8 décembre 2011

[Marion Cocquet - Le Point] Actualité Culture RSS "Golgota picnic" : le théâtre en état de siège

SOURCE - Marion Cocquet - Le Point - 8 décembre 2011

Les intégristes catholiques se sont donné rendez-vous jeudi au théâtre du Rond-Point pour la première parisienne de la pièce de Rodrigo Garcia.

Une armée de CRS avenue Franklin Roosevelt, une évacuation complète du théâtre pour sécurisation avant la représentation et un contrôle poussé de chacun des spectateurs : le théâtre du Rond-Point s'offre jeudi une opération de sécurité inédite pour la première parisienne de Golgota picnic - dernière création de l'Hispano-Argentin Rodrigo Garcia et nouvelle cible des intégristes catholiques, qui hurlent au blasphème et à la "christianophobie".

Difficile, il est vrai, de ne pas prendre l'affaire au sérieux. L'institut Civitas, émanation de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X qui avait mené les actions contre Sur le concept du visage du fils de Dieu, de Romeo Castellucci, a prévenu : pas une représentation n'aura lieu "sans une mobilisation des chrétiens devant les portes du théâtre". Jean-Michel Ribes, directeur du Rond-Point, affirme de son côté avoir reçu des menaces de mort, ainsi qu'un cutter où était gravé le mot "Christ". Plus grave - parce que plus concret : deux hommes proches des milieux intégristes ont été arrêtés dans la nuit de samedi à dimanche alors qu'ils essayaient de saboter les alarmes de l'établissement...

Silences

Jusqu'à présent, les réponses à ces attaques sont avant tout venues des milieux associatifs. La Ligue des droits de l'homme, avec l'Observatoire de la liberté de création qui en émane, affirme ainsi son intention de ne pas abandonner le terrain aux militants ultracatholiques et de distribuer des tracts à chaque représentation. Elle appelle jeudi à manifester, de même que la Ligue de l'enseignement et la Fédération CGT des syndicats du spectacle. De son côté l'Église, malgré les tensions que la pièce provoque en son sein, condamne également les violences. Si l'archevêque de Paris, Mgr Vingt-Trois, a souhaité organiser jeudi devant la cathédrale Notre-Dame "une veillée de prière et de méditation autour de la Passion", il a également rappelé, dans une interview au quotidien Le Parisien, que Gogota Picnic n'était "qu'un spectacle", que la dérision alimentait l'art "depuis des siècles", et que le terme de "christianophobie" était en l'espèce outré.
Une mobilisation soutenue diversement par les responsables politiques. Le maire PS de Paris, Bertrand Delanoë, ainsi que son adjoint en charge de la culture, Christophe Girard, ont ainsi manifesté à plusieurs reprises leur "inquiétude" et leur "indignation" face aux menaces. Les deux ministres en charge du dossier, le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, et le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant, ne se sont eux pas exprimés par voie de communiqué. Le premier l'avait fait il est vrai, lors du précédent Castellucci : il disait alors comprendre l'émoi des chrétiens face au spectacle, tout en réaffirmant le principe de liberté de création. Interrogé le 26 novembre par Paul Amar dans l'émission Revu et corrigé, sur France 5, il rappelait que le Rond-Point était libre de présenter la pièce, et les catholiques de manifester pour peu qu'ils ne cherchent pas à entraver les représentations. Depuis, silence.

Politisation

Il pourrait, toutefois, être amené à réagir. Après Christine Boutin, candidate du Parti chrétien-démocrate qui, le 10 novembre, dénonçait "une oeuvre volontairement provocatrice et blessante" et appelait les pouvoirs publics à cesser de soutenir la pièce", Pierre Lellouche, secrétaire d'État UMP et membre de l'opposition au conseil municipal de Paris, a jugé "choquant", jeudi, que la Mairie de Paris finance, même indirectement, des spectacles tels que Golgota Picnic. Un commentaire purement "électoraliste", a aussitôt répliqué Christophe Girard : "Pourquoi Pierre Lellouche ne s'adresse-t-il pas également à Frédéric Mitterrand ? Sait-il que la pièce est donnée dans le cadre du Festival d'automne ?", écrit-il dans un communiqué. Avant d'ajouter : "Nous défendons l'indépendance programmatique des festivals et des théâtres. Cette liberté et cette indépendance sont non négociables."

En attendant, la polémique pourrait profiter à la pièce, qui jusqu'au 17 décembre devrait se jouer à guichet fermé. Pas sûr que, depuis leur plateau sous haute surveillance, les cinq comédiens de Rodrigo Garcia apprécient un tel coup de projecteur.