26 janvier 2009





Excommunication, réhabilitation et indignation
26 janvier 2009 - Patricia Briel - letemps.ch
La décision du Vatican de lever la sanction frappant les évêques lefebvristes a suscité un tollé dans les communautés juives, à la suite des propos négationnistes tenus par un des prélats Samedi, le Vatican a publié le décret annulant l’excommunication des quatre évêques ordonnés en 1988 à Ecône par Mgr Lefebvre. Cette décision a soulevé l’indignation de plusieurs communautés juives. En effet, la publication du décret intervient après que l’un des évêques lefebvristes, Mgr Richard Williamson, eut tenu des propos négationnistes lors d’une émission diffusée mercredi par la télévision suédoise. Au cours d’une interview, il a affirmé qu’il ne croyait pas à l’existence des chambres à gaz, et que seuls 200 000 à 300 000 Juifs avaient péri dans les camps de concentration durant la Seconde Guerre mondiale. Vendredi, le parquet de Ratisbonne, en Allemagne, a ouvert une enquête sur lui (LT du 24.01.09).
La publication du décret est «un signal négatif, angoissant et incompréhensible». Renzo Gattegna, le président de l’Union des communautés juives italiennes, n’a pas mâché ses mots pour dire son indignation à l’agence Ansa. «C’est terrible qu’un évêque niant la Shoah, un fait historique incontestable, soit réhabilité et légitimé.» Riccardo Di Segni, le grand rabbin de Rome, s’est montré aussi inquiet: «Des nuages menaçants semblent s’amonceler sur le dialogue entre juifs et chrétiens», a-t-il dit à la même agence. Le rabbin David Rosen, président du Comité juif international engagé dans le dialogue interreligieux, a confié de son côté que l’annulation de l’excommunication de Mgr Williamson «contamine l’Eglise tout entière». En Israël, l’institut Yad Vashem de commémoration de la Shoah a exprimé son indignation, tout comme le centre Simon Wiesenthal. En France, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme a également fait part de son inquiétude. Dans une déclaration à l’ATS, la Fédération suisse des communautés israélites s’est dite préoccupée, estimant que l’Eglise catholique «couvre symboliquement» les propos négationnistes de Mgr Williamson.
Le geste du pape n’a «rien à voir» avec ces propos, a affirmé le père Federico Lombardi, porte-parole du Vatican. De fait, l’interview a été enregistrée plusieurs semaines avant sa diffusion, et visiblement le Vatican n’a pas voulu retarder la publication du décret, daté du 21 janvier. De son côté, Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X, explique que celle-ci ne partage pas les opinions de Mgr Williamson (lire ci-dessous).
Signé par le cardinal Giovanni Battista Re, préfet de la Congrégation pour les évêques, le décret exprime la volonté du Vatican de «promouvoir l’unité dans la charité universelle et, par là, enlever le scandale de la division». Il cite une lettre de Mgr Bernard Fellay datée du 15 décembre 2008 et adressée au cardinal Dario Castrillon Hoyos, responsable du dossier des lefebvristes au Vatican. Dans cette lettre, Mgr Fellay sollicitait la levée de l’excommunication et manifestait son attachement à l’Eglise catholique: «Nous acceptons ses enseignements dans un esprit filial. Nous croyons fermement au primat de Pierre et à ses prérogatives, c’est pourquoi la situation actuelle nous fait tant souffrir», précise le décret. Confiant dans «leur engagement» à «n’épargner aucun effort pour approfondir dans des colloques nécessaires les questions encore ouvertes avec les autorités du Saint-Siège», Benoît XVI a donc décidé d’annuler l’excommunication. En espérant que ce pas «soit suivi sans tarder de la pleine communion avec l’Eglise de toute la Fraternité Saint-Pie X».
Plusieurs questions, de nature juridique et théologique, doivent encore être discutées avant que l’unité soit réalisée. Notamment le statut de la Fraternité et celui de ses évêques. Sur le plan doctrinal, la Fraternité n’a jamais caché son opposition au Concile Vatican II. Dans une lettre aux fidèles datée du 24 janvier, Mgr Fellay rappelle «que nous acceptons et faisons nôtres tous les conciles jusqu’à Vatican II au sujet duquel nous émettons des réserves». Celles-ci concernent essentiellement la liberté religieuse et l’œcuménisme.
Dans un communiqué, Mgr Koch, président de la Conférence des évêques, estime qu’«avec la levée de l’excommunication des quatre évêques, le pape offre une main tendue pour la réconciliation». Selon le Père Albert Longchamp, provincial des jésuites de Suisse, la décision de Benoît XVI constitue cependant «un problème pastoral». Elle «pourrait provoquer d’autres divisions, y compris au sein de la Fraternité. La volonté de réintégrer celle-ci est honorable, mais on ne peut pas dire «bravo, la famille est réconciliée».