11 février 2009





Le facteur personnel : des erreurs de casting?
11.02.09  - lavie.fr
« Benoît XVI a adopté un mode de vie très monastique, académique, universitaire, qui le protège », explique un ancien diplomate. Jean Paul II était hyperrelationnel et tenait messe et table ouvertes. Benoît XVI mange et prie seul, et il n’aime pas voir virevolter conseillers ou courtisans. « Joseph Ratzinger est un solitaire, je ne lui ai jamais connu de véritable ami, assure un ancien collègue universitaire. Il travaille seul. C’était déjà le cas lorsqu’il fut archevêque de Munich. » Devenu pape, il dirige avec la même parcimonie. Les chefs de dicastère ne le rencontrent en privé que rarement. Des rendez-vous exceptionnels sont difficiles à obtenir, même pour son secrétaire d’État. Seules trois personnes le voient quotidiennement : son secrétaire Georg Gänswein, Mgr Mamberti, un Français qui est son ministre des Affaires étrangères, et Mgr Filoni, le substitut de la secrétairerie d’État chargé des affaires générales, c’est-à-dire non liées à l’international. « Le pape ne reçoit jamais individuellement les nonces, ses ambassadeurs, pour humer l’air du terrain. Récemment, le patriarche maronite, Pierre Sfeir, s’est plaint de ne pouvoir rencontrer Benoît XVI lors d’un passage à Rome, alors que, du temps de Jean Paul II, ce cardinal libanais rencontrait le pape à chaque passage, presque au débotté », affirme un diplomate. « Cela explique que le pape soit peu au courant. Il n’est pas du tout invraisemblable que des informations extrêmement importantes ne lui parviennent pas. » Même lors de leurs visites réglementaires, les évêques voient le Saint-Père lors d’un entretien privé, mais très court, et le suivi de ces visites dépend de la bienveillance des dicastères.
Les décisions de Benoît XVI sont donc tributaires d’une information ultrafiltrée. « Comme il n’a nommé autour de lui que des gens proches de ses idées, le champ de vision est rétréci », précise un évêque. Et, apparemment, on ne lui dit pas tout. Était-il seulement au courant que, parmi les adultes qu’il a baptisés lors de la dernière veillée pascale, se trouvait Magdi Allam, un ex-musulman reconverti dans la croisade contre l’islam, qui le lendemain instrumentalise le sacrement reçu en écrivant dans les colonnes d’un journal qu’il jouit du soutien de Benoît XVI, et qui, six mois plus tard, lance une offensive contre le cardinal Tauran, que le pape a pourtant nommé responsable du dialogue interreligieux ? Lors de la succession de l’archevêque de Varsovie, fin 2006, ni le nonce en Pologne, Józef Kowalczyk, ni le secrétaire d’État, Bertone, ne semblent avoir transmis au pape l’information selon laquelle le candidat choisi, Stanislas Wielgus, était soupçonné d’avoir collaboré avec les services secrets du régime communiste. En confiance, le pape confirme la nomination. Devant la tempête politique qui fait rage en Pologne suite à l’annonce officielle, il devra finalement forcer Wielgus à la démission au moment même de sa prise de fonctions.
Ancien négociateur de Jean Paul II à la veille du schisme, Joseph Ratzinger connaît les tenants et les aboutissants du dossier lefebvriste. Il avait mis la question à l’ordre du jour de la première réunion de son pontificat des cardinaux et chefs de dicastère de la curie en février 2006, puis lors du consistoire du mois de mars… Les oppositions à son projet s’étaient alors clairement exprimées, dont celle de William Levada, son successeur comme patron de la congrégation pour la doctrine de la foi. Après la création surprise de l’Institut du Bon-Pasteur, en septembre 2006, le pape a pu mesurer que sa volonté de réconciliation était difficilement perçue à la base. Des cardinaux français (Jean-Pierre Ricard, Jean-Marie Lustiger, puis André Vingt-Trois) se sont déplacés à Rome pour l’alerter sur les problèmes posés par les abbés réintégrés. De son côté, l’ambassadeur de France près le Saint-Siège avait clairement porté à la connaissance du Saint-Siège ses réserves, notamment en raison de la dimension politique de la mouvance lefebvriste. Lors de la libéralisation de l’usage du missel de jadis, en juillet 2007, le Vatican devait à nouveau essuyer les critiques, en particulier en provenance de la communauté juive qui jugeait ce missel porteur d’antijudaïsme.
En dépit de ces alertes, Benoît XVI a voulu poursuivre. Pourquoi a-t-il maintenu sa confiance au cardinal Castrillón Hoyos, alors que celui-ci s’était révélé peu fiable sur l’opération de l’Institut du Bon-Pasteur ? « Le pape n’est pas un manager qui déciderait de passer un dossier à un autre collaborateur parce qu’il se défie du premier, explique un familier du palais apostolique. Je suis sûr qu’il était conscient des limites de Castrillón Hoyos, mais qu’il n’avait pas le choix s’il voulait poursuivre le processus. Il sait que Castrillón Hoyos est le seul avec lequel la Fraternité Saint-Pie-X accepte de dialoguer. »
« La réduction du schisme a été l’obsession de Paul VI, de Jean Paul II, rappelle l’historien de la papauté ­Philippe Levillain. Paul VI, dès que Mgr Lefebvre a commencé à manifester son désaccord, a toujours maintenu le fil du dialogue. Jean Paul II a poursuivi dans cette voie tandis que les exigences de la Fraternité augmentaient. Benoît XVI considère qu’il y a urgence, qu’il est le dernier à avoir les clés de l’intelligence du schisme puisqu’il était à Vatican II, ce qui ne pourra être le cas de son successeur. Les lefebvristes le savent et font monter les enchères. »
Que le pape n’ait pas pris soin de diversifier ses sources, se reposant uniquement sur la commission Ecclesia Dei, que celle-ci n’ait pas assez enquêté sur Williamson restent le point aveugle du dossier. Cependant, l’un des acteurs souligne que bien des interrogations pesaient sur le cas Williamson à la veille de la levée des excommunications. « On savait qu’il était le plus dur d’un point de vue idéologique. J’ai cherché deux ou trois choses sur Internet mais je ne suis pas tombé sur ses propos négationnistes. »