27 mai 2014

[Roberto de Mattei - Correspondance Européenne] Salus animarum suprema lex?

SOURCE - Roberto de Mattei - Correspondance Européenne - 26 mai 2014
Les derniers doutes, pour qui en aurait encore, sont définitivement tombés. Un plan a été mis en place pour la destruction systématique des Franciscains et Franciscaines de l’Immaculée, les deux instituts religieux fondés par le père Stefano Maria Manelli, aujourd’hui emportés par la tempête.

Lundi 19 mai 2014, le cardinal João Braz de Aviz, préfet de la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée, a annoncé à la Mère Générale des Franciscaines de l’Immaculée, la nomination avec effet immédiat d’un « visiteur » de l’Institut, ayant les pouvoirs de contrôle de ce qui se fait équivalents à ceux d’un « commissaire ». A la Maison Générale, Soeur Fernanda Barbiero, de l’Institut des Sœurs de Sainte Dorothée (une religieuse moderne de tendance modérément féministe, favorable aux idées de Jacques Maritain) a pris ses fonctions ipso facto.

Les Sœurs Franciscaines de l’Immaculée sont un ordre religieux de droit pontifical, qui se distingue par la jeunesse de ses membres, le nombre des vocations et surtout par la rigueur avec laquelle les Sœurs vivent leur charisme, selon la Règle de saint François d’Assise. Certaines ont d’intenses apostolats missionnaires en Afrique, au Brésil, aux Philippines, tandis que d’autres ont embrassé la vie contemplative, dans un esprit d’ascèse et de prière. Les sœurs, inspirées de l’exemple de saint Maximilien Kolbe, gèrent aussi des maisons d’édition, des stations de radio, des revues populaires (comme L’hebdomadaire Padre Pio). Cet apostolat actif, allié à un amour de la tradition, est certainement l’une des causes de la haine qui s’est abattue sur elles et sur les frères franciscains.

Le 11 juillet 2013, le cardinal Braz de Aviv à confié le gouvernement des Franciscains de l’Immaculée à un « commissaire apostolique », qui en moins d’un an est parvenu à dissoudre l’ordre, contraignant les meilleurs frères à demander la dispense de leurs vœux, pour sortir d’un Institut désormais réduit à un champ de ruines et pouvoir vivre d’une autre façon leur vocation.

Le cas des Franciscaines qui s’ouvre maintenant est encore plus grave que celui de l’Institut masculin. Le prétexte invoqué pour la “visite” puis la nomination d’un commissaire pour les Frères avait été la présence d’un petit groupe agressif de “dissidents”, encouragé et alimenté de l’extérieur. Aucune dissidence ne s’est manifestée au contraire chez les soeurs, qui vivent en esprit d’union et de charité fraternelle.

Franciscaines et Franciscains de l’Immaculée doivent être supprimés surtout pour leur rapprochement de la Tradition, en opposition à la pratique de la majorité des Instituts de Vie Consacrée. Disons rapprochement car les deux congrégations franciscaines sont nées et se situent hors du monde “traditionaliste”.

Face à la ruine théologique et pastorale de l’après-concile, elles ont manifesté un attachement à l’orthodoxie de l’Eglise qui contraste avec la créativité doctrine et liturgique qui règne aujourd’hui. La congrégation pour les religieux considère que ce sentire cum ecclesia “traditionnel” est incompatible avec le “sentire cum ecclesia” de Vatican II.

La Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée à commis un abus de pouvoir manifeste quand elle prétendit interdire aux Franciscains de l’Immaculée la célébration de la Messe selon le Rite romain antique. Et les frères commirent un erreur autrement manifeste en acceptant de renconcer à la célébration de la Messe traditionnelle. Ils justifièrent leur renoncement en se basant sur deux motifs : l’obéissance et le bi-ritualisme. Mais le problème de fond n’est pas le mono ou le bi-ritualisme.

Le fait est que la Messe traditionnelle n’a jamais été abrogée et ne peut pas l’être et que tous les prêtres conservent le droit de la célébrer. Le point-clé du Motu Proprio de Benoît XVI Summorum Pontificum du 7 juillet 2007 réside dans cette ligne qui concède à chaque prêtre le droit de “célébrer le Sacrifice de la Messe suivant l’édition typique du Missel romain promulgué par le B. Jean XXIII en 1962 et jamais abrogé, en tant que forme extraordinaire de la Liturgie de l’Église”. Il s’agit d’une loi universelle de l’Eglise qui confirme la Bulle Quo Primum de Saint Pie V (1570). Jamais aucun prêtre n’a été puni et ne pourrait l’être pour avoir célébré la Messe traditionnelle. Jamais il ne pourra être imposé à des fidèles, laïcs ou soeurs, de renoncer au bien d’un Rite canonisé par l’usage de presque deux millénaires d’histoire de l’Eglise.

L’obéissance est une vertu, peut-être la plus haute. Mais le problème qui aujourd’hui se pose dans l’Eglise est de savoir à qui et à quoi on doit obéir. Quand l’obéissance aux autorités humaines, au lieu de perfectionner la vie spirituelle, la compromet, mettant en péril le salut, elle doit être vigoureusement refusée, parce qu’il faut obéir à Dieu avant d’obéir aux hommes (Actes, 5,29).

Le cardinal Braz de Aviz veut peut-être pousser les soeurs à passer en masse à la Fraternité Saint Pie X, pour pouvoir démontrer qu’il n’y a pas d’espace envisageable entre les traditionnalistes “schismatiques” et l’Eglise “conciliaire”. Il semble oublier deux choses cependant : en premier lieu que beaucoup d’évêques et jusqu’à des conférences épiscopales entières se trouvent aujourd’hui séparés de la foi de l’Eglise de façon beaucoup plus importante que ne l’est la Fraternité Saint Pie X de l’autorité écclésiastique; en second lieu que le droit canonique permet aux soeurs et aux frères d’être déliés de leurs voeux pour se réorganiser en forme d’association privée de fidèles, vivant leur vocation en dehors de toute imposition arbitraire. (canons 298-311).

La Congrégation des Religieux refuserait à 400 soeurs la dispense des voeux qu’elles devraient demander ? Ce serait une violation brutale de cette liberté de conscience dont on parle tant aujourd’hui et si souvent à tort. La doctrine traditionnelle de l’Eglise considère comme inviolable la liberté de conscience dans le for intérieur, parce que personne ne peut être contraint dans ses choix, mais elle nie une telle liberté dans le domaine public, ou for externe, parce que seule la vérité a des droits, et non l’erreur. Les fanatiques de Vatican II théorisent la liberté religieuse dans le for externe, en reconnaissant les droits de tous les cultes et sectes, mais ils la nient dans le for interne, jugeant les intentions et s’immisceant dans le domaine de la conscience individuelle.

Mais est-il possible d’imposer par la force, aux frères et aux soeurs, de rester dans un Institut religieux dans lequel ils ne se reconnaissent pas, parce que l’identité en a été détruite ? Le principe selon lequel salus animarum suprema lex, est le fondement non seulement du droit canonique, mais de la vie spirituelle de chaque baptisé, qui doit avoir comme règle intransgressible de son agir le salut de son âme.

Si, dans cette prospective, quelqu’un, suivant la droite conscience, voulait résister aux ordres injustes qu’est-ce qui l’attendrait ? Une étreinte de dialogue et de miséricorde ou la dure politique du bâton ? Expulsions, censures, suspensions a divinis, excommunications et interdits sont désormais réservés seulement à qui se maintient dans la foi orthodoxe?

Une dernière demande est demeurée pour le moment sans réponse. Le bâton du cardinal Braz de Aviz est-il en contradiction ouverte avec la politique de miséricorde du pape François ou en constitue-t-il une expression singulière?