14 février 2012

[Paix Liturgique] Rambouillet: les intermittents du Motu proprio

SOURCE - Paix Liturgique n°322 - 14 février 2012

Depuis 2008, les fidèles de Rambouillet attachés à la liturgie traditionnelle bénéficient, seulement une fois par mois, de la messe dominicale selon la forme extraordinaire du rite romain. Une célébration voulue ad experimentum à l'origine et qui continue à l'être aujourd'hui, quatre ans plus tard. Oui, quatre ans : on peut dire que l’expérience est prudente ! Une situation emblématique du gel et de la frilosité qui ont caractérisé jusqu’à présent le diocèse de Versailles en matière d'application du Motu Proprio Summorum Pontificum.

I – UN « GROUPE STABLE » ÉTALON : 200 FIDÈLES EN ATTENTE DE MESSE EXTRAORDINAIRE DEPUIS 4 ANS

Une messe dominicale mensuelle, à 9h30, rassemblant près de 200 fidèles, et une messe chaque premier vendredi du mois (30/40 fidèles) : il est difficile de trouver groupe aussi dûment comptabilisé, rigoureusement fidèle et numériquement important, que celui des fidèles de Rambouillet attachés à la forme extraordinaire du rite romain. À Rambouillet on a, depuis 2008, un groupe stable incontestable, exemplaire à bien des égards, qui demande une messe extraordinaire dominicale hebdomadaire.

Mois après mois, depuis quatre ans, les fidèles qui garnissent l'église Saint-Lubin votent avec leurs pieds pour la messe extraordinaire hebdomadaire. Malgré leur persévérance tranquille, ils demeurent privés de l'application du droit que le Saint-Père a accordé à l'Église universelle par le Motu Proprio Summorum Pontificum et que l'instruction Universæ Ecclesiæ a confirmé l'an dernier, à savoir vivre sa foi, dans sa paroisse, au rythme de la liturgie traditionnelle. Tous les dimanches et pas seulement un dimanche par mois !

Pendant longtemps habitués, ici comme ailleurs, à être tenus pour des catholiques de second ordre, la plupart des fidèles qui désirent la messe extraordinaire se résignent à la situation présente, au motif que “ c'est mieux que rien ”. D'autres cependant n'en peuvent plus de cette situation qui fait que leur sensibilité liturgique et spirituelle n'est respectée qu'au compte-gouttes. À ces fidèles-ci, la Fraternité saint Pie X offre depuis quelques semaines une solution alternative puisqu'elle a ouvert un centre de messe aux Essarts-le-Roi, à une vingtaine de minutes de Rambouillet.

Il faut dire, et c'est tout le paradoxe de Rambouillet, qu'il s'agit de la seule paroisse du diocèse de Versailles dont le curé a volontairement embrassé le Motu Proprio Summorum Pontificum. Mais il l’a fait partiellement. Sollicité par quelques fidèles, le père Lecourt accepta en effet, dès octobre 2007 et par esprit d'obéissance au Saint-Père, l'idée de célébrer le dimanche la forme extraordinaire du rite romain à Saint-Lubin. Ce qui fut fait le 13 janvier 2008, le temps pour les fidèles de s'organiser et pour le père Lecourt de réapprendre la liturgie de ses premiers mois de sacerdoce. Après ce coup d'essai réussi, 450 personnes - quand les organisateurs en attendaient 80  ! - , l'expérience fut reconduite de mois en mois, ou presque, jusqu'à l'été 2008, l'assistance se stabilisant autour de 200 personnes. Certains esprits chagrins reprochant (1) aux fidèles de ne pas être de la paroisse et donc aux “ tradis ” d'instrumentaliser le succès de cette célébration, le père Lecourt organisa une réunion de conciliation entre les familles attachées à la forme extraordinaire et ceux qui s'inquiétaient de leur activité au sein de la paroisse. Une fois établi que, entre scoutisme et catéchisme notamment, les demandeurs appartenaient en fait à des familles déjà connues et impliquées dans la paroisse, l'essentiel des tensions paroissiales s'estompa et le curé décida, à la rentrée 2008, d'officialiser la célébration mensuelle de la liturgie traditionnelle.

II – DEPUIS 4 ANS, UN CURÉ EMBARRASSÉ

Pour tenter de comprendre pourquoi la célébration mensuelle ad experimentum de la forme extraordinaire à Rambouillet l'est toujours plus de quatre ans après son institution, il est intéressant de se pencher sur la relation qu'entretient avec elle le père Lecourt, curé de la paroisse et célébrant habituel.

En septembre 2010, à des fidèles qui venaient lui demander la mise en place pleine et entière (c'est-à-dire tous les dimanches) du Motu Proprio dans la paroisse, le père Lecourt donnait deux raisons principales pour ne pas l'accorder :
- l'absence d'unité dans les textes entre les deux formes (lectures et évangiles),
- le manque de temps.

Très sensible à la question des lectures, il se disait prêt à revoir sa position si les lectionnaires venaient à être unifiés... En d’autres termes, Rome (= le Pape) a décidé que le lectionnaire extraordinaire restait inchangé mais le curé de Rambouillet décide de n'appliquer pleinement le Motu Proprio que si le lectionnaire extraordinaire est modifié. D’où un vrai déni de justice à l'encontre de fidèles qui sont de fait pris en otage par une décision unilatérale contraire aux textes du Motu Proprio ! Par ailleurs, en ce qui concerne la suggestion émise par les demandeurs de faire appel à des prêtres habitués à la forme extraordinaire pour le suppléer et l'aider à régler ainsi la question de son manque de temps, le père Lecourt répondit qu'il préférait gérer cela tout seul.

Fin 2011, pour vérifier ces informations et savoir si l'affirmation du caractère définitif du Motu Proprio - sanctionné par la publication de l'instruction Universæ Ecclesiæ - avait influencé son état d'esprit, nous avons joint par téléphone le père Lecourt. Et, le moins que l'on puisse dire, c'est que le père Lecourt est cohérent dans ses explications et dans son attitude. Il demeure dans ce que l’on pourrait appeler sa communion imparfaite avec le Motu Proprio.

D’abord, il nous a fait part de sa « surprise » quant au Motu Proprio Summorum Pontificum qui, tout comme le Motu Proprio Ecclesia Dei, ne respecterait pas, selon lui, « les textes du Concile, et particulièrement Verbum Dei, car il y manque toute la richesse des lectures, particulièrement celles de l'Ancien Testament ». Ensuite, il nous a essentiellement répété que, pour lui, dire la messe traditionnelle représente « un travail fou ». Cela le contraint en effet à préparer deux sermons « puisque les textes de la liturgie du jour diffèrent » dans les deux formes ; ce qui une nouvelle fois semble assez contradictoire avec le désir du père curé de ne pas se faire aider… Ne se ferait-il pas aider si les circonstances l'incitaient à devoir mettre en place une messe en portugais pour des paroissiens portugais qui le solliciteraient, comme cela se fait dans de nombreuses paroisses du diocèse de Versailles ?

Loin de nous l’idée de vouloir jeter la pierre au père Lecourt : il représente les indécisions et les hésitations inhérentes à une période de transition, d’autant plus compréhensible chez lui qu’elles sont celles de son autorité supérieure, celle du diocèse, comme nous le dirons plus loin. Dans ses rapports avec les fidèles, il avoue être « très content de la façon dont cette messe est préparée, soigneusement, avec une belle chorale »... Bref, il s'entend bien avec le groupe de demandeurs mais précise que la moitié de ses paroissiens ordinaires « seraient assez hostiles à ce qu'il y ait une messe tous les dimanches ». Cela semble contradictoire avec les faits mais illustre un argument souvent avancé par les curés pour justifier les refus ou les mises en place lentes du Motu Proprio : " Si cela ne tenait qu'à moi je l'accorderais volontiers, mais comme certains paroissiens y sont opposés "… Déjà, en janvier 2010, le père Lecourt déclarait à La Croix avoir « refusé de célébrer toutes les semaines car cela créerait une fracture trop grande dans la vie paroissiale » tout en reconnaissant que « de nombreux fidèles traditionalistes » participaient désormais aux messes ordinaires et que « la plupart se retrouvent à notre kermesse ou à nos soirées paroissiales ». Bref, une position complexe et embarrassée, pas hostile au fond mais pas encore franchement ouverte.

Rappelons à ce titre qu'un sondage commandé par Paix Liturgique en novembre / décembre 2009 révélait que seulement 21 % des catholiques du diocèse de Versailles (environ 1 sur 5) estimaient anormal le fait que les deux formes liturgiques soient célébrées régulièrement dans leurs paroisses.

En tout cas, ce n'est pas du côté des fidèles attachés à la forme extraordinaire du rite romain qu'il faut chercher les menaces de " fracture " paroissiale... La plupart d'entre eux sont satisfaits des célébrations de l'abbé Lecourt, aux sermons souvent bien sentis et, effectivement, toujours très travaillés. Un climat fraternel entre le célébrant et les fidèles, une assistance nombreuse, des pratiquants de la forme extraordinaire disponibles pour les activités paroissiales. Mais la célébration de Rambouillet reste tout de même mensuelle. C’est trop pour pouvoir la supprimer. Ce n’est pas assez pour répondre à la demande qu’elle représente. Équilibre instable, qui ne saurait durer longtemps.

III – LES COMMENTAIRES DE PAIX LITURGIQUE : LA PREUVE PAR LA FSSPX

1) Depuis le 20 novembre 2011, la FSSPX célèbre chaque dimanche à 10 heures dans un ancien bâtiment industriel des Essarts-le-Roi (12 km de Rambouillet et non loin de Montfort-l'Amaury). Cela faisait deux ans que la Fraternité cherchait à développer son apostolat dans les Yvelines. Or, aux Essarts-le-Roi, la FSSPX rassemble d'ores et déjà de 80 à 100  personnes chaque semaine. Y compris les dimanches de messe à Saint-Lubin. Pourtant, l'assistance à Saint-Lubin n'a pas diminué (indice de l'importance de la demande de vivre au rythme de la forme extraordinaire dans le diocèse de Versailles !). La multiplication de l'offre de messes ne divise pas les fidèles mais les multiplie. C'est là la '' énième '' preuve de ce que révèlent de façon concordante dans l'espace et le temps nos sondages : l'immense majorité des fidèles désireux de la forme extraordinaire du rite romain n'appartient pas aux communautés traditionalistes mais se trouve dans les paroisses ordinaires. Des milliers de catholiques qui participent à la vie de leur paroisse, même s'ils n'en partagent pas bien souvent les orientations. Des fidèles auxquels le Souverain Pontife a pensé en publiant le Motu Proprio Summorum Pontificum mais que tant de curés et d'évêques refusent de considérer.

2) La présence de la FSSPX aux abords de Rambouillet peut-elle encourager le père Lecourt à augmenter la fréquence des messes célébrées à Rambouillet ? Cette question, nous la lui avons franchement posée fin janvier au cours d'un nouvel entretien téléphonique (2). Voici sa réponse : « Je ne sais pas encore. Je n'ai pas constaté de changement ni d’hémorragie dans les fidèles de la messe en forme extraordinaire. » Ce en quoi le père Lecourt a raison car il n'y a pas pour les fidèles de concurrence entre les deux célébrations… (Mais comme le père Lecourt remarque lui-même que certains de ses fidèles " extra " ne sont pas à Rambouillet les dimanches où celle-ci n'est pas célébrée, il faut bien s'interroger sur les lieux où ils se rendent ces autres dimanches pour honorer le précepte dominical). Au contraire, le 29 janvier, il y avait même plus de fidèles que d'habitude : « une dizaine ». Un phénomène que le curé de Rambouillet ne s'explique d'ailleurs pas. Pas de réponse précise donc mais pas de porte fermée non plus. Il faut dire que lors de cette conversation, le père Lecourt s'est dit très content de revoir souvent les paroissiens de la forme extraordinaire dans ses messes Paul VI et de « la passerelle qui s'est créée entre les paroissiens » de l'une et l'autre forme.

3) Considérant la bonne atmosphère dans laquelle se déroule la célébration de Rambouillet et la bonne disposition du curé, en dépit des trois obstacles qu'il mentionne, tout en sachant bien qu’ils ne sont pas dirimants, comme on dit en droit canonique (diversité des lectures entre les deux formes du rite romain et manque de temps personnel, risque d’une fracture paroissiale), on a du mal à comprendre le blocage de la situation aussi longtemps. Force est de se tourner vers les autorités diocésaines pour avoir d’autres éléments : en 2009, répondant à un courrier de fidèles de Rambouillet, Mgr Aumonier avait refusé par écrit que la célébration devienne hebdomadaire. L’embarras n’est donc pas seulement au niveau du curé.

La ligne du diocèse de Versailles en matière de forme extraordinaire semblait se résumer jusqu’à présent à : « Nous faisons plus et mieux qu'ailleurs, il n'y a donc rien de plus à faire. » Et de fait, la constatation est massive : depuis l'entrée en vigueur de Summorum Pontificum, aucune application paroissiale hebdomadaire du Motu Proprio n'a été mise en œuvre dans le diocèse.

4) Il nous reste à exprimer une réflexion : de l'avis de tous, la messe célébrée à Rambouillet une fois par mois selon la forme extraordinaire attire environ 200 fidèles… Or, beaucoup de familles refusent le nomadisme, ce qui signifie que si la messe selon la forme extraordinaire était célébrée à Rambouillet tous les dimanches et fêtes nous pouvons être assurés en nous appuyant sur de nombreux cas semblables que l'assistance croîtrait rapidement. Si les familles qui refusent le nomadisme liturgique pouvaient se fixer à Saint-Lubin d'une manière stable, on aurait facilement non pas 200 fidèles qui vivraient leur foi catholique au rythme de la forme extraordinaire à Rambouillet mais plus vraisemblablement 250 ou 300 !

5) Notons aussi l'esprit de loyauté dans lequel la situation a évolué à Rambouillet : pas de dénombrement, pas de liste, pas de fichage, mais une évolution des esprits (qui prépare une évolution dans la pratique) fondée sur le dialogue, le bon sens, l'expérimentation et une adaptation au réel : de cela nous ne pouvons que remercier le père Lecourt qui a agi comme un père et un pasteur.

6) Et puis, même si nous nous associons au regret de ces fidèles de ne pouvoir bénéficier d'une manière large et généreuse des bienfaits du Motu Proprio, nous observons que les catholiques de Rambouillet sont infiniment mieux servis que ceux de Poissy, de Louveciennes, de Mantes, de Montfort-l'Amaury ou encore de Saint-Germain-en-Laye qui eux ne récoltent pas la moindre miette liturgique tombant de la table paroissiale. Pour l’instant.

(1) Relevé des plaques de voitures à l'appui (mais à vrai dire sans grands résultats car, de fait, 95 % des fidèles viennent des Yvelines et les rares " étrangers " de l'Eure-et-Loir voisine !)

(2) Qu’il nous soit permis de remercier vivement le père Lecourt pour sa disponibilité.