12 octobre 2011

[Paix Liturgique] Privés de Motu Proprio: le cas de Langres, diocèse moribond

SOURCE - Paix Liturgique n°304 - 12 octobre 2011

Une conférence du CCFD sur “Quand tout s’achète et se vend, quelle est la place du don et de la gratuité ?”, des rencontres sur “La question des familles et des jeunes dans la problématique de l’immigration”, une formation liturgique “ouverte à tous, et plus particulièrement aux acteurs de la liturgie, prêtres, diacres, laïcs et religieux” au cours de laquelle un frère de la très progressiste abbaye bénédictine de la Pierre-qui-Vire “aidera les participants à percevoir en quoi le dimanche est un trésor pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui, pour les chrétiens, et les conséquences que cela implique dans la pratique des différents acteurs liturgiques” : soyez les bienvenus sur le site du diocèse de Langres ! 
Certes, il n’y avait pas que ces informations sur la page d’accueil du diocèse, le mois dernier, mais elles suffisent pour donner une idée de la pastorale pratiquée dans le diocèse où Bossuet accéda au sous-diaconat. Une pastorale qui ignore complètement le Motu Proprio Summorum Pontificum et fait que le diocèse de Langres demeure aujourd’hui privé de messe paroissiale selon la forme extraordinaire du rite romain en dépit d’une demande bien réelle. Nous poursuivons donc cette semaine notre série d’enquêtes sur les diocèses privés d’application du Motu Proprio Summorum Pontificum en nous penchant sur le diocèse du très étrange Mgr Gueneley (1).
I - Présentation du diocèse 
Aujourd’hui, le diocèse de Langres est réduit au seul département de la Haute-Marne mais, sous l’Ancien régime, il a eu une extension majeure, débordant notamment sur le nord de la Bourgogne, du Tonnerrois au Dijonnais. Fondé au IVème siècle, son titulaire devint l’un des douze pairs d’origine du royaume (six laïcs et six ecclésiastiques) qui, sous les Capétiens, avaient une participation active lors du sacre du roi : il était notamment celui qui portait le sceptre durant la cérémonie. Le troisième évêque de Langres, saint Didier, a été martyrisé par les Vandales et le saint patron du diocèse est un autre martyr, saint Mammès, qui a donné son nom à la cathédrale de Langres, édifiée au XIIème siècle.
Le diocèse correspond à l’un des départements les plus ruraux de France. Sa population, à peine 190 000 habitants, est vieillissante et seulement deux agglomérations dépassent les 25 000 habitants (Chaumont et Saint-Dizier). En partie en raison de cette démographie défavorable – la Haute-Marne est l’un des départements français au dépeuplement le plus marqué –, le diocèse a été l’un des pionniers du “remembrement paroissial” en érigeant 31 paroisses en août 1998 en lieu et place des 445 paroisses historiques.
Depuis le rattachement du diocèse à la province ecclésiastique de Reims, les services de l’évêché collaborent de plus en plus avec ceux du diocèse de Troyes. Il n’est pas exagéré d’écrire que, comme bien d’autres diocèses de la Vieille Europe, le diocèse de Langres est aujourd’hui en sursis. Il ne compte plus que 42 prêtres en activité dont seulement 10 ont moins de 50 ans. Le plus jeune d’entre eux, le père Vallon, a été ordonné en juin de cette année.
Né en 1938, Mgr Philippe Gueneley est, depuis 1999 et selon la liste officielle, le 119ème évêque de Langres. De formation littéraire, enseignant durant de nombreuses années, il n’est pas connu pour faire de vagues, mais peut déraper quand il se sent en difficulté (1). Au sein de la Conférence des Évêques (CEF), il est membre de la commission épiscopale pour la liturgie et la pastorale sacramentelle. Il est également co-président du groupe "Conversations évangéliques – catholiques", né en 1996 à l’initiative de Mgr Daucourt pour “permettre une meilleure connaissance mutuelle” entre catholiques et protestants évangéliques et “aborder ensemble certaines questions éthiques”. Golias, dans son dernier trombinoscope, juge cet homme fatigué “en fin de course”.
À son “crédit”, la disparition quasi totale des funérailles religieuses dans le diocèse. À un fidèle qui lui demandait pourquoi, sur sa directive, il n’y avait plus d’obsèques par les prêtres, Mgr Gueneley a répondu avec un humour très CEF qu’il les célébrerait volontiers lui-même mais qu’il n’était "jamais libre avant 20 heures et qu’à cette heure les pompes funèbres n’étaient pas disponibles". Une "philosophie" qu’il a su inculquer à ses prêtres, comme l’illustrent ces quelques lignes de La Croix, le 3 septembre 2009 : le curé de Joinville « a aussi décidé de ne plus prendre en charge tous les enterrements. Il intervient pour les situations les plus difficiles : suicides, décès de jeunes. Pour le reste, il fait confiance aux trois équipes de laïcs en charge de la pastorale des funérailles. "Sinon, je pourrais passer ma journée à célébrer des obsèques !" » Une "philosophie" que le tout jeune père Vallon a lui aussi parfaitement assimilée puisque dans la présentation qui lui est consacrée sur le site du diocèse, il a cette formule : "Je ne souhaite pas être réduit au rôle de distributeur de sacrements, mais je tiens à être pasteur, proche des gens avec qui je vivrai !" Comme si s'occuper des défunts n'était pas souvent, de nos jours et tout spécialement en zone rurale, l'une des dernières occasions de pouvoir témoigner auprès des vivants... 
II – La forme extraordinaire dans le diocèse 
Pour trouver trace d’une célébration diocésaine de la liturgie traditionnelle dans le diocèse de Langres, il faudrait des moyens que nous n’avons malheureusement pas. Car il s’agit plus d’archéologie que de journalisme ! À croire, comme nous l’a dit avec verve une fidèle de 89 ans, que le clergé local “n’a pas attendu le missel de Paul VI pour tout envoyer paître”... Remarquons toutefois que les plus anciens fidèles de l’ouest du diocèse gardent un vibrant souvenir de l’abbé Jean Isoir, curé de Nully, village situé à une dizaine de kilomètres au sud du Lac du Der, dont ils n'ont pas oublié la soutane et le soin qu'il portait à son église comme à sa liturgie.
Actuellement, la seule célébration extraordinaire du diocèse est celle assurée à Joinville, dans l’ancien couvent de l’Annonciade, par la Fraternité Saint Pie X. Une célébration que n’ignorent pas les autorités diocésaines puisque, depuis l’an dernier, autorisation est faite aux fidèles de la FSSPX de se recueillir dans l’église de Joinville le 1er mai pour y vénérer les reliques de saint Joseph. Un geste “d’accueil” et non de “communion” a précisé le diocèse, mais un geste tout de même qu’il fait bon saluer.
Malheureusement, le seul accueil réservé aux fidèles diocésains demandeurs de la forme extraordinaire en vertu du Motu Proprio Summorum Pontificum, c’est le mépris. Certes, début 2008, Mgr Gueneley a consacré trois heures à les rencontrer mais pour mieux dérouler toute la panoplie des prétextes légitimant son refus. Du coup, les fidèles ont constitué une association loi 1901 baptisée “Saint Martin de Haute-Marne pour l’application du Motu Proprio Summorum Pontificum" dont l’objet est de "demander et solliciter par l’autorité ecclésiastique des célébrations liturgiques suivant la forme extraordinaire du rite romain, donc selon l’édition 1962 du Missale Romanum du Bienheureux Jean XXIII, et selon les autres livres liturgiques en vigueur de la même date, aider la préparation des célébrations, le service liturgique, la publicité des lieux et heures des messes".
En septembre 2008, les animateurs du groupe ont repris leurs démarches à zéro en contactant à nouveau le curé de la paroisse où ils souhaitent obtenir la célébration. Invités à s’adresser encore une fois à l’évêque, ils s’entretiennent avec lui au téléphone en octobre 2008 avant de lui adresser un courrier réitérant leur demande de messe à Saint-Dizier. Le 25 novembre 2008, Mgr Gueneley répond par courrier et renouvelle son refus, estimant que le groupe n’a pas d’existence valable, car… il s’est créé après la promulgation du Motu Proprio, que de toute façon il ne dispose pas de prêtres et qu’il ne veut pas de prêtres d’un institut Ecclesia Dei car ceux-ci seraient extérieurs au diocèse. Ce dernier argument est savoureux car le diocèse de Langres compte de nombreux prêtres étrangers au diocèse et même des missionnaires lazaristes venus de la Réunion et du Burundi.
Refusant de s’avouer abandonnés et méprisés, les fidèles désireux de vivre leur foi au rythme de la forme extraordinaire décident en juillet 2009 de s’associer à la diffusion de la grande enquête lancée quelques semaines auparavant par Paix liturgique (voir notre lettre n°168). Très vite, ils se heurtent à la hiérarchie diocésaine (laïque comme ecclésiastique) qui sent bien que de nombreux fidèles silencieux sont intéressés par la découverte d’un texte pontifical qui leur a été jusque-là caché. Le climat devient vite tendu et débouche malheureusement sur l’incident de Joinville (1).
En son temps, cet incident burlesque, joint à la fatigue de l’évêque, avait fait gonfler une rumeur fantaisiste : un coadjuteur allait être donné à Mgr Gueneley. Or, depuis, tout est calme dans le diocèse. Du moins en surface car, en eau profonde, la succession de Mgr Gueneley se prépare et les fidèles demeurent sur le qui-vive. Ils ont renouvelé encore une fois leur demande le mois dernier en s’appuyant sur l’instruction Universæ Ecclesiæ, qui répondait point par point aux arguties de Mgr Guéneley : "Un cœtus fidelium pourra se dire stable (stabiliter exsistens), au sens où l’entend l’art. 5 § 1 de Summorum Pontificum, s’il est constitué de personnes issues d’une paroisse donnée qui, même après la publication du Motu Proprio, se sont réunies à cause de leur vénération pour la liturgie célébrée dans l’usus antiquior…" (article 15) et "Dans les diocèses sans prêtre idoine, les Évêques diocésains peuvent demander la collaboration des prêtres des Instituts érigés par la Commission pontificale Ecclesia Dei, soit pour célébrer, soit même pour enseigner à le faire" (article 22). Ainsi, l’arrivée d’un nouveau curé à Langres, précédé par une réputation de "conservateur" acquise dans le diocèse de Dijon, a-t-elle intrigué. Mais il n’a pas fallu longtemps pour que se vérifie également le fait, tout aussi connu dans son diocèse d’origine, que le col romain de ce curé cachait en fait une profonde aversion pour la réconciliation liturgique entreprise par le Saint Père.
Il n’y a guère de doute : une fois encore, c’est à Rome que se jouera bientôt le sort du diocèse de Langres et on peut espérer que le cardinal Ouellet, préfet de la Congrégation pour les évêques, n’ignorera pas la question liturgique – et d’abord l’ultime chance de sauvetage du diocèse – lorsque sera constituée la terna des épiscopables présentée à l’assemblé de sa Congrégation puis au Souverain Pontife. À moins que, ce qu’à Dieu ne plaise, à Langres comme à Rodez ou en d’autres endroits, les pesanteurs conservatrices ne jouent en faveur de la bonne vieille cooptation pour faire appuyer par le nonce apostolique un évêque qui se refusera à enterrer les catholiques, mais qui achèvera d’enterrer le diocèse. 
(1) Voir notre lettre 202, d’août 2009, où nous faisons référence aux déclarations publiques de l’évêque de Langres contre trois de ses confrères, suivies d’explications plus qu’embarrassées.