4 février 2012

[Jean Mercier - La Vie] Mgr Fellay refuse le préambule doctrinal mais lance un ultime défi à Benoît XVI

SOURCE - Jean Mercier - La Vie - 4 février 2012

Dans un sermon, le 2 février 2012, Mgr Bernard Fellay a exposé publiquement le refus de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X de signer le préambule doctrinal proposé par Rome pour sceller la réconciliation. Ce serait alors la fin de trois ans de négociations serrées entre les intégristes et le Vatican. A moins, explique Mgr Fellay, que Rome renonce à ses demandes vis à vis du Concile.

Dans un sermon prononcé le 2 février au séminaire de Winona (Etats Unis), Mgr Bernard Fellay, le supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X (FSSPX) semble vouloir mettre un terme à la procédure de réconciliation engagée il y a trois ans avec la levée des excommunications des évêques lefebvristes, sans pour autant déclarer la rupture des relations. De façon publique, il a assuré qu'il était impossible de signer le préambule doctrinal du 14 septembre 2011, et notamment les éléments proposés par Rome au sujet de Vatican II : « Je crois qu’on ne peut pas aller plus loin dans la confusion.(...) Voilà pourquoi nous avons été obligés de dire « non ». Nous n’allons pas signer cela. » 
 
Ce texte très complexe, si on en retient les éléments les plus incisifs (et notamment la série des "non" opposés par Mgr Fellay), marquerait ainsi la fin de l'étape des négociations doctrinales, troisième étape voulue par les deux parties – après la libéralisation de la messe tridentine (2007) et la levée des excommunications (2009). Il y a une semaine, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi avait déploré le dialogue de sourds entre la FFSPX et le Vatican.
 
Mgr Fellay ne veut pourtant pas donner l'impression qu'il rompt les ponts et se refuse à « claquer la porte ».  Il précise ainsi : "Nous n’allons pas faire marche arrière, quoi qu’il arrive. Il y a quelques menaces de la part de Rome maintenant, bien sûr. On verra" .Il se positionne comme si l'acte schismatique de 1988 n'avait jamais eu lieu et maintient ses troupes dans l'horizon d'une possible réintégration, une fois que la génération pro-conciliaire aura quitté le pouvoir. "Cette épreuve finira, je ne sais pas quand. Parfois cette fin semble s’approcher, parfois elle semble s’éloigner. Dieu connaît les temps, mais humainement parlant, il faudra attendre un bon moment avant de commencer à voir les choses s’améliorer – cinq, dix ans. Je suis persuadé que dans dix ans les choses seront différentes parce que la génération issue du Concile aura disparu et la génération qui suit n’entretient pas un tel lien avec le Concile."  Mgr Fellay ajoute : « Nous devons continuer à affirmer que nous appartenons à l’Eglise. Nous sommes catholiques. Nous voulons être et rester catholiques ; il est très important de maintenir cela... (...) c’est notre devoir d’aller toujours à Rome, de frapper à la porte et de demander non pas d’y entrer (puisque nous sommes déjà dedans), mais de les prier de se convertir, de changer et de retourner à ce qui fait l’Eglise. »  Le combat doit continuer, selon le chef des intégristes : "Je ne sais pas ce qui se passera au printemps. Je sais seulement que le combat de la foi continuera, quoi qu’il arrive. Soit que nous soyons reconnus, soit que nous ne le soyons pas. Vous pouvez être sûrs que les progressistes ne seront pas contents. Ils continueront, et nous continuerons à les combattre". 
 
Mgr Fellay plaide ici pour la position de l'aile modérée de la FSSPX : maintenir le contact et revenir un jour au sein de l'Eglise catholique une fois que celle-ci se sera convertie aux vues intégristes. Une position qui permettrait d'éviter l'éclatement de la Fraternité, même si, selon une source très informée, ceux qui espéraient l'accord avec Rome sont actuellement atterrés car la perspective d'une normalisation rapide des relations est plus que compromise. Mais Mgr Fellay, si les négociations étaient suspendues sine die, aurait quand même gagné la levée des excommunications.
 
On apprend grâce à ce sermon que Rome aurait négocié de manière très généreuse pour offrir un statut canonique aux dissidents, tout en maintenant la clause de respect des fondamentaux de Vatican II, comme la liberté religieuse et l'oecuménisme... Mgr Fellay est clair : «  Je peux affirmer que ce qui nous est présenté aujourd’hui – et qui est différent de ce qui nous a été présenté le 14 septembre 2011 – peut être considéré comme bon. Ils remplissent toutes nos conditions, si je puis dire, au niveau pratique. Il n’y a pas beaucoup de problèmes sur ce plan. Mais le problème demeure à un autre niveau, au niveau de la doctrine.  Toutefois, même dans le domaine doctrinal, on avance très vite, mes bien chers frères»  Soufflant le chaud et le froid, le supérieur général de la FSSPX reconnaît que le Vatican a donné des gages de sa bonne volonté, mais que le problème de fond n'est pas soluble, tout en ayant l'air d'être optimiste sur le réglement d'un conflit qu'il s'emploie pourtant à décrire comme sans issue...
 
Mgr Fellay explique longuement qu'il est impossible de se plier à la condition de Rome qui est d'interpréter la Tradition selon le Magistère de l'Eglise (qui inclue Vatican II et toutes les déclarations de type magistériel jusqu'à nos jours.) :  Ils nous disent : « vous devez accepter que, dans les cas où il y a des difficultés dans les documents du Concile – tels points ambigus qui font débat – ces points, comme l’œcuménisme, la liberté religieuse, doivent être interprétés en cohérence avec l’enseignement de toujours de l’Eglise ». Et ils ajoutent : « ainsi lorsqu’il y a une ambiguïté dans le Concile, vous devez la comprendre comme l’Eglise a enseigné depuis toujours »
 
Cet constat n'est pas surprenant, car il entérine l'impossibilité de se mettre d'accord sur ce qu'est la Tradition, qui date d'il y a 50 ans. Du côté lefebvriste, depuis toujours, on considère que la Tradition s'arrête vers 1950-1960, avec une prédilection pour la lutte anti-moderniste du pontificat de Pie X. « Car la vérité n’est pas liée au temps. La vérité est au-dessus du temps. Ce qui a été proclamé une fois, oblige toujours. Voilà ce qu’est un dogme. Dieu est ainsi, au-dessus du temps. Et la foi consiste à adhérer à la vérité de Dieu. Elle est au-dessus du temps. » explique Mgr Fellay. Du côté du Vatican, on considère que la Tradition évolue encore avec le temps sans se renier fondamentalement, vision théorisée par le Bienheureux John Henry Newman et reprise par Benoît XVI à travers son concept de "l'herméneutique de la réforme et du renouveau dans la continuité de l'unique sujet Eglise".
 
Bien qu'il affirme qu'il ne pourra pas signer le texte d'accord de Rome, Mgr Fellay semble affirmer qu'il reste une ultime sortie de crise,et qu rien n'est joué : "Nous avons envoyé notre réponse à Rome. Ils continuent à dire qu’ils y réfléchissent, et cela veut dire que probablement ils sont embarrassés. En même temps je crois que nous pouvons voir maintenant ce qu’ils veulent vraiment. Nous veulent-ils vraiment dans l’Eglise ou non ? Nous leur avons parlé très clairement : « si vous nous acceptez c’est sans changement. Sans obligation d’accepter ces choses ; alors nous sommes prêts. Mais si vous voulez nous les faire accepter, alors c’est non. »
 
En stipulant : Nous sommes prêts, mais en ajoutant "si vous nous acceptez, c'est sans changement", Mgr Fellay lance à Benoît XVI un ultime défi : la normalisation des relations serait possible si Rome retirait ce qui concerne le Concile Vatican II et le catéchisme de l'Eglise catholique dans son préambule doctrinal. L'astuce de cette posture est de rejeter une fois de plus la balle dans le camp de Rome, et donc de faire en sorte que la rupture officielle de la normalisation apparaisse comme venant du Vatican.
 
Le pape ne s'est pas encore prononcé, mais après cette déclaration de Mgr Fellay, il est probable que la Commission Ecclesia Dei, chargée du dossier, se contentera sans doute de prendre acte de la position non négociable de la FSSPX. A moins que Benoît XVI  ne décide, hypothèse qui semble très peu réaliste- de réintégrer les Lefebvristes en sacrifiant les points clés de Vatican II que sont la liberté religieuse et l'oecuménisme.
 
Lire l'intégralité du sermon sur le site de La Porte Latine.