11 décembre 2006

Rome et les « intégristes » : une difficile réconciliation
11 décembre 2006 - Laurent Quilici - nice-matin.com
La messe en latin est-elle de retour ? Les « intégristes » vont-ils... réintégrer l’Eglise ? Après le ralliement de l’abbé Laguérie et de plusieurs autres piliers du lefebvrisme le 8 septembre dernier (1), Rome et la Fraternité saint-Pie X seraient à deux doigts de démarches décisives. Va-t-on revenir à la messe en latin ? Non. Il ne s’agit pas de remettre en cause la liturgie actuelle (messe et sacrements) en français. Et l’on pourra continuer à l’accompagner de chants en latin, et même, quand on le souhaite, à dire tout l’office en latin.
Décision peut-être proche sur l’« ancienne messe »
En revanche, Rome serait sur le point de faciliter la célébration de l’« ancienne messe », qui, elle, ne se dit qu’en latin. Il n’y aurait alors plus besoin d’autorisation préalable de l’Eglise. Il n’y a guère là de quoi bouleverser les Français, même pas les deux tiers d’entre eux qui se disent catholiques, ni même les 5 % de ces derniers qui vont à la messe tous les dimanches (2). Il n’est pas sûr que la messe à l’ancienne et le latin fidélisent les foules, même si les traditionnalistes en sont convaincus. En revanche, l’ancienne messe est le premier cheval de bataille des disciples de Mgr Lefebvre depuis près de 40 ans qu’ils font quasiment Eglise à part. Et derrière, se profile le rapprochement entre les lefebvristes et Rome. Voilà déjà un quart de siècle que Mgr Ratzinger (devenu Benoît XVI) tente de panser la plaie béante ouverte par ce glaive qui transperce le cœur de l’Eglise : le schisme de 1988 (3). Mgr Fellay, successeur actuel de Mgr Lefebvre à la tête de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, a rencontré le 29 août 2005 Benoît XVI, qui venait d’être élu pape. Les cardinaux et les responsables de la Curie auraient ensuite discuté à plusieurs reprises d’un accord. Sans succès.
Simple cheval de bataille ou cheval de Troie ?
De part et d’autres, très nombreux sont ceux qui souhaitent que l’Eglise retrouve son unité. Mais les lefebvristes ne veulent pas y "perdre leur âme". Et dans l’Eglise "officielle", certains s’interrogent. « L’ancienne messe est-elle un simple cheval de bataille ou un cheval de Troie, qui cacherait d’autres choses ? » se demande un prêtre. Et d’abord une remise en question du concile de Vatican II. De son vivant, Mgr Lefebvre assurait : « Je ne suis pas contre le concile, mais il y a des choses que je n’accepte pas ». Il accusait Vatican II d’avoir mis sur le même plan le christianisme et les autres religions, et le pape et les autres évêques; mais aussi d’avoir écarté la religion de la vie publique, et finalement de « déifier l’homme » (comme la Révolution française, source de nombreux maux à ses yeux). Il ajoutait cependant : « Si l’on voit le concile à la lumière de la tradition, cela ne me dérange en rien ». Une formule apparemment acceptée par Benoît XVI, et par Mgr Fellay... qui dit pourtant ne pas pouvoir encore la signer dans le contexte actuel.
Laurent QUILICI
1 – Avec les abbés Aulagnier et de Tanoüarn, au sein d’un « Institut du Bon Pasteur ». L’abbé Laguérie était resté 14 ans dans l’église parisienne de Saint-Nicolas du Chardonnet occupée depuis 1977 par des lefebvristes. 2 – Enquête IFOP-La Croix d’août. 3 – Schisme que récusent les lefebvristes.

Repères
De 1962 à 1965, le concile de Vatican II a rassemblé tous les évêques du monde autour des papes Jean XXIII, puis Paul VI et amorcé de profonds changements.
1969-1970 : dans la foulée du concile, le rituel de la messe est réformé pour le rendre plus accessible aux fidèles (autel face à l’assemblée, liturgie en langue du pays, participation accrue des fidèles...)
1970 : opposé au concile, Mgr Lefebvre, ancien archevêque de Dakar, fonde La Fraternité sacerdotale St-Pie X, qui ouvre le séminaire d’Ecône, en Suisse. Ses prêtres restent en soutane et continuent à célébrer la messe d’avant-Vatican II (dos aux fidèles, en latin et selon le rite remontant à Saint-Pie-V). 1976 : premières sanctions de Rome contre la Fraternité.
1988 : Mgr Lefebvre sacre quatre évêques sans autorisation pontificale. Pour Rome, c'est alors le schisme et l'excommunication. D’autres traditionalistes, eux aussi attachés à l’ancien rite de la messe, n’ont pas suivi Mgr Lefebvre et sont restés au sein de l’Eglise, (Fraternité Saint-Pierre, l’Institut du Christ-Roi, ou celui du Bon Pasteur...)

Le décret du pape facilitant l'ancienne messe serait sur le point d'être publié
La publication du décret du pape visant à faciliter la célébration de la messe selon le rite d'avant le concile Vatican II, réclamée par les catholiques traditionnalistes, est « proche », selon le cardinal Jorge Arturo Medina Estévez. Le cardinal chilien a participé mardi à la réunion au Vatican de la commission « Ecclesia Dei » en charge du dossier. « Nous avons débattu ensemble pendant près de quatre heures et effectué quelques corrections » au projet de décret, a-t-il déclaré sans préciser sur quoi portaient les modifications. Egalement membre d'Ecclesia Dei, le cardinal Jean-Pierre Ricard, président de la Conférence des évêques de France, s'est refusé pour sa part à toute déclaration, invoquant le « secret pontifical ». Le cardinal Ricard avait indiqué en novembre que les différends avec les adeptes de l'évêque intégriste Marcel Lefebvre ne sont pas seulement liturgiques mais aussi « théologiques - autour de la liberté religieuse, de l'oecuménisme, du dialogue inter-religieux - et politiques ».