28 octobre 2014

[Samuel Lieven - La Croix] La France adopte peu à peu la communauté Saint-Martin

SOURCE - Samuel Lieven - La Croix - 28 octobre 2014

Avec 26 nouveaux séminaristes, la communauté Saint-Martin représente un quart des entrées en séminaire en France.

Présent dans une quinzaine de diocèses, comme à Soissons, ce corps mobile de prêtres et de diacres offre un recours aux évêques confrontés à une pénurie de moyens.

Dans le quartier de Saint-Crépin, à Soissons, Don Vincent, 47 ans, revêtu de sa soutane, désigne les barres d’immeubles où s’entasse une population pauvre et âgée. « Après-guerre, c’était encore un bidonville », dit-il en se référant au P. Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde, qui fit ses premières armes dans les paroisses ouvrières de l’Aisne. Le prêtre évoque aussi un taux de suicide élevé. Un peu plus loin, une vieille dame promène seule un petit chien. Don Vincent s’arrête, esquisse une caresse. « Il ne mord pas les curés au moins ? » La conversation s’engage. Un peu plus loin, un sexagénaire couvert de tatouages, occupé à balayer son balcon, interpelle le prêtre. « Je ne pratique pas mais je suis croyant… Je fais un signe de croix tous les matins. »« Venez nous voir, nous ne sommes pas loin ! », lui répond Don Vincent en désignant l’église Saint-Crépin, de l’autre côté de l’avenue.

À Soissons, où ils sont arrivés en 2011 sur appel de l’évêque, ceux qui les connaissent les nomment les « Don ». Au nombre de quatre, ils vivent en communauté dans le presbytère, face à la cathédrale. Ils appartiennent à la communauté Saint-Martin, un corps mobile de prêtres et de diacres à la disposition des évêques. Signes distinctifs : ils portent la soutane, affectionnent la liturgie grégorienne en latin – célébrée selon le missel de Paul VI – et se donnent entre eux du « Don », au lieu de « Père». L’empreinte des premières années italiennes de leur communauté, fondée en 1976 par un prêtre français, l’abbé Jean-François Guérin.
POST-CONCILE, DES OPTIONS LITURGIQUES QUI PASSENT MAL AUPRÈS DE L’ÉPISCOPAT FRANÇAIS
Dans ces années post-Concile, les options liturgiques du fondateur passent mal auprès de l’épiscopat français. Tandis que de nombreux prêtres quittent leur ministère, l’heure est au dépouillement d’une Église soucieuse de ne plus apparaître en surplomb. La jeune communauté trouve refuge chez le cardinal Giuseppe Siri, l’archevêque de Gênes, figure de proue du courant conservateur lors du concile Vatican II. Les premiers prêtres ordonnés au sein de ce qui n’est encore qu’une « pieuse union » s’installent dans un couvent capucin près de Gênes, avant une première implantation en 1983 en France, à l’appel de l’évêque de Toulon. Dix ans plus tard, la maison de formation revient en France à Candé-sur-Beuvron, près de Blois.

Depuis 2000, la communauté Saint-Martin connaît une forte croissance. Elle compte aujourd’hui 90 prêtres et diacres répartis dans quinze diocèses, mais aussi en Italie et à Cuba. Avec pas moins de 26 entrants cette année, elle représente un quart des entrées en séminaire pour les diocèses français.

À Soissons, dans un premier temps, l’arrivée des « Don » n’a pas fait que des heureux. Quand Mgr Hervé Giraud évoque son intention de faire appel à des prêtres de Saint-Martin pour contrer la pénurie de clercs, la défiance est de mise. Confronté coup sur coup à trois décès de prêtres, l’évêque du diocèse le plus pauvre de France est à court de solutions. « J’étais sur le point de devenir moi-même curé de la cathédrale », dit-il. Parmi les prêtres de son conseil, réunis pour auditionner le supérieur de la communauté Saint-Martin, les principales réticences portent sur la soutane et la compréhension du concile Vatican II. Des inquiétudes aujourd’hui en grande partie levées. « Au début, j’ai eu beaucoup de mal, confie Bernadette Viet, engagée au sein de la Mission de France durant trente ans avant de prendre sa retraite à Soissons. La messe du matin s’étirait en longueur, les homélies étaient dites sur un ton moralisant… J’avais le sentiment d’un retour à la loi, à l’Église que j’avais connue dans les années 1950. » Mais avec le temps, cette ancienne responsable de la catéchèse a fini par reconnaître aux nouveaux venus des qualités de pédagogues. « Ils ont le don d’annoncer et d’expliquer l’Évangile à une époque où même les piliers d’église ont besoin de retrouver le sens de leur foi. »
«DEPUIS QU’ILS SONT LÀ, IL SE PASSE TOUJOURS QUELQUE CHOSE DANS LA PAROISSE»
Certes, les fidèles des deux paroisses du nord de la ville confiées aux prêtres de Saint-Martin n’ont pas tous « avalé » la soutane et le retour à des méthodes plus carrées. Ceux-là ont rejoint les paroisses du sud animées par des missionnaires béninois. Mais auprès des jeunes, les « Don » ont plutôt la cote. Céline et Christophe, infirmière et boucher à Soissons, bientôt la trentaine, ont été préparés au mariage par Dom Vincent, qui a aussi baptisé leur premier enfant. S’ils ne vont pas à la messe le dimanche à cause de leurs horaires de travail, ils sont des inconditionnels des soirées pique-nique organisées l’été dans les jardins du presbytère, suivies d’une visite dans la tour de la cathédrale. « Ils ont apporté une dynamique… Depuis qu’ils sont là, il se passe toujours quelque chose dans la paroisse. »

Aujourd’hui, à la cathédrale, des classes de l’école voisine de l’Enfant-Jésus défilent pour découvrir les reliques de sainte Thérèse. Les enfants s’agenouillent par petits groupes autour de la châsse. « Vous pouvez poser la main dessus, fermer les yeux et prier », leur explique Dom Vincent. « Toi aussi tu peux prier, si tu veux », dit-il à un élève musulman. Le prêtre se rend tous les mercredis à l’école de l’Enfant-Jésus. L’an dernier, sa crèche en Playmobil a remporté un franc succès chez les élèves de CP. Il est allé dans une classe pour échanger avec les enfants après le suicide d’un père de famille. Depuis peu, il prend ses marques au collège et lycée Saint-Rémy.
«ILS ONT MÊME ACCEPTÉ DE CÉLÉBRER UN MARIAGE ALORS QUE LE MARI ÉTAIT VENU EN BERMUDA!»
En trois ans, le nombre de confirmations a plus que triplé – de 18 à 66. Mais l’arithmétique ne satisfait pas Dom Vincent. « La paroisse n’est pas une station-service. Il faut un renouvellement en profondeur. Derrière chaque demande de sacrement, nous avons le souci d’annoncer l’Évangile à des familles qui n’ont plus aucune notion de la foi chrétienne. »

Entré dans la communauté à 22 ans après une fac de droit, ce Parisien de naissance est intarissable sur le Soissonnais. Il cite volontiers le pape François demandant aux pasteurs d’être « pénétrés de l’odeur de leurs brebis ». Attendus au tournant par les autres prêtres sur leur capacité à s’intégrer, les hommes en soutane ont su donner le change. Présents à toutes les assemblées presbytérales, ils se sont beaucoup investis dans le jubilé des 1 700 ans du diocèse. Les catéchistes de la paroisse sont restés en place. « Leurs priorités restent tout de même la vie liturgique et la présence auprès des jeunes de l’enseignement et des mouvements catholiques », remarque un curé du Soissonnais.

Mgr Giraud, lui, a révisé son jugement – jadis sévère – sur la communauté. Sur le plan liturgique, la raideur des débuts a connu des adaptations. « Ils ont même accepté de célébrer un mariage alors que le mari était venu en bermuda ! » Mais l’évêque se garde de prendre une option sur l’avenir. « Ils ont évolué, le monde et l’Église aussi. Ils permettent pour l’instant à des diocèses fragiles comme le nôtre de continuer à vivre. »Samuel Lieven, à Soissons (Aisne)