31 janvier 2002

[Abbé Patrick Troadec, fsspx - Lettre aux Amis et Bienfaiteurs du Séminaire Saint-Curé-d'Ars] Comment discerner la volonté de Dieu?

Abbé Patrick Troadec, fsspx - Lettre n°46 Aux Amis et Bienfaiteurs du Séminaire Saint-Curé-d'Ars - 31 janvier 2002

Saint François de Sales: un guide éclairé.
Les âmes désireuses de se sanctifier ont parfois du mal à discerner la volonté de Dieu. Certes, elles savent très bien que Dieu la manifeste en premier lieu par ses commandements. Ici, il suffit d'accomplir simplement ce qui est prescrit. Mais pour le reste, dans les décisions à prendre tout au long de nos journées, le champ libre est tellement vaste qu'il n'est pas toujours facile de connaître clairement ce que le Bon Dieu attend de nous.

Cette difficulté n'est pas nouvelle. De tout temps, les âmes pieuses et soucieuses de plaire à Dieu 1'ont rencontrée. Pour la résoudre, un certain nombre ont eu recours à leur directeur spirituel. Aujourd'hui, je voudrais vous donner la solution proposée par saint François de Sales. Sa prudence, sa sagesse, son équilibre font de lui un guide sûr. Sa sainteté jointe à sa longue expérience des âmes donnent à ses réponses un poids considérable.
Les trois actes de la vertu de prudence.
Afin d'y voir plus clair, il est bonde distinguer dans les décisions à prendre celles qui engagent tout notre avenir de celles qui ne sont pas lourdes de conséquences.

Les grandes décisions comme le choix d'un métier, le changement du lieu de résidence, le choix de la vocation, telle dépense particulièrement importante méritent toute notre attention. Une erreur d'appréciation peut avoir des conséquences désastreuses. Malheureusement, nous avons tous de tristes exemples autour de nous. Peut-être nous-mêmes en avons-nous fait les frais un jour ou l'autre. Aussi, pour éviter de nouvelles déconvenues, écoutons attentivement les conseils de saint François de Sales. Il a décrit en peu de mots le processus à suivre dans le Traité de l'amour de Dieu: il faut être bien humble, dit-il, et ne point penser de trouver la volonté de Dieu à force d'examens et de subtilité de discours. Mais après avoir demandé la lumière du Saint-Esprit, appliqué notre considération à la recherche de son bon plaisir, pris le conseil de notre Directeur, et, s'il y a lieu, de deux ou trois autres personnes spirituelles, il se faut résoudre et déterminer au nom de Dieu. Par conséquent, pensons tout d'abord à prier pour que Dieu soit au cœur de nos délibérations; ensuite, faisons appel à notre réflexion pour discerner les avantages et les inconvénients des différentes solutions envisagées. Le Bon Dieu nous ayant donné une intelligence, nous devons nous en servir. Ainsi, la prière ne dispense pas de la réflexion.

Par ailleurs, dans la mesure où nous ne sommes pas compétents dans tous les domaines, n'hésitons pas à prendre conseil auprès de personnes prudentes pour porter le jugement le plus sûr. Enfin, après avoir discerné le choix à faire, prenons une fois pour toute la décision qui nous paraît la plus judicieuse.

Si l'on respecte cette démarche, on évitera les deux erreurs les plus classiques que l'on rencontre trop souvent: une par excès, l'autre par défaut. D'un côté, il y a ceux qui foncent tête baissée et ne font pas assez appel à leur réflexion avant d'agir et de l'autre, ceux qui réfléchissent trop et ne savent pas se décider. La prudence comme toute vertu morale se situant dans un juste milieu permet d'éviter ces deux écueils.

Ajoutons que ce n'est pas tout de prendre les bonnes décisions. Il faut ensuite mettre sans retard nos projets à exécution. Aujourd'hui dans le langage courant, le terme de prudence a perdu de sa force originelle. On nomme facilement prudent l'homme qui reste to,ujours en retrait et n'ose jamais exprimer le fond de sa pensée ni la mettre à exécution. En réalité, l'homme prudent est au contraire celui qui sait prendre les bonnes décisions au bon moment. Saint Thomas d'Aquin l'a très bien expliqué dans sa Somme Théologique: des trois actes de la vertu de prudence que sont la réflexion, le jugement et l'intimation, l'acte principal est l'intimation c'est-à-dire le fait de passer à l'action.
Garder le cap.
Cependant, il n'est pas rare qu'au moment de l'exécution de nos desseins, nous nous trouvions face à certains obstacles que nous avions peut-être minimisés ou négligés. Alors, la tentation est forte de revenir en arrière. Pourtant, le langage de saint François de Sales est clair: une fois que nous avons pris une décision, il ne faut plus par après révoquer en doute notre choix, mais le cultiver et soutenir dévotement, paisiblement et constamment. Et bien que les difficultés, tentations et diversités d'événements qui se rencontrent au progrès de l'exécution de notre dessein, nous pourraient donner quelque défiance d'avoir bien choisi, il faut néanmoins demeurer fermes et ne point regarder tout cela, mais considérer que si nous eussions fait un autre choix, nous eussions peut-être trouvé cent fois pire; outre que nous ne savons pas si Dieu veut que nous soyons exercés en la consolation ou en la tribulation, en la paix ou en la guerre. (Traité de l'amour de Dieu). Seule une nouvelle donnée objective pourrait nous conduire à changer d'orientation.

Pourquoi garder cette constance dans l'épreuve? Le Saint évêque de Genève nous donne la clé: la résolution étant saintement prise, il ne faut jamais douter de la sainteté de l'exécution, car, s'il ne tient à nous, elle ne peut manquer. (Ibid.)

En bon médecin des âmes, pour nous stimuler à suivre ses précieux conseils, notre saint conclut en écrivant: faire autrement, c'est une marque d'un grand amour-propre ou d'enfance, faiblesse ou niaiserie d'esprit. (Ibid.) Puissions-nous éviter d'entrer dans l'une de ses quatre classes d'hommes!
La volonté de Dieu dans la vie de tous les jours.
Si pour les grandes décisions, il importe de prendre son temps et ne pas s'en gager à la légère, pour les petites décisions de la vie quotidienne en revanche, il ne faut pas se torturer l'esprit pour tenter de discerner ce qu'il y aurait de mieux à faire. Citons à nouveau saint François de Sales: « Théotime, je vous avertis d'une tentation ennuyeuse qui arrive souvent aux âmes qui ont un grand désir de suivre en toutes choses ce qui est plus selon la volonté de Dieu, car l'ennemi en toutes circonstances, les met en doute si c'est la volonté de Dieu qu'elles fassent une chose plutôt qu'une autre; comme, par exemple, si c'est la volonté de Dieu qu'elles mangent avec leur ami ou qu'elles ne mangent pas, qu'elles prennent des habits gris ou noirs, qu'elles jeûnent le vendredi ou le samedi, qu'elles aillent à la récréation ou qu'elles s'en abstiennent, en quoi elles consument beaucoup de temps; et tandis qu'elles s'occupent et s'èmbarrassent à vouloir discerner ce qui est le meilleur, elles perdent inutilement le loisir de faire plusieurs biens desquels l'exécution serait plus à la gloire de Dieu, que ne saurait être le discernement du bien et du mieux auxquels elles se sont amusées.

« On n'a pas l'habitude de peser la menue monnaie, mais seulement les pièces d'importance. Le trafic serait trop ennuyeux et mangerait trop de temps s'il fallait peser toutes les petites pièces. Ainsi ne doit-on pas peser toutes sortes de menues actions pour savoir si elles valent mieux que les autres. Il y a même de la superstition à vouloir faire cet examen: car à quel propos mettra-t-on en difficultés s'il est mieux d'entendre la Messe en une église qu'en une autre, de filer que de coudre, de donner l'aumône à un homme qu'à une femme? Ce n'est pas bien servir un maître d'employer autant de temps à considérer ce qu'il faut faire, comme à faire ce qui est requis. Il faut mesurer notre attention à l'importance de ce que nous entreprenons : ce serait un soin déréglé de prendre autant de peine à délibérer pour faire un voyage d'une journée, comme pour celui de trois ou quatre cents kilomètres.

« Parmi les petites actions journalières où la faute n'est ni de conséquence, ni irréparable, qu'est-il besoin de faire tant d'importunes consultations? A quel propos me mettrai-je en dépense pour apprendre si Dieu aime mieux que je dise le rosaire ou l'office de Notre-Dame, puisqu'il ne saurait y avoir tant de différence entre l'un et l'autre qu'il faille pour cela faire une grande enquête? Que j'aille plutôt à l'hôpital visiter les malades qu'à vêpres, que j'aille plutôt au sermon qu'en une église où il y a indulgence?

« Il n'y a rien pour l'ordinaire de si apparemment remarquable en l'un plutôt qu'en l'autre, qu'il faille. pour cela entrer en grande délibération. Il faut aller tout à la bonne foi et sans subtilité en telles circonstances; et, comme dit saint Basile, faire librement ce que bon nous semblera, pour ne point lasser notre esprit, perdre le temps, et nous mettre en danger d'inquiétude, scrupule et superstition ». (Ibid.) Puissent ces propos rassurer les personnes de nature inquiète et les aider à conserver la simplicité dans les décisions à prendre dans la vie de tous les jours. L'amour de Dieu, tel un filtre, nous conduit à abandonner peu à peu les activités non nécessaires à notre salut pour ne conserver que celles qui sont les plus agréables à Dieu. Une retraite spirituelle est certainement l'un des meilleurs moyens de contribuer à cette purification.
Conseils aux jeunes.
Je souhaite que tous les jeunes gens et jeunes filles connaissent assez tôt ces règles de prudence afin qu'ils les appliquent consciencieusement. Grâces à Dieu, nous voyons de nombreux jeunes équilibrés qui le font. Ils sont la consolation de leurs parents et de leurs éducateurs. Malheureusement, d'autres par ignorance ou par faiblesse les négligent et en sont tôt ou tard les premières victimes. Depuis le début de mon ministère, je l'ai bien souvent constaté. Il est indubitable que de nombreux jeunes ne suivent pas toujours les règles élémentaires de prudence au moment de prendre les grandes décisions qui engagent tout leur avenir.

Certains font preuve de précipitation et d'irréflexion se laissant attirer davantage par la facilité que par le sens du devoir. Un jour ou l'autre, ils s'en rendent bien compte mais se retrouvent dans une impasse lorsqu'ils ont pris des décisions irréversibles.

D'autres, et ils sont légions, se laissent gagner par la pusillanimité. A l'inverse des précédents, ils se posent tellement de questions qu'ils n'arrivent jamais à prendre de décisions. On les entend gémir sur les malheurs des temps, mais dans la pratique ils laissent leurs talents inexploités.

Enfin, il y a ceux qui après s'être engagés dans une voie se laissent décourager par les obstacles et reviennent sur des décisions qui pourtant auraient dû être leur planche de salut.

En ce qui concerne plus précisément les vocations, quelques jeunes gens frappent parfois bien tard et même trop tard à la porte du séminaire. D'autres se laissent arrêter par des motifs futiles ou sont empêchés par leurs parents. Certains encore ont perdu leur vocation au contact du monde. Vous comprenez dès lors pourquoi la prudence mérite le titre de reine des vertus morales.

Je confie, chers amis et bienfaiteurs, tous nos séminaristes à vos charitables prières afin qu'ils exercent dès à présent cette belle vertu de prudence qui leur sera si nécessaire tout au long de leur ministère. Soyez assurés en retour des prières de tout le séminaire à vos intentions et recevez ma bénédiction.

Abbé Patrick Troadec, Directeur

Le 31 janvier 2002, en la fête de saint Jean Bosco.