21 janvier 2012

[La Porte Latine] Sermon de l'abbé de Cacqueray pour les funérailles de M. l'abbé Jamin le 21 janvier 2012

SOURCE - Abbé de Cacqueray, fsspx - la Porte Latine - 21 janvier 2012

Au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, Ainsi-soit-il.

Chers messieurs les abbés, chers confrères, chère famille, chers fidèles,

Je voudrais tout d’abord retracer rapidement quelle a été la vie de notre confrère, Monsieur l’abbé Jamin, et puis ensuite permettez-moi de dire pourquoi l’Eglise et les âmes sont marquées à l’occasion du décès d’un Prêtre et plus spécialement en ce jour du décès de M. l’abbé Jamin.

Monsieur l’abbé Jamin est donc décédé ce 17 janvier 2012 à l’âge de 81 ans en la fête de Notre-Dame de Pontmain, muni des Sacrements de la Sainte Eglise. Ce fut un prêtre fidèle au combat de la Tradition, il était dans la 57ème année de son sacerdoce. Il est né tout près d’ici, à la Bruffière, le 31 janvier 1930 et il est entré au grand séminaire de Luçon où il a été ordonné le 28 juin 1955 dans la cathédrale. Il fut ensuite nommé vicaire successivement aux Sables-d’Olonnes, à la Meilleraie, à l’île d’Yeu ; ensuite il devient professeur à Notre-Dame de Luçon, vicaire à Fougeré, aumônier de Religieuses à Bourgenay, enfin il est nommé curé de la paroisse toute proche de St-Hilaire-le-Vouhis le 12 juillet 1969, et l’on peut dire que, c’est là que tout commence pour lui.

M. l’abbé Jamin, comme tout curé, s’occupe de ses fidèles, prêche la Foi et donne les Sacrements. Seulement nous nous trouvons dans les années qui suivent le concile et ne voulant pas subir les recyclages et réunions de doyenné et se sentant isolé, il a d’abord un moment la tentation de démissionner de sa charge et de s’orienter vers une vocation plus contemplative. Mais à ce moment-là, comprenant la nécessité de plus en plus vive dans l’Eglise, il choisit le combat de la Foi.

Après cinq années passées à St-Hilaire, une année d’échanges épistolaires doctrinaux de grand intérêt et de grande qualité, qui ont été conservés par la revue Itinéraires, avec son Evêque Mgr Pati, il subit des agressions qui sont graves et même des agressions physiques et des menaces contre sa personne et il est finalement révoqué de sa charge de curé le 25 juin 1974 : c’est le premier d’une longue liste.

Il reçoit alors les encouragements de Jean Madiran, l’appui de Mgr Ducaud-Bourget puis celui de Mgr Lefèbvre et, en 1975, il s’installe dans une grange pour continuer son ministère, à la Braconnerie sur la commune de St-Martin-des-Noyers. Son œuvre de sanctification des âmes va pouvoir continuer de se développer. Puis M. l’abbé Jamin quitte la Braconnerie en 1987, il est accueilli provisoirement dans une maison de la Fraternité au château de Launay, puis, par une opportunité providentielle, il vient ici et il va transformer cette grange en cette chapelle Notre-Dame-du-Rosaire qui sera bénite solennellement par M. l’abbé Paul Aulagnier le 8 juillet 1990 en présence de nombreux fidèles. A cette occasion, il est annoncé que cette chapelle est élevée au rang de Prieuré de la Fraternité St-Pie X.

M. l’abbé Jamin exercera son ministère aux Fournils durant seize années, puis il se retirera progressivement du ministère et fera don de cette propriété à la Fraternité. C’est en 2005 qu’il rejoint la propriété du Rafflay à Château-Thébaud et il sera soigné par l’admirable dévouement des petites sœurs de St-Jean-Baptiste. C’est dans cette propriété que le Bon Dieu est venu le chercher ce 17 janvier 2012.

Mes bien chers frères, permettez-moi une petite comparaison, lorsque, après une nuit de grand vent et de tempête, les habitants d’une maison se lèvent un petit peu angoissés des dégâts qui ont pu se produire au cours de la nuit, et qu’ils se rendent dans leur jardin pour se rendre compte si leur propriété n’a pas trop souffert : s’ils découvrent là couché sur le sol le plus bel arbre du domaine, par exemple un chêne plusieurs fois centenaire, qui était l’ornement de leur jardin, ils en éprouvent une peine plus marquée parce que c’était justement le plus bel ornement de leur jardin . Eh bien, on peut dire, par comparaison, que la mort d’un prêtre n’est jamais semblable complètement à la mort des autres hommes. Bien sûr, le prêtre est et demeure un homme, le caractère sacerdotal qu’il reçoit le jour de son ordination lui laisse d’être un homme, et cependant nous voyons bien comme le prêtre aussi se trouve profondément différent des autres hommes, par le mode sa vie, par les activités qui sont les siennes et, si la vie d’un prêtre est si différente de la vie des autres hommes il est normal que la mort d’un prêtre frappe davantage les esprits et les cœurs.

Chacun, même s’il ne parvient pas forcément à l’exprimer, ressent lorsqu’auprès de lui, couché dans le cercueil, se trouve un prêtre avec son étole qui se trouve sur le cercueil, chacun ressent une impression de mystère et une émotion qui sont liés à ce fait que celui qui est mort : c’était un prêtre. Aujourd’hui, je pense que tous ceux qui sont ici présents éprouvent ce sentiment particulièrement intense ! Et je voudrais essayer de dire ce qu’il y a dans ce sentiment, dans ce mystère.

Pourquoi la mort d’un prêtre nous touche plus profondément que les autres morts ? Il me semble que les hommes et les catholiques surtout aiment leur prêtre. Ils aiment ces hommes qu’ils ont connus tout au long de leur vie, à côté d’eux-mêmes, depuis le moment où c’est par ce prêtre que la Vie Surnaturelle leur a été donnée au jour de leur baptême, ce prêtre qui a été présent tout au long de leur vie dans tous les moments les plus importants : les baptêmes, les confirmations, le mariage, les derniers moments des personnes, l’extrême-onction et ensuite souvent pour la deuxième génération et peut-être pour la troisième génération encore bénéficier ou voir bénéficier des secours du prêtre.

Le prêtre, c’est vraiment l’homme et l’ami qui accompagne toute une vie et, lorsqu’on voit mourir un prêtre, on voit mourir celui qui était l’intermédiaire entre Dieu et les âmes.

Ce prêtre, c’est encore lui qui a été là présent pour assurer la formation chrétienne de nos âmes et des âmes de nos enfants. C’est lui qui a été si souvent au confessionnal, c’est lui qui nous a donné le pardon du Bon Dieu.

Oui, les fidèles, les catholiques, aiment les prêtres ; bien sûr, ces prêtres restent des hommes, mais ils savent aussi que ces prêtres ont donné toute leur vie au Bon Dieu. Pour être quoi : pour être leur guide vers le ciel, pour être des pasteurs qui amènent les âmes à Dieu. Le prêtre, c’est un passeur, celui qui aide les âmes à passer de ce rivage de notre terre à l’autre rivage qui est celui de l’éternité et comment n’aimerions-nous pas ces passeurs et ces pasteurs, qui prennent soin de nos âmes, pour ce qu’il y a de plus important au cours de cette existence à savoir de ne pas manquer notre éternité.

Les fidèles et les catholiques savent même, lorsqu’ils ont croisé certains prêtres sur le chemin de leur vie qui n’ont peut-être pas été fidèles, qui, sans doute, n’ont pas toujours montré l’exemple, ils savent bien au fond d’eux-mêmes qu’ils ne doivent pas s’arrêter même à cela. Après tout, c’est Dieu qui juge et les torts, les misères des prêtres n’enlèvent pas leur générosité initiale qui ont fait qu’ils se sont donné à Dieu et qu’ils se sont donné aux hommes et qu’ils ont voulu se donner entièrement.

Dans la plupart du temps, cependant, ils pensent à ces prêtres qui, jusqu’à la fin de leur vie - et c’est le cas de M. l’abbé Jamin – qui jusqu’à la fin de leur vie ont été fidèles à leur ordination ; qui ont été fidèles à leur messe quotidienne tant qu’ils ont pu ; qui ont passé tant et tant d’heures devant le Saint Sacrement à prier le Ciel pour eux, pour leur salut, pour leur sanctification ; à ces prêtres qui se tenaient à la disposition de leurs âmes et qui s’efforçaient, vaille que vaille, même dans les difficultés de la crise de l’Eglise de maintenir la Foi partout où ils le pouvaient et les fidèles éprouvent une vraie gratitude et c’est pour cela que vous êtes ici à côté de la dépouille de M. l’abbé Jamin, parce que, chers fidèles - et vous avez raison et vous le devez -, vous avez cette gratitude qui existe en vous à l’égard des prêtres.

Finalement, le prêtre, aux âmes, le prêtre, aux catholiques, leur semble être une image assez ressemblante de celle Jésus dans l’Evangile qui a fait du bien partout où il est passé sur la terre et le fidèles le savent, et les fidèles savent que cette soutane qui vit à côté d’eux leur exprime N.S.J.C., leur exprime ces réalités éternelles dont il est tellement important et nécessaire qu’ils sachent toujours l’existence.

Peut-être que les fidèles et les catholiques pensent aussi à autre chose plus difficile pour eux à percevoir ; ils pensent peut-être aussi aux souffrances intérieures, aux souffrances intimes d’un prêtre au cours de sa vie; ils ne les connaissent pas bien sans doute parce qu’ils ne sont pas prêtres, mais ils les devinent : le poids des péchés, le poids des confessions, le poids du spectacle de toutes les misères humaines sans cesse renouvelées au confessionnal, le poids des âmes que l’on aimerait voir se convertir mais qui ne se convertissent pas ! Et puis également, le propre décalage du prêtre dans sa vie par rapport à l’idéal sacerdotal.

Ils pensent encore à quoi, les fidèles, devant la dépouille mortuaire d’un prêtre? Ils pensent également au jugement où leur Pasteur s’est trouvé. Celui qui s’est si souvent trouvé au chevet des mourants, celui-là qui était là pour les préparer à leur jugement, eh bien lui-même, oui, il va être jugé aussi. Et les fidèles se disent, quand meurt le prêtre, ils se disent : oui ! si les prêtres également doivent être jugés, c’est bien que tout le monde doit l’être et la mort d’un prêtre est là pour rappeler à tous ceux qui l’entourent que si le Pasteur lui-même sera jugé, eh bien, toutes les brebis le seront également. Ce que j’ai dit là, mes bien chers frères, en substance, nous pouvons le dire de tout prêtre. Oui vraiment la mort d’un prêtre est quelque-chose qui frappe le peuple chrétien, qui frappe les fidèles catholiques, et c’est normal, c’est tout simplement la signification de ce que représente un prêtre dans la vie des âmes.

Mais, mes bien chers frères, je voudrais plus spécialement m’adresser maintenant à ceux qui ont connu M. l’abbé Jamin.

Il est clair que ce sentiment général que j’ai essayé d’exprimer prend des nuances plus singulières et évidemment plus personnelles : en raison des souvenirs qui sont attachés à tel ou tel prêtre que l’on a davantage connu, à tels ou tels souvenirs plus particuliers qui sont attachés à la physionomie de celui-ci ou de celui-là et je sais que la vie de M. l’abbé Yves Jamin exprime tant et tant de choses qui réveillent en vous qui l’avez connu et qui réveillent aussi dans le drame de la crise de l’Eglise tant de choses qui parlent en nous.

Car il a été, un parmi des centaines et des milliers, il a été brutalement confronté lui aussi à ce grand drame de la crise de l’Eglise, à ce grand drame postérieur au Concile Vatican II qui a fait que brusquement tant de prêtres et tant de fidèles se sont frottés les yeux , en se demandant où était l’Eglise qu’ils avaient connue, en se demandant comment ils allaient faire pour rester catholiques dans leur paroisse soit qu’ils fussent les curés soit qu’ils en fussent les fidèles comme si la vie des prêtres et comme si la vie de catholiques n’avaient déjà pas suffisamment d’ennemis. Il y avait déjà les trois ennemis acharnés que l’on sait : Satan, le monde et nous-mêmes, c’était déjà bien de trois, mais voilà qu’à ce moment-là, les catholiques ont pris peu à peu conscience que désormais il faudrait encore davantage se prémunir contre d’autres adversités et d’autres inimitiés qui étaient présentes. Car malheureusement toute un part de la hiérarchie s’était laissée mondaniser et était devenue infidèle à ce qu’elle devait dire.

La vie de l’abbé Jamin est confrontée à ce drame central, à ce drame brutal, inouï, qui consistera pour lui, pour rester fidèle à sa Foi, à la messe de son ordination et à son sacerdoce, à devoir prendre ses distances par rapport à des folies qui se répandaient partout.

Mes bien chers frères, rester fidèle à la messe de son ordination, pour lui, ce fut héroïque et il fallut tous les tourments et les toutes difficultés que l’on sait. Certes, l’abbé Jamin n’a pas fini par être mangé, littéralement, par des lions comme les premiers chrétiens, mais c’est littéralement qu’il sera chassé de sa paroisse pour célébrer une messe dont on lui disait qu’elle était interdite et dont on sait, dont on a eu confirmation il y a peu de temps, qu’elle avait toujours été autorisée. Il a été chassé pour célébrer une Messe qu’on lui disait qu’il n’avait plus le droit de dire et aujourd’hui nous savons par la voix du Pape que cette messe n’avait jamais été interdite !

Quelle injustice qu’il a accepté comme un vaillant homme de l’Evangile, comme un vaillant prêtre en ne gardant aucune rancune et aucune amertume à l’égard des hommes et en offrant toutes choses pour le retour de tous vers le Bon Dieu et vers cette Messe.

Bienheureux ceux qui ont subi persécution parce que, en subissant persécution, ils se sont davantage avancés dans l’imitation parfaite de N.S.J.C. et je dirai un souhait, en ce sixième centenaire de la naissance de Ste Jeanne d’Arc, je dirai un souhait, je dirai un vœu : eh bien, c’est que, si d’une certaine manière cette réhabilitation des prêtres qui ont voulu rester fidèles à la Messe de leur ordination, si cette réhabilitation a, d’une certaine manière, commencé par le fait que le Pape, Benoît XVI, reconnaisse que cette Messe n’avait jamais été interdite et que c’était le droit de tout prêtre de la célébrer dans l’Eglise entière, eh bien, je dirai que, de même, il faudra un jour, comme pour Ste Jeanne d’Arc, que la première phase de la réhabilitation soit continuée par une deuxième phase de réhabilitation, non pas simplement pour des questions humaines, de recherche de justice sur cette terre, non, pour l’Honneur de Dieu, pour l’Honneur de l’Eglise, pour l’Honneur de la Messe et du Sacerdoce que l’on dise un jour que ces prêtres qui ont résisté et qui ont subi persécution parce qu’ils avaient résisté, que ces prêtres-là ont été de bons et de fidèles serviteurs de l’Eglise.

Chère famille de M. l’abbé Jamin, eh bien, rendez grâce à Dieu car dans votre famille vous avez un vrai prêtre, un véritable homme d’Eglise qui a bien servi l’Eglise, qui nous a été un modèle, qui nous a été un guide et nous demandons simplement la grâce au Bon Dieu au cours de cette Messe, et en priant pour le repos de l’âme de M. l’abbé Jamin, que beaucoup de prêtres que beaucoup de jeunes garçons, de jeunes enfants entendent l’appel de Dieu et aient des générosités comparables à celle-là pour qu’il y ait toujours des prêtres en France. Dans ces années où il y a environ huit cents prêtres qui meurent en France par an, soit deux ou trois par jours, et qu’il n’y a même plus une centaine d’ordinations chaque année pour les remplacer, il est urgent et ce doit être un cri dans le cœur de chaque catholique que de demander au Bon Dieu des prêtres, de saints prêtres et beaucoup de saints prêtres, afin que la France demeure catholique et afin que les générations qui nous suivent puissent être encore évangélisées, que la Foi puisse être transmise aux enfants et propagée au loin.

Mes bien chers frères, aujourd’hui, au cours de cette Messe, voilà tout ce que nous demanderons et pour l’abbé Jamin pour le repos de son âme et également pour que le Bon Dieu donne beaucoup de vocations afin qu’il y ait toujours des prêtres parmi nous en France.

Au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, Ainsi-soit-il.

Abbé Régis de Cacqueray