9 novembre 2011

[Jean Madiran - Présent] L’intégrisme pour les nuls

SOURCE - Jean Madiran - Présent - 9 novembre 2011

Dans sa guerre impitoyable contre « les intégristes », La Croix les englobe souvent dans une qualification supplémentairement dépréciative, elle dit : « les groupuscules intégristes ». Elle vient encore de le refaire sous la signature d’Isabelle de Gaulmyn. « Groupuscules », même au pluriel, constitue un dénigrement calomnieux, comme on peut s’en rendre compte en constatant que La Croix y inclut même la Fraternité Saint-Pie X, qui à elle seule, par son importance numérique et morale, montre que le terme « groupuscules », en parlant des « intégristes », est un mensonge gratuit.

Je disais samedi dernier, qu’il est « démontré depuis des années » que le terme « intégristes », en parlant de catholiques, est un sobriquet caricatural et méchant, devenu une injure et une perfidie. Oui, cela est amplement démontré, mais il est probable qu’Isabelle de Gaulmyn, Nicolas Senèze et Dominique Quinio, en toute bonne foi je suppose, n’en savent rien. Les bibliographies, même universitaires, concernant l’« intégrisme » ne mentionnent que des ouvrages hostiles, collaborateurs ou victimes de cette fabrication mensongère.

Alors, que le lecteur au courant veuille bien m’en excuser, je vais rappeler une fois de plus quelques éléments d’appréciation qu’il vaudrait mieux ne pas méconnaître.

Face aux « catholiques libéraux » du XIXe siècle et aux « modernistes » des premières années du XXe, face aussi à la « démocratie chrétienne », la contestation de ces aventures idéologiques se déclara « intégralement catholique » et ne refusa pas de se dénommer celle des « catholiques intégraux ». En 1900-1914, l’intégralité était à l’honneur aussi bien en politique qu’en religion : L’Action française, de son côté, se déclarait l’« organe du nationalisme intégral ». A partir du catholicisme intégral plutôt, semble-t-il, que du nationalisme intégral, un polémiste (ou un humoriste) forgea le sobriquet « intégriste », à l’origine plus moqueur que péjoratif.

Il y eut aussi, sous le pontificat de saint Pie X, un mouvement, non pas secret mais discret, celui de Mgr Benigni, violemment accusé de dénonciations calomnieuses auprès de la Curie romaine. En 1928 paraissait un livre confus et souvent contradictoire intitulé Saint-Siège, Action française et catholiques intégraux dont l’auteur, qui signait Nicolas Fontaine, était un fonctionnaire politique du Quai d’Orsay, ennemi déclaré à la fois du « thomisme » et du « maurrassisme » : il lançait dans l’opinion publique la légende noire d’une redoutable organisation « intégriste », appelée la « Sapinière » (ou la S.P., abréviation de Sodalitium Pianum), dirigeant une fédération de plusieurs sociétés secrètes à l’intérieur de l’Eglise. Il faudra attendre Pie XII et les travaux du procès de béatification de Pie X pour reconnaître avec certitude que l’action de Mgr Benigni et celle de son organisation nullement secrète avaient été dans l’ensemble sérieuses, utiles, appréciées et protégées par saint Pie X, qui les avait approuvées et officialisées à trois reprises (5 juillet 1911, 8 puis 23 juillet 1913). Mais la canonisation de saint Pie X est venue trop tard pour stopper la légende noire de l’« intégrisme ».

Là-dessus la Seconde Guerre mondiale, sa révolution française de 1943-1946, puis les lois répressives Pleven et Gayssot, ont fait du terme « intégriste » le synonyme approximatif des autres malédictions passe-partout et aveuglément équivalentes dans le vocabulaire médiatico-ecclésiastique : « fasciste », « raciste », « nazi », « moyenâgeux », « discriminatoire », « antisémite », « maurrassien », « populiste ». Le moderne bannissement de la vie publique passe par l’usage gratuit de ces appellations incontrôlées.

Il en ressort que l’emploi du terme intégriste est toujours suspect. Il ne relève que d’une diffamation collective, créatrice d’un préjugé péjoratif, il est arbitraire, ne reposant sur aucune justification, il a pris l’allure d’un vice défini et connu comme tel. Celui qui l’utilise néanmoins comme allant de soi, sans motivation explicite, se désigne lui-même comme en cela disqualifié.

JEAN MADIRAN

Article extrait du n° 7471 de Présent du Mercredi 9 novembre 2011