15 mai 2007

La pastorale de la messe libérée
Mai 2007 - Fideliter 177 - abbé de Cacqueray - mis en ligne par la Porte Latine
Comment agir vis-à-vis de prêtres qui, d’eux-mêmes ou en vertu d’un hypothétique Motu proprio à venir, envisageraient de reprendre la messe traditionnelle ? Monsieur l’abbé de Cacqueray, qui avait consacré un texte à cette question, sous le titre « Un seul rite pour la paix des âmes », a bien voulu répondre à nos questions et apporter d’utiles précisions et nuances (texte paru dans Fideliter 177, de mai 2007).

Fideliter : M. l’abbé Régis de Cacqueray, on parle depuis de longs mois d’un Motu proprio censé reconnaître une plus grande liberté de célébration à la messe traditionnelle. Que vous inspire une telle rumeur ?

Abbé de Cacqueray : Je m’en réjouis, et j’espère qu’elle va se concrétiser au plus vite. Bien sûr, nous savons qu’en réalité la messe traditionnelle n’a jamais été interdite, et ne peut pas l’être. C’est pourquoi nous la célébrons en toute tranquillité de conscience, et sans mendier une prétendue permission qui n’a pas lieu d’être. Mais, depuis 35 ans, une propagande mensongère a tellement voulu faire croire que cette messe était abolie, supprimée, et que son éventuelle et rare célébration ne pouvait se faire que dans des réserves d’Indiens, des ghettos à l’écart, que je souhaite de tout cœur qu’un document romain vienne dire, et si possible de la façon la plus claire et la plus explicite possible, que la messe traditionnelle peut être célébrée sans aucune restriction par n’importe quel prêtre de rite latin. Je ne suis malheureusement pas sûr que le projet de Motu proprio soit aussi « large et généreux » que le droit de la messe le demande, mais tout progrès en ce sens sera le bienvenu.

Fideliter : Au cas où ce décret de libéralisation serait publié, avez-vous l’intention d’agir, et de quelle manière ?

Abbé de Cacqueray : Bien sûr ! Nous sommes déterminés à aider le maximum de prêtres possible à reprendre et à réapprendre la messe traditionnelle, afin que des fidèles toujours plus nombreux y aient accès. Il n’est pas question pour nous de rester passifs si les conditions devenaient meilleures. Il serait étrange que la Fraternité Saint-Pie X, après avoir réclamé durant 35 ans la réhabilitation de la messe traditionnelle, reste les bras croisés au moment où, fût-ce de manière partielle et insatisfaisante, une porte serait ouverte pour que des prêtres puissent la célébrer plus facilement. Mais il faut faire une petite distinction préalable.

Fideliter : Laquelle?

Abbé de Cacqueray : Nous allons parler de prêtres « conciliaires », insérés dans les diocèses ou les congrégations religieuses officielles et qui, libérés de leurs craintes grâce à cet hypothétique Motu proprio, prendraient la décision de célébrer la messe traditionnelle, mais sans quitter la structure à laquelle ils appartiennent. Je n’entends pas parler ici des prêtres qui quitteraient leur diocèse pour rejoindre le monde Ecclesia Dei. Une telle démarche, à mon sens, doit faire l’objet d’une réflexion partiellement différente. Et ceci pour deux raisons.
D’abord, les Ecclesia Dei possèdent les structures aptes à faire, auprès des prêtres qui veulent les rejoindre, le travail que nous allons évoquer, c’est-à-dire leur apprendre à célébrer la messe, les fournir en matériel liturgique, etc. Il n’y a évidemment aucune raison que la Fraternité Saint-Pie X se substitue aux Ecclesia Dei pour soutenir les prêtres qui veulent adhérer à Ecclesia Dei.
D’autant qu’il existe un problème spécifique en ce qui les concerne, qui provient d’un fait historique : les instituts Ecclesia Dei existent en vertu d’un document dont le but principal est de condamner Mgr Lefebvre, Mgr de Castro Mayer, et leurs fils dans l’épiscopat. Le simple honneur nous oblige à nous tenir éloignés de prêtres qui, le voulant ou non, adhèrent publiquement et de façon continue à cette condamnation infamante. Donc, notre propos porte aujourd’hui exclusivement sur des prêtres « conciliaires » qui reprendraient la messe traditionnelle en restant au sein des structures officielles.

Fideliter : Ceci est fort clair. Quels types d’action envisagez-vous donc dans le cadre précis de cette « aide au retour » à la messe traditionnelle ?

Abbé de Cacqueray : Parlons d’abord, si vous le voulez bien, de la Fraternité Saint-Pie X elle-même, en tant que congrégation sacerdotale. Il me semble que nous sommes en mesure d’apporter un cadre pour une éventuelle reprise de la célébration de la messe traditionnelle. Et tout d’abord, nos prêtres, nos prieurés, nos chapelles sont évidemment par nature des points de référence. Le prêtre qui envisage de célébrer cette messe risque d’avoir des craintes : Est-ce que cela est possible ? Est-ce que cela est facile ? Quels en sont les fruits sur le prêtre lui-même, sur ses fidèles ? Eh bien ! très fraternellement, il peut rencontrer nos prêtres, nos fidèles, séjourner dans nos maisons, et constater par lui-même l’esprit de force dans la foi, de sanctification, de joie, de paix que produit cette messe. Et cela va le rassurer et l’encourager.

Fideliter : Ces prieurés existent depuis de longues années, ils ne sont pas un élément inédit, alors que la parution du Motu proprio constituerait un changement. Avez-vous l’intention de proposer des éléments nouveaux ?

Abbé de Cacqueray : Évidemment, et dans la mesure de nos possibilités. Il serait bon de rédiger et de diffuser une brochure simple présentant la messe traditionnelle dans son histoire, sa théologie et sa célébration. Nous avons édité d’excellents ouvrages (La messe expliquée de l’abbé Joly, La messe de toujours de Mgr Lefebvre), mais ces livres sont volumineux et relativement coûteux. J’espère qu’un tel projet pourra être mis en œuvre par un confrère zélé de la Fraternité.

Fideliter : En revanche, vous avez déjà produit un DVD pour aider les prêtres à apprendre à célébrer la messe ?

Abbé de Cacqueray : J’en remercie l’abbé de La Rocque qui a réalisé ce projet avec une qualité exceptionnelle, malgré le délai très bref qui lui a été laissé. Ce DVD devrait être suivi d’un deuxième, qui présentera, et cette fois-ci plutôt à destination des fidèles, la théologie et la symbolique de la messe. Car ce premier DVD est réservé aux prêtres, puisqu’il constitue une introduction technique à l’apprentissage de la célébration. Il a d’ailleurs déjà connu un vif succès, et se diffuse très largement dans le clergé français, mais aussi à l’étranger, puisqu’il est présenté en sept langues.

Fideliter : Un livre, un film, ce sont de très bons instruments. Mais, à un moment, pour bien entrer dans la célébration et l’esprit de la messe traditionnelle, il est nécessaire d’avoir un professeur vivant, un maître à ses côtés. Envisagez-vous d’agir en ce sens ?

Abbé de Cacqueray : Chacun de nos prêtres est toujours disposé, si un prêtre « conciliaire » le lui demande, à prendre tout le temps nécessaire pour lui enseigner les règles liturgiques, ainsi que la théologie qui constitue l’essence de la messe traditionnelle.
La Fraternité Saint-Pie X ayant été constituée pour « le sacerdoce, et tout ce qui s’y rapporte, et rien que ce qui le concerne », cette aide personnalisée à un prêtre est au cœur de notre vocation. On peut aussi envisager des stages généraux d’apprentissage de la messe traditionnelle, un peu à l’image des « retraites d’ordination » de saint Vincent de Paul, où il enseignait à de futurs prêtres le minimum indispensable au ministère sacerdotal.
Pour le moment, le District de France n’a pas encore lancé une telle initiative, mais je crois que nos confrères américains disposent déjà d’une maison consacrée à cet apostolat.

Fideliter : Il y a tout de même un problème, puisqu’une rumeur prétend que les nouveaux rites d’ordination ne sont pas valides, et que donc ces prétendus prêtres à qui vous enseigneriez la messe traditionnelle ne sont pas prêtres, en réalité !

Abbé de Cacqueray : Je vous rappelle que la position de la Fraternité Saint-Pie X concernant la validité des nouveaux rites, position prise après examen sérieux et mûre réflexion, a été résumée de la façon suivante par Mgr Lefebvre :
« Nous déclarons reconnaître la validité du sacrifice de la messe et des sacrements célébrés avec l’intention de faire ce que fait l’Église et selon les rites indiqués dans les éditions typiques du Missel romain et des Rituels des sacrements promulgués par les papes Paul VI et Jean-Paul II. »
La Fraternité Saint-Pie X récuse donc absolument les affirmations infondées concernant l’invalidité en soi des ordinations sacerdotales et épiscopales célébrées dans le nouveau rite. Seules, des circonstances précises pour une ordination concrète, dans la mesure où le rite aurait été gravement altéré ou dévié par le célébrant, peuvent éventuellement susciter ce prudens dubium, ce « doute prudent » sur la validité dont parlait Mgr Lefebvre (Mgr Lefebvre et le Saint-Office, 1979, pp. 148-149). A ce moment seulement, il faudrait envisager une réordination sous condition. Mais ce cas n’est pas le plus fréquent, et cette hypothèse extrême ne doit pas nous empêcher de faire redécouvrir la vraie messe au maximum de prêtres, pour que le sang du Christ coule en plus grande abondance dans l’Église.

Fideliter :Nous venons de parler de l’action des prêtres de la Tradition auprès des prêtres « conciliaires ». Envisagez-vous aussi une action des fidèles ?

Abbé de Cacqueray : Bien sûr ! D’abord, il faut se souvenir que le passage de la messe nouvelle à la messe traditionnelle représente comme une sorte de « conversion », qu’il s’agit d’une réalité surnaturelle, fruit de la grâce, donc essentiellement de la prière. Nous aurons besoin, dans cet apostolat, du renfort puissant de la prière des fidèles. Ils ont déjà participé avec zèle à la croisade du rosaire lancée après le Chapitre général, et je les en remercie vivement. Mais ils seront encore sollicités, et ils le sont dès maintenant. Par ailleurs, accueillir des prêtres pour les former à la messe traditionnelle, ou aller les voir, leur remettre de la documentation écrite ou audiovisuelle, leur écrire ou leur envoyer des bulletins et des revues, tout cela demande du temps, des bonnes volontés et de l’argent. Là aussi, l’aide de tous les laïcs sera fort précieuse.

Fideliter : Je pensais, outre ce premier aspect, à une intervention plus directe des fidèles. Ils ont plus de mobilité (la soutane n’est guère discrète), souvent plus de temps, sont plus nombreux, peuvent être à certains égards mieux acceptés par un prêtre méfiant, au moins au départ…

Abbé de Cacqueray : Vous avez raison : une partie du retour des prêtres à la messe traditionnelle sera l’œuvre des laïcs, des fidèles chrétiens, c’est une évidence. D’ailleurs, les fidèles de la Tradition ont toujours agi en ce sens auprès des prêtres « conciliaires », par des conversations, des courriers, l’envoi de documentation, etc. La difficulté, si l’aide devient plus immédiate (pour aider un prêtre à reprendre la messe traditionnelle, on ne peut se contenter de lui écrire), c’est le mélange inévitable de bon et de mauvais qui va se présenter devant le fidèle. Mélange doctrinal (ce prêtre sera encore imbu pour partie des erreurs du Concile) et mélange liturgique (la messe traditionnelle ne sera peut-être pas immédiatement intègre et parfaite, ou encore ce prêtre se fera remplacer lors de ses absences par un prêtre qui célébrera la nouvelle messe).

Fideliter : Quels sont vos conseils à ce propos ?

Abbé de Cacqueray : Il faut incontestablement une réflexion de prudence, dans les deux sens du terme. Prudence au sens thomiste, qui évalue les circonstances pour poser l’action vraiment vertueuse et droite. Prudence au sens plus moderne, c’est-à-dire circonspection, méfiance pour ne pas être entraîné sur une pente glissante. Je dirais que si un fidèle veut effectuer un tel apostolat, il doit d’abord être bien armé intérieurement, par une connaissance solide de la doctrine chrétienne, une habitude enracinée de la prière, une pratique régulière des sacrements. Il doit spécialement recourir aux puissants moyens de préservation spirituelle que sont, par exemple, les retraites, notamment les exercices de saint Ignace. Il faut, de plus, que ce fidèle possède une « base arrière » (prieuré, chapelle traditionnelle) où il continue à se rendre régulièrement pour se nourrir doctrinalement et spirituellement. Il serait imprudent, sous prétexte d’aider autrui, de risquer soi-même de s’étioler, de se diluer. Enfin, parce qu’un tel apostolat est difficile et pose des problèmes souvent plus complexes qu’on ne le croit au départ, il est nécessaire de se faire suivre et conseiller par un prêtre de doctrine sûre et de jugement droit.

Fideliter : Si un fidèle de la Tradition s’inscrit dans la prudence dont vous venez de donner les éléments principaux, que pourra-t-il faire concrètement ?

Abbé de Cacqueray : En réalité, il pourra faire beaucoup, et de multiples façons. Il pourra fournir documentation écrite et audiovisuelle. Il pourra essayer de mettre à disposition du prêtre tous les objets nécessaires pour célébrer dans le rite traditionnel, depuis la soutane jusqu’à la chasuble en passant par les canons d’autel : ceci en les achetant, en les récupérant ou en les empruntant. Il pourra ménager à ce prêtre des rencontres avec des prêtres de la Fraternité Saint-Pie X. Actuellement, en plusieurs endroits de France, nos récollections sacerdotales accueillent régulièrement des prêtres « conciliaires » qui viennent à la fois y recevoir une nourriture doctrinale et liturgique, et s’encourager par le réconfort de l’amitié sacerdotale. Nous sommes là au cœur de la vocation de notre institut.

Fideliter : Cette présence d’un ou plusieurs fidèles de la Tradition auprès d’un prêtre qui se dispose à reprendre la messe traditionnelle serait pour lui un vrai encouragement.

Abbé de Cacqueray : C’est évident. Il ne faut pas sous-estimer le sentiment d’isolement qui peut étreindre le prêtre diocésain qui doit desservir cinq, dix, vingt, trente clochers, voire plus, et qui, poussé par la grâce, envisage de renouer ou, plus couramment aujourd’hui, de découvrir la liturgie traditionnelle. A ce moment, les encouragements respectueux et amicaux de fidèles solidement enracinés dans la Tradition peuvent être absolument déterminants.

Fideliter :Mais vient le moment où le prêtre prend sa décision : « Je vais célébrer la messe traditionnelle. » Le travail du fidèle à ses côtés ne cesse cependant pas ?

Abbé de Cacqueray : Il se renforce, au contraire. Car ce prêtre va certainement rencontrer quelques difficultés dans son apprentissage : formules inconnues, gestes inusités, petit obstacle de la langue latine, etc. Le fidèle pourra l’aider à surmonter ces embarras, ce qui implique qu’il ait lui-même travaillé en amont pour bien connaître l’ordinaire de la messe et ses rubriques. Puis, au moment des premières messes dans le rite traditionnel (rite « nouveau », en quelque sorte, pour ce prêtre), il sera réconfortant d’avoir à ses côtés un servant d’autel qui connaît son texte, qui connaît les rites, et même qui, éventuellement, peut « souffler » discrètement sa partie au célébrant lorsque celui-ci a un trou de mémoire.

Fideliter : Lorsque ce prêtre connaît enfin bien sa messe, le fidèle peut-il alors se retirer ?

Abbé de Cacqueray : Pas forcément : il faut voir selon les cas, et évidemment en lien avec son père spirituel, dont je rappelle qu’il doit être fréquemment consulté. S’il existe des fidèles locaux qui peuvent prendre immédiatement le relais, le fidèle qui a fait le premier travail peut discrètement leur passer la main et se retirer. Mais tant qu’une communauté attachée à la Tradition n’entourera pas ce prêtre revenu à la vraie liturgie, il faudra sans doute continuer à venir le soutenir, l’encourager à persévérer dans sa belle décision. Parfois, ce prêtre pourra rencontrer des traverses, des contradictions voire des persécutions. Il faudra alors savoir le protéger, le défendre, le consoler. En même temps, cette messe retrouvée sera la joie et la force de ce prêtre, fera jaillir la foi et la vie chrétienne autour de lui, suscitera des fidèles fervents, et des vocations religieuses et sacerdotales. Vous connaissez la parole étonnante et imagée du Curé d’Ars : « Laissez une paroisse vingt ans sans prêtre (donc sans messe), et l’on y adorera les bêtes. »

Fideliter : « Remettez le prêtre et la messe dans une paroisse, et les adorateurs des bêtes y redeviendront fils de Dieu », voulez-vous dire ?

Abbé de Cacqueray :C’est à peu près cela. On a peine à s’imaginer le flot de grâces qui coulerait sur une paroisse où la messe traditionnelle serait enfin retrouvée et reprise, pour la gloire de Dieu. Mgr Lefebvre l’a exprimé de belle façon le 23 septembre 1979, lorsqu’il nous a lancé sa magnifique et poignante adjuration :
« Gardez le sacrifice de Notre Seigneur Jésus-Christ ! Gardez la messe de toujours ! » Il ajoutait alors : « Et vous verrez la civilisation chrétienne refleurir, civilisation qui n’est pas pour ce monde, mais civilisation qui mène à la cité catholique, et cette cité catholique, c’est la cité catholique du Ciel. »
Suresnes, mai 2007