15 février 2013

[Abbé Paul Préaux - entretien avec Christophe Geffroy - La Nef] La communauté Saint-Martin : des prêtres pour l'Église

SOURCE - Abbé Paul Préaux - entretien avec Christophe Geffroy - La Nef - février 2013

Fondée en 1976, la Communauté Saint-Martin n’a cessé de croître et est de plus en plus sollicitée par les évêques. Trop à l’étroit, elle a acquis l’abbaye d’Evron (Mayenne) où elle s’installera en 2014, d’importants travaux étant à prévoir. Entretien avec son modérateur général.
La Nef – Un mot d’abord pour présenter la Communauté Saint-Martin : comment est-elle née, quelle est sa vocation, où êtes-vous implantés… ?
Abbé Paul Préaux – En 1976, poussé par de jeunes étudiants sentant en eux une vocation sacerdotale, l’abbé Jean-François Guérin, prêtre du diocèse de Tours en mission à Paris, décide de quitter la France pour fonder la Communauté Saint-Martin, sous la vigilance paternelle du cardinal Giuseppe Siri, archevêque de Gênes (Italie). Avec les premiers séminaristes qui le suivent, il s’installe dans un couvent capucin à Voltri, non loin de Gênes. Le cardinal Siri accordera, jusqu’à sa mort, en 1989, son amitié à notre fondateur, et lui exprimera sa profonde estime en le nommant chanoine honoraire de la basilique de l’Immaculée Conception à Gênes et de la cathédrale Saint-Laurent. En 1993, la Maison de formation quitte le diocèse de Gênes pour rejoindre le diocèse de Blois à Candé-sur-Beuvron.
La vocation de la Communauté est définie par sa finalité : faire vivre à ses membres le sacrement du ministère apostolique (cf. CEC 1536) selon une forme de vie commune telle qu’elle est recommandée par le concile Vatican II dans l’esprit de saint Martin. Elle se met donc au service des évêques diocésains pour recevoir et accomplir des missions pastorales spécifiques. Actuellement, nous sommes implantés dans une douzaine de diocèses en France, mais aussi en Italie et à Cuba.
Cherchant à vous agrandir, vous allez déménager en Mayenne dans les bâtiments de l’abbaye d’Evron : pourriez-vous nous dire un mot de cette aventure ?
Comment résumer une telle aventure en un mot ? Peut-être avec celui-ci : « Providence » ! Oui, Providence car au fur et à mesure des rencontres, des concertations et des contacts, je peux témoigner de la présence réelle du Seigneur à nos côtés. J’ai été confronté à deux problématiques. D’une part, agrandir la Maison de formation pour y accueillir un plus grand nombre de séminaristes. Aujourd’hui, avec une soixantaine de séminaristes, les chambres sont toutes occupées, jusqu’aux plus petits recoins, la chapelle ne peut contenir suffisamment de stalles, les couloirs bouchonnent, les salles de classes sont combles… Seuls la cuisine et le réfectoire refaits il y a trois ans sont aux dimensions de notre nombre ! D’autre part, la nécessité de se doter d’une Maison généralice capable d’accueillir les prêtres et diacres de la Communauté et d’y proposer une solution pour leur fin de vie mais encore d’assumer les services généraux de la Communauté : économat, chancellerie, secrétariat, archivage. Sans parler des Assises annuelles, lorsque plus de 80 prêtres et diacres reviennent pour trois jours « chez eux », et doivent s’y entasser tant bien que mal…
Quelle spécificité avez-vous par rapport à un séminaire diocésain classique, pourquoi une vocation frappe-t-elle chez vous plutôt que chez son évêque ?
La reconnaissance canonique de la Communauté comprend la mission de former ses membres faisant d’eux des ministres capables de vivre leur ministère en communauté et disponible aux nominations. De fait, un membre de la Communauté s’engage à vivre tout au long de sa vie une certaine mobilité au service d’une plus juste répartition du clergé. Si cet aspect de mobilité rejoint une aspiration actuelle de la nouvelle génération, elle exige aussi une formation adéquate et une continuelle conversion. Il ne s’agit pas, en effet, de flatter une tendance à la bougeotte ou à l’instabilité. D’autre part, ce qui frappe les jeunes qui demandent leur intégration à la Communauté Saint-Martin, c’est l’aspect familial de notre façon de vivre notre ministère. La solitude et l’isolement des prêtres diocésains ne les attirent pas. Mais un autre aspect de notre vie mérite d’être souligné. Notre fondateur nous a transmis un grand amour du sacerdoce et de l’Église. Nous essayons de vivre notre sacerdoce, notre amour de l’Église – y compris sa Tradition vivante –, de façon décomplexée et enthousiaste.
Permettez-moi de poser la question autrement, plus brutalement : votre succès, comme celui d’autres instituts de prêtres séculiers, ne révèle-t-il pas la crise traversée par nombre de séminaires diocésains ?
Vous permettrez certainement que ma réponse soit elle aussi un peu directe ! Je n’aime pas votre expression « votre succès ». D’abord parce que, comme l’a écrit le cardinal J. Ratzinger en 2000, « le succès n’est pas le nom de Dieu » ! Je me méfie des succès apparents, surtout si ceux-ci se remportent sur le dos des autres ! Ce serait vraiment très malsain. La Communauté Saint-Martin doit servir joyeusement le projet de Dieu sur elle. Nous sommes résolument dans le registre de la gratuité du don de Dieu, et non celui de la stratégie humaine. Dieu nous conduit, nous guide, y compris dans les méandres de l’histoire des hommes. Nous voulons être ses serviteurs, ses ambassadeurs, ses apôtres. À ce sujet, j’aimerais vous faire partager une réflexion, devenue célèbre, de notre fondateur Mgr J.-F. Guérin : « La communauté Saint-Martin dans ses origines, son existence, ses ambitions, ne peut être que le fait d’une pure volonté divine. À la lumière de sa dévotion au Cœur du Christ, avec l’aide de Marie-Immaculée, sa Mère, et sous le signe de la charité de Martin, elle ne peut être composée que de la misère de chacun de ses membres mis à la disposition de l’amour miséricordieux de Jésus, unique et souverain Prêtre. À vue humaine, c’est donc une misère dont l’Église n’aurait nullement besoin. Dans la foi, ce devrait être une Sagesse du Fils, à la Gloire de son Père pour le service des âmes dans l’Église. » Nous ne sommes pas meilleurs que les autres, même si aujourd’hui nous avons un peu plus de vocations que certains séminaires diocésains. Nous sommes différents et complémentaires. Cette complémentarité doit servir notre conversion réciproque au Christ et à l’Évangile.
Pourquoi la vie commune est-elle essentielle pour vous ? N’est-ce pas un « luxe » en une époque de cruel manque de prêtres que d’en localiser plusieurs au même endroit ?
La vie commune du clergé n’est pas une nouveauté dans l’Église. Elle prend sa source dans la forme apostolique du ministère. Le bienheureux Jean-Paul II écrivait dans son exhortation apostolique Pastores dabo vobis : « Le ministère ordonné, de par sa nature même, ne peut être accompli que pour autant que le prêtre est uni au Christ par l’insertion sacramentelle dans l’ordre presbytéral et donc pour autant qu’il est en communion hiérarchique avec son évêque. Le ministère ordonné est radicalement de “nature communautaire” et ne peut être rempli que comme “œuvre collective” » (n. 17). Vous le comprenez, la vie commune n’est pas d’abord essentielle à la Communauté Saint-Martin. Elle est essentielle au ministère ordonné. Par contre, il est vrai que la Communauté vit cette exigence selon une forme – familiale – qui lui est spécifique et qui est définie tant par nos statuts que par notre coutumier. Par conséquent, pour reprendre les termes de votre question, j’ai l’impression que le « luxe » ne réside pas aujourd’hui dans le fait de vivre la vie commune, mais dans le fait d’avoir des prêtres heureux qui puissent servir les paroisses.
Face à la désertification sacerdotale de certains diocèses, en tant qu’institut de prêtres séculiers appelés à servir dans les diocèses, comment analysez-vous cette situation et quelle organisation voyez-vous se dessiner pour l’avenir ?
Nous vivons une crise de la foi très sérieuse, y compris parmi les catholiques, qui se traduit par un désenchantement, une peur de l’avenir, une morosité ambiante ! Cette crise a de graves répercussions sur la réponse de certains jeunes à l’appel au sacerdoce. Toutefois, on ne pourra pas remédier à cette crise simplement par une meilleure organisation. Le pape Benoît XVI l’a rappelé récemment aux évêques français en visite ad limina apostolorum : « La solution des problèmes pastoraux diocésains qui se présentent ne saurait se limiter à des questions d’organisation, pour importantes qu’elles soient. Le risque existe de mettre l’accent sur la recherche de l’efficacité avec une sorte de “bureaucratisation de la pastorale”, en se focalisant sur les structures, sur l’organisation, et les programmes, qui peuvent devenir “autoréférentiels”, à usage exclusif des membres de ces structures. Celles-ci n’auraient alors que peu d’impact sur la vie des chrétiens éloignés de la pratique régulière… Il est donc nécessaire que dans les réorganisations pastorales, soit toujours confirmée la fonction du prêtre qui “en tant qu’elle est unie à l’Ordre épiscopal, participe à l’autorité par laquelle le Christ lui-même construit, sanctifie et gouverne son Corps” » (21 septembre 2012). Pour faire face à cette crise, une de mes priorités reste l’éveil des vocations, la formation des prêtres et l’accompagnement de ceux-ci dans leur ministère et leur vie.
Les instituts comme le vôtre sont-ils une « solution » à cette crise ? Autrement dit, les évêques, de plus en plus nombreux, qui font appel à vous, le font-ils par « nécessité » faute de prêtres ou ont-ils d’autres raisons spécifiques de vous inviter ?
Oui, c’est un fait qu’un certain nombre d’évêques français et étrangers réclament une fondation de la Communauté Saint-Martin parce qu’ils savent la place irremplaçable des prêtres dans l’œuvre de l’évangélisation. Dans le dialogue que nous avons avec eux, je sens un désir sincère de respecter notre identité et notre spécificité. Ils me disent qu’ils apprécient que nous soyons vraiment des prêtres de paroisse, travaillant d’abord pour le salut des âmes, et non pour les besoins internes de la Communauté. Si, la plupart du temps, ils nous confient plutôt des ministères paroissiaux, déjà, plusieurs évêques nous demandent des prêtres pour aider à la formation des laïcs et des ministres ordonnés.
Vous vous occupez également d’écoles et organisez nombre de camps de jeunes : quelle place ces activités ont-elles au sein de la Communauté Saint-Martin ?
Si le ministère paroissial est le cœur de notre activité apostolique, les évêques demandent aussi des prêtres pour s’occuper de la pastorale des jeunes. Nous y répondons habituellement en envoyant des prêtres dans les aumôneries mais aussi en lançant des initiatives plus spécialisées : création d’internats diocésains, patronages paroissiaux, camps, routes, et colonies de vacances. Bien évidemment, ces initiatives tiennent une grande place au sein de la Communauté, car l’éducation humaine et chrétienne de la jeune génération est une priorité. Nous avons actuellement la responsabilité pastorale de deux internats : l’un à Pontlevoy (41) et l’autre au Puy-en-Velay (43).
Pourriez-vous nous expliquer les raisons qui vous ont poussé à attacher un soin tout particulier à la formation ?
Du fait de la vie fraternelle propre à la Communauté, l’apprentissage de la vie commune est totalement intégré à la formation des séminaristes. Si les formations spirituelle (spécialement liturgique), intellectuelle (à l’école de saint Thomas d’Aquin) et pastorale ont toute leur place, nous insistons sur une formation humaine intégrale de telle façon que les séminaristes puissent devenir des hommes responsables et autonomes. La Maison de formation doit être une école du service du Seigneur et de son Église, mais aussi de la liberté intérieure. Comme aimait à le répéter Mgr Guérin : « Avant de faire des prêtres, il faut faire des chrétiens qui soient des hommes. » Nous formons des diacres (car nous avons aussi des diacres permanents au sein de la Communauté) et des prêtres en vue de l’exercice du ministère en communauté. Le temps de la formation (et il ne finit jamais… !), c’est le temps de l’apprentissage à l’exercice de la responsabilité propre au ministère ordonné : apprendre à travailler ensemble et avec d’autres, à obéir, à servir un projet commun avec la gratuité du Serviteur. Seuls ceux qui savent obéir avec l’intelligence de la foi et la liberté intérieure, sauront prendre des responsabilités et exercer l’autorité propre au munus regendi, à la mission de gouvernement. Il faut apprendre aussi à partager tant la prière que l’activité apostolique, pour s’exercer au munus sanctificandi, c’est-à-dire à la mission de sanctification des âmes. Cette formation passe par l’exercice du pardon mutuel et la capacité de vivre entre nous la correction fraternelle. Enfin, il faut savoir écouter, à commencer par la Parole de Dieu, pour pouvoir donner une parole, un exemple, un service : cela permet de s’exercer au munus docendi, c’est-à-dire à la mission d’enseignement.
Vous êtes réputés par l’attention que vous portez à la liturgie : pensez-vous qu’il y a eu un manque en ce domaine ? Et comment analysez-vous la situation liturgique actuellement en France et dans l’Église ?
 La liturgie tient une grande place dans l’histoire et la vie de la Communauté Saint-Martin. Mais attention, ce souci pour la liturgie n’est pas dicté d’abord par un goût esthétique, individualiste ou sentimental. Nous donnons à la liturgie toute sa place car nous croyons que « dans la liturgie de la Nouvelle Alliance, toute action liturgique, spécialement la célébration de l’Eucharistie et des sacrements, est une rencontre entre le Christ et l’Église » (Catéchisme de l’Église catholique, n. 1097). C’est l’acte par lequel nous entrons en contact avec Dieu : Il vient à nous, et nous sommes illuminés par Lui. C’est pourquoi, lorsque dans les réflexions sur la liturgie, nous concentrons notre attention uniquement sur la façon de la rendre attrayante, intéressante et belle, nous risquons d’oublier l’essentiel : la liturgie se célèbre pour Dieu et non pour nous-mêmes. « Ce n’est pas l’individu – prêtre ou fidèle – ou le groupe qui célèbre la liturgie, mais elle est avant tout action de Dieu à travers l’Église, qui a son histoire, sa riche tradition et sa créativité. Cette universalité et ouverture fondamentale, qui est propre à toute la liturgie, est l’une des raisons pour laquelle elle ne peut pas être conçue ou modifiée par une communauté singulière ou par des experts, mais elle doit être fidèle aux formes de l’Église universelle. » Cette obéissance fondamentale à ce que l’Église nous demande à travers ses textes liturgiques aurait évité bien des déviances et des difficultés actuelles. Le pape Benoît XVI rappelait dans une de ses Audiences du mercredi : « La liturgie chrétienne, même si elle est célébrée dans un lieu et un espace concret, et exprime le “oui” d’une communauté déterminée, est par sa nature catholique, provient du tout et conduit au tout, en unité avec le pape, avec les évêques, avec les croyants de toutes les époques et de tous les lieux. Plus une célébration est animée par cette conscience, plus se réalise en elle de façon fructueuse le sens authentique de la liturgie » (3 octobre 2012).

Propos recueillis par Christophe Geffroy

Communauté Saint-Martin, 53 rue du Château, BP 34, 41120 Candé-sur-Beuvron Cedex.
Tél : 02 54 52 48 10. Site : www.ctestmartin.fr