25 janvier 2009





L’Eglise a toujours gardé la porte ouverte aux fidèles de Mgr Lefebvre
25/01/2009 - Nicolas Senèze - la-croix.com
La décision de Benoît XVI constitue une nouvelle étape de quarante années de débat entre Rome et les intégristes, marquées par le schisme de 1988

Ce 30 juin 1988, 6 000 fidèles se sont réunis sur la prairie du séminaire d’Écône, au pied des Alpes valaisannes. À 11 h 45, sous la grande tente blanche, Mgr Marcel Lefebvre, ancien archevêque de Dakar, impose les mains sur les abbés Bernard Tissier de Mallerais, Richard Williamson, Alfonso de Galarreta et Bernard Fellay.

Ce geste, par lequel il fait d’eux des évêques, est gravissime : Jean-Paul II le lui a formellement interdit et, depuis plusieurs mois, tente de l’en empêcher par tous les moyens. La veille au soir, le nonce apostolique en Suisse est venu jusqu’à Écône avec un message du cardinal Joseph Ratzinger : au nom du pape, le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi convoque « paternellement mais fermement » Mgr Lefebvre à Rome. Mais rien n’y fait, malgré la lourde sanction à laquelle s’expose cet évêque haut en couleur.

Car, par ce geste schismatique, Mgr Lefebvre et les quatre nouveaux évêques se sont automatiquement excommuniés, c’est-à-dire exclus de la communion des fidèles. Une sanction que confirme, le lendemain, un décret du cardinal Bernardin Gantin : le préfet de la Congrégation pour les évêques avertit « les prêtres et les fidèles (…) de ne pas donner leur assentiment à l’acte schismatique de Mgr Lefebvre afin de ne pas encourir la même peine ». Le lendemain, le motu proprio Ecclesia Dei adflicta de Jean-Paul II confirmera cette « grave peine de l’excommunication ». "Cette Réforme est tout entière empoisonnée"
En fait, les racines de la discorde sont profondes. Depuis de nombreuses années déjà, Mgr Lefebvre est le porte-drapeau du mouvement intégriste. Sa principale revendication : le refus de la rénovation liturgique demandée par Vatican II et la possibilité d’utiliser le Missel de saint Pie V (en usage avant le Concile) plutôt que celui promulgué par Paul VI en 1969. Mais, plus profondément, c’est le refus du Concile lui-même qui conduit Mgr Lefebvre au schisme.

« Nous refusons de suivre la Rome de tendance néomoderniste et néoprotestante qui s’est manifestée clairement dans le concile Vatican II et après le Concile dans toutes les réformes qui en sont issues, écrit-il en 1974 dans un manifeste d’une rare violence de ton. Cette Réforme étant issue du libéralisme, du modernisme, est tout entière empoisonnée ; elle sort de l’hérésie et aboutit à l’hérésie. »

Très tôt, pourtant, Rome a tout tenté pour ramener à résipiscence l’archevêque rebelle qui, en 1970, a fondé le séminaire d’Écône et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX). Mais les échanges avec Paul VI échouent : en juillet 1976, Mgr Lefebvre est suspens a divinis, c’est-à-dire interdit de célébrer les sacrements. Avec Jean-Paul II, les choses semblent d’abord s’améliorer. En 1984, l’Église définit un cadre pour permettre aux fidèles qui y sont attachés de célébrer avec l’ancien Missel. Les discussions entre le cardinal Ratzinger et Mgr Lefebvre vont pourtant échouer. Le 4 mai 1988, ce dernier signe bien un texte où il déclare accepter Vatican II, mais il se rétracte le lendemain…
Le refus de Vatican II
Malgré le schisme de 1988, l’Église catholique ne cessera jamais de tendre la main aux intégristes. En 2000, à la faveur du Jubilé où 6 000 fidèles de la Fraternité Saint-Pie-X viennent en pèlerinage à Rome, le dialogue est discrètement renoué avec Mgr Fellay, l’un des quatre évêques ordonnés en 1988, devenu supérieur général de la FSSPX. Mais ce dernier refuse finalement la main tendue.

Il faut attendre le pontificat de Benoît XVI pour que Rome réponde positivement aux deux « préalables » posés par les intégristes à la mise en place d’un dialogue doctrinal. Le premier était la libéralisation de la messe selon l’ancien rite : Benoît XVI l’a permis en juillet 2007 avec le motu proprio Summorum Pontificum, qui permet à tout prêtre de célébrer dans la « forme extraordinaire du rite romain ». Le second était le retrait du décret d’excommunication de 1988 : ce que Benoît XVI vient donc d’accepter.

Reste le problème de fond, sur lequel le dialogue avec les intégristes a toujours achoppé : leur refus de Vatican II, dont l’Église a célébré dimanche les cinquante ans de la convocation par le bienheureux Jean XXIII. « L’Église devra effacer ce concile. Elle devra l’oublier. En faire table rase », expliquait Mgr Tissier de Mallerais en 2006 à un journal intégriste américain.

Nicolas SENÈZE