12 juillet 2013

[Flavien Blanchon - Rivarol] François à Lampedusa pour une Europe (encore plus) ouverte à l’immigration

SOURCE - Flavien Blanchon - Rivarol - 12 juillet 2013

Il avait brutalement refusé, voici quinze jours, d’assister au grand concert organisé au Vatican pour l’Année de la foi, en expliquant qu’il n’était pas « un pape de la Renaissance, qui écoute de la musique au lieu de travailler » : philistinisme revendiqué qui était aussi une insulte délibérée à son prédécesseur. L’orchestre jouait, en fait de Renaissance, la neuvième symphonie de Beethoven, mais tout ce qui précède Vatican II appartient de toute façon aux temps obscurs. « François, évêque de Rome », comme il s’intitule lui-même, a trouvé le temps lundi, pour son tout premier déplacement officiel hors de Rome, d’aller sur l’île de Lampedusa. Il y a écouté dans l’extase les chants d’un millier d’Africains hébergés au centre d’accueil — dont 166 débarqués du matin même. « Comme vous chantez bien ! » leur a-t-il déclaré devant les caméras de télévision. 
Lampedusa, depuis que la super-people Angelina Jolie y fit un aller-retour en juin 2011, est devenue la Mecque des célébrités sur le retour et des politiciens en mal de notoriété : les retombées médiatiques, comme on dit, sont garanties. Seuls les mauvais esprits pourront pourtant soupçonner de tels desseins chez François, comme s’il avait voulu sceller son pacte d’amour avec les media du Système. La salle de presse du Vatican nous assure qu’il avait été « profondément touché par le récent naufrage d’une embarcation qui transportait des migrants venant d’Afrique ». Il est vrai que, malgré tous les efforts de la Garde côtière, comme on continue à l’appeler, qui va chercher les bateaux des trafiquants à plusieurs dizaines de miles au large pour les remorquer jusqu’en Italie, il arrive encore que certains coulent. Sept clandestins ont péri au milieu du mois dernier. C’est désolant, mais il y a aussi des gens qui se tuent sur les routes en partant en vacances… En deux jours, pour sept noyés, on a compté au moins un millier d’heureux arrivés sur les côtes de Sicile et de Calabre. Selon les chiffres officiels du ministère de l’Intérieur italien, nous en sommes à huit mille débarquements depuis le début de l’année, deux fois plus qu’au premier semestre 2012, et, beau temps aidant, les immigrés arrivent en ce moment à jet continu. Les sept noyés, par parenthèse, s’étaient agrippés au filet d’un thonier tunisien, le « Khaked Amir », qui a préféré couper son filet plutôt que de les recueillir : au témoignage des survivants, l’équipage a même rejeté à la mer ceux qui étaient parvenus à monter à bord. 
François n’a pourtant aucun doute. S’il arrive malheur à quelques candidats à l’immigration clandestine, la faute en est à ceux chez qui ils venaient s’installer. Il n’a pas hésité à comparer ces derniers à Caïn meurtrier de son frère. « “Où est ton frère ?” La voix de son sang crie jusqu’à moi, dit Dieu. Ces frères et ces sœurs cherchaient à sortir de situations difficiles pour trouver un peu de sérénité et de paix ; ils cherchaient un endroit meilleur pour eux et pour leurs familles, mais ils ont trouvé la mort ». Du reste, « qui a pleuré pour la mort de ces personnes qui étaient sur la barque ? Pour les jeunes mères qui portaient leurs enfants ? » (On sait que les passeurs ne manquent jamais de mettre sur chaque bateau quelques enfants en bas âge et une ou deux femmes au dernier stade de la grossesse, pour rendre toute la troupe inexpulsable). François a donc conclu « cette liturgie de pénitence » par une demande de pardon « pour notre indifférence envers tant de frères et de sœurs ». Voilà l’homme blanc chargé d’un fardeau de plus — il n’en portait pas assez. Pour confirmer à ceux qui en douteraient encore que l’église conciliaire veut une Europe et une Italie, non seulement multi-ethniques, mais multi-religieuses, François avait ouvert son homélie par un salut « aux chers immigrés musulmans qui s’apprêtent aujourd’hui, dans la soirée, à commencer le jeûne du ramadan, en leur souhaitant d’abondants fruits spirituels ». Puis il est allé visiter l’église locale, que le curé avait décorée d’une grande banderole : « Nous sommes tous des immigrés ». 
« Paroles très dures », comme s’en réjouit hautement La Repubblica. Jamais occupant conciliaire du siège de Pierre n’était allé si loin. Pareil degré de frénésie était jusqu’ici le propre de quelques prélats spécialement délégués à « la pastorale des migrants » et dont les délires « n’engageaient pas le Saint-Siège » : c’était du moins ce que nous ressassaient les conciliaires conservateurs, qui trouveront autre chose pour défendre l’indéfendable. François ne s’en est pas même tenu là. À force de remorquer les clandestins sur leurs bateaux pourris, Lampedusa est devenu un gigantesque cimetière d’épaves. Un projet pompeusement intitulé « Opera — Sui relitti delle libertà » (« Œuvre — sur les épaves des libertés »), avait imaginé, à l’automne 2011, de transformer ces carcasses en « œuvres d’art », à grands coups de subventions publiques, « pour faire revivre avec elles les rêves et les espérances de tant de migrants partis en quête d’un meilleur futur ». « Une gamme d’objets de design, tables, chaises, coffres à vin, ainsi que d’accessoires de mode, barrettes ou boucles de ceinture » avait été lancée. L’entreprise semble avoir fait long feu mais ce boboïsme culturel ne pouvait manquer de séduire le champion autoproclamé de « l’Église pauvre pour les pauvres ». Il a donc célébré la nouvelle messe sur une barque de clandestins transformée en autel, équipé d’une croix pastorale fabriquée dans une épave et d’un calice en bois de même origine. Les canonistes relèveront toutes les fautes — l’usage des calices en bois est formellement prohibé au moins depuis le concile carolingien de Tribur, qui menace les contrevenants de la colère de Dieu. Mais cette mise en scène redondante est surtout un aveu de faillite de la nouvelle messe : non seulement le message politique y a remplacé le mystère, mais elle est tellement indigente qu’il faut, pour lui faire signifier quelque chose, la redoubler d’un symbolisme bavard. Nouvelle relique de la nouvelle religion, l’épave de chaloupe pour immigrés suscite plus de respect et émeut davantage que le Sang du Christ. 
Le gigantesque lobby de l’immigrationnisme italien, en pleine campagne pour imposer le droit du sol et faire sauter les derniers timides garde-fous à la submersion complète, n’a pas manqué de célébrer ce que Rifondazione Comunista a appelé « le grand et beau geste du pape François ». La présidente de la Chambre des députés, Laura Boldrini — qui avait auparavant été, quinze ans durant, porte-parole du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, et avait exercé une pression décisive pour obliger le gouvernement italien à accueillir à Lampedusa tous les “réfugiés” d’Afrique —, s’est félicitée de ce “soufflet” assené à tous ceux « qui minent la cohésion sociale en dénonçant une invasion qui n’existe pas, et qui diffusent la peur en appelant les immigrés “clandestins” au lieu de “réfugiés” ou de “demandeurs d’asile” ». Quant à la « Communauté du monde arabe en Italie » (Co-mai), elle a publié un communiqué pour s’écrier : « Pape François, tu es grand et tu es notre idole » — oui, notre idole, vous avez bien lu. Au centre droit, comme on dit en Italie, bien peu ont eu le courage d’émettre la moindre réserve. Même la Ligue du Nord — qui, à défaut d’avoir jamais beaucoup agi contre l’immigration, s’est longtemps fait gloire de parler fort —, a à peine réagi. Tout au plus le député Matteo Salvini, secrétaire de la Lega en Lombardie, a-t-il osé souhaiter que la visite médiatique de François « ne déclenche pas des dizaines de milliers de débarquements supplémentaires ». Mais il s’est hâté de préciser qu’il ne critiquait pas Bergoglio, mais seulement son “instrumentalisation” par la gauche : « Le pape fait son métier de pape. Que le pape fasse son métier de pape, et les politiques leur métier de politiques ». 
La folie suicidaire qui a été inoculée à l’Europe s’exprime et se répand d’abord, on le sait, par une espèce de sida sémantique : l’altération du langage, le renversement des mots, leur transformation en coquilles qui n’ont plus aucun rapport avec leur signification première. Les envahisseurs ont été rebaptisés réfugiés, ceux qui sont envahis sont traités de criminels et, de toute façon, l’invasion n’existe pas. Les garde-côtes font leur métier de garde-côtes en remorquant les clandestins. Le “pape” fait son métier de “pape” en souhaitant aux musulmans les fruits spirituels du ramadan. Et, pour des millions d’aveugles plus ou moins volontaires, en France comme en Italie, la religion de François est la religion de l’Europe, et la synagogue conciliaire la sainte Église de leurs pères. 

Flavien Blanchon