ai pu vivre pleinement la messe, participer à l’offrande du Christ comme un membre de son corps ! », se souvient-elle, un demi-siècle plus tard.

Ce 7 mars 1965, Paul VI célébrait pour la première fois la messe dans la langue vernaculaire – dans le cas de Rome, l’italien –, illustrant aux yeux de tous les catholiques la mise en œuvre de la réforme liturgique de Vatican II. « Il s’agit d’associer le peuple de Dieu à l’action liturgique sacerdotale… Il faut donner à l’assemblée sa voix grave, unanime, douce et sublime », expliquait-il quelques jours plus tôt.

Promulguée le 4 décembre 1963, la constitution Sacrosanctum concilium sur la sainte liturgie posait en principe que l’usage du latin était conservé, pour affirmer immédiatement après que « l’emploi de la langue du pays peut être souvent très utile pour le peuple ».

Mais en pratique, la possibilité d’utiliser la langue vivante fut adoptée avec un bénéfice immédiat par la plupart des prêtres et des fidèles. Yvonne Samain, qui avait été avec son mari de la première équipe Notre-Dame d’Angers, était de ces très nombreux laïcs qui accueillirent une réforme qui allait parfaitement dans le sens de leur engagement d’acteurs dans l’Église et dans le monde.

L’écho de ce plébiscite s’entend encore aujourd’hui chez des témoins de l’époque. Renée Renoux, 83 ans, de Villebougis, dans l’Yonne, aime encore entendre le credo en latin qui a marqué sa sensibilité et lui rappelle sa jeunesse. Mais le passage au français a été « formidable » car jusque-là, « les gens cultivés seuls savaient ce qu’ils disaient », estime l’ancienne exploitante agricole. Il était en effet indispensable d’avoir un missel bilingue latin-français pour suivre tant soit peu la messe, d’autant que le célébrant ne prononçait qu’à voix basse d’importants passages.

Le P. Paul Guérin, 87 ans, à Houdan (Yvelines) a vécu avant le Concile à Corbeil où il était vicaire de la paroisse. « L’épître et le canon ou prière eucharistique étaient lus à voix basse par le célébrant. Le peuple s’occupait comme il pouvait, loin de l’action qui se déroulait dans le chœur. On faisait discrètement lire des prières aux enfants », rappelle-t-il.

Dès avant le 7 mars 1965, des éléments de la réforme étaient déjà testés dans différents lieux. Venue étudier à Paris dans les années 1950, Agnès Lachêne, d’Orsay, dans l’Essonne, fréquentait l’aumônerie étudiante de la rue de Varennes.

Là, comme dans la paroisse Saint-Séverin à Paris, celle du P. Michonneau à Petit-Colombes, celle du P. Remillieux à Saint-Alban de Lyon, dans l’élan du mouvement liturgique (voir Repères ci-contre), les communautés pouvaient introduire ad experimentum des « innovations ».

Agnès se souvient avoir reçu les réformes en douceur et dans une grande cohérence : « Tout allait dans le sens d’une proximité avec le Christ : la langue maternelle, la communion debout, dans la main, l’autel tourné vers le peuple. »
UNE RÉCEPTION PARFOIS HOULEUSE
Cependant, la réception de la réforme liturgique a été parfois houleuse en France, pays où s’est développé le schisme intégriste conduit par Mgr Lefebvre. Mais ce n’est pas l’abandon du latin comme tel qui est en cause, même s’il a été difficile pour certains. « Je tutoie sans gêne Dieu en latin, mais n’y arrive pas en français », affirme aujourd’hui encore Françoise Michel, 86 ans, qui pratique à Nice tantôt selon la forme extraordinaire du rite, qui n’utilise que le latin, tantôt dans sa paroisse.

Des pratiques outrepassant la réforme ont blessé des fidèles, parmi beaucoup d’autres causes de difficultés. « Je rougis de certains abus,frémit le P. Guérin, à Houdan. Des créations de prières eucharistiques non trinitaires, ou leur réduction aux seules paroles de la consécration. » « D’une manière générale, poursuit-il, il a fallu du temps pour habiter la célébration dans la langue vivante. La langue liturgique n’est pas la langue de tous les jours. Je crois que nous sommes parvenus à un équilibre. Mais la façon même de célébrer doit respecter le mystère . »

La baisse de la pratique qui a suivi la réforme liturgique eût-elle été pire sans elle ? Un grand liturgiste français, le chanoine Aimé-Georges Martimort, en était convaincu, faisant un parallèle historique avec la déliquescence de l’Église d’Afrique dans l’antiquité : « La ruine de Rome a entraîné en Afrique la ruine de l’Église car celle-ci était liée à la latinité. » Saint Augustin se plaignait ainsi de ne pas avoir de prêtres qui parlaient berbère et punique.
REPÈRES  : UNE RÉFORME PRÉPARÉE PAR « LE MOUVEMENT LITURGIQUE »
1841 à 1866 : succès des neuf volumes de L’Année liturgique par Dom Guéranger, fondateur de l’abbaye de Solesmes. Le rayonnement de Solesmes s’étend aux abbayes de Beuren (Allemagne), Maredsous et du Mont-César (Belgique).

1903-1910 : Pie X exhorte les fidèles à participer activement à la célébration des mystères (Tra le sollecitudini), par le chant et la communion fréquente.

1909-1939 : initiatives en Belgique (missel de Dom Lambert Beauduin), en France (messe dialoguée, P. Paul Doncoeur), en Allemagne (Romano Guardini, Dom Odon Casel).

1943 : création du Centre de pastorale liturgique (CPL) à Paris.

1947 : Pie XII institue une commission chargée de préparer une réforme générale de la liturgie.

1951 : Pie XII restaure la célébration de la veillée pascale.