11 septembre 2010

[Père Giovanni Scalese] Faire l'expérience de la Tradition

SOURCE - Père Giovanni Scalese - 11 septembre 2010

Texte du Père Giovanni Scalese, paru sur son blog querculanus sous le titre de "L'esperianza della tradizione" - version franç aise par benoit-et-moi.fr

L'expérience de la tradition

Cela fait plusieurs mois que je ne me suis pas occupé de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X. Après le début des «discussions doctrinales» avec le Saint-Siège en Octobre 2009 , je n'ai rompu qu'une fois le silence que je m'étais imposé: après les paroles prononcées par Mgr Fellay le 2 Février 2 2010 à propos de ce mêmes colloques (voir le post du 6 février 2010 - ndt: traduit par moi ici) .

Dans le post du 19 octobre 2009 (ndt traduit ici), j'expliquais les raisons qui suggéraient ce silence: il n'aurait pas été correct de s'immiscer de quelque façon que ce soit dans la très délicate "négociation" en cours . Cela ne signifiait absolument pas que je "croyais" en ces pourparlers . Ma position à cet égard , je l'avais très clairement exprimée dans le post du 18 mars 2009 (ndt: traduction ici) Mais , puisque les deux parties étaient convaincues de leur utilité , je souhaitais de tout coeur que les pourparlers pussent être couronnés de succès.

Apparemment , cependant, ils sont entrés dans une impasse (j'allais ajouter: et il ne pouvait en être autrement ) . C'est peut-être pour cette raison que s'est répandue cet été la rumeur que le Pape pensait à un motu proprio, selon lequel, pour parvenir à une réconciliation totale , on ne réclamerait à la FSSPX que de souscrire au Catéchisme de l'Église catholique ( Comme cela s'est produit récemment avec les groupes anglicans qui ont demandé à rétablir la pleine communion avec Rome) . La nouvelle a été accueillie avec satisfaction par tous les fidèles attachés à la tradition, mais a également soulevé les inquiètudes de l'aile maximaliste du mouvement Lefebvriste (ndt: voir sur le site Messa in Latino une lettre de mgr Williamson datant de fin août - que j'avoue ne pas avoir envie de traduire ... il y met en garde les membres de la Fraternité tentés par un rapprochement avec Rome sur la base d'une acceptation du catéchisme de l'Eglise catholique, qualifié par lui de "sostanzialmente modernista, ma in maniera sommessa", voir plus bas) .

Personnellement , si on parvenait effectivement à un accord sur cette base , j'en serais très heureux, mais je doute que cela se produira . La réaction de lMgr Williamson est très significative , et je suis convaincu que sa position est partagée par la majorité de la fraternité. Mais le problème n'est pas seulement l'attitude de la FSSPX , nous devons considérer la chose en soi , objectivement: qu'est-ce qu'il est juste - et même nécessaire, indispensable - de réclamer aux lefebvristes avant de les réadmettre à la pleine communion avec l'Église catholique?

Enfin, si la nouvelle du motu proprio est vraie , on a compris qu'on ne pouvait pas leur demanderl'acceptation du concile Vatican II , un concile qui s'est lui-même défini comme «pastoral» et, qui par certains points peut être - est de fait - mis en discussion. A présent, peut-être dans le sillage de ce qui s'est passé avec les anglicans , on voudrait demander à la FSSPX l'acceptation du Catéchisme de l' Église catholique. Cela peut sembler une idée raisonnable , qui était déjà dans l'air il y a un an et que j'avais moi-même partagée (voir le post 19 octobre 2009) .

Mais si on y réfléchit bien , même cette solution - sans tenir compte des réactions d'autres parties, mais seulement sur le principe - n'est pas la plus correcte . Certes pas parce que le Catéchisme de l' Église catholique, comme le prétend Williamson , serait "moderne en substance , mais de manière subreptice", mais parce que le catéchisme - tous les catéchismes - sont eux aussi des textes "pastoraux", liés au temps et au lieu dans lesquels ils ont été composés . Ce n'est pas un hasard si aujourd'hui nous n'utilisons plus le Catéchisme du Concile de Trente , mais le Catéchisme de l'Église catholique (CEC) ; non pas parce que l'un serait juste, et l'autre erroné , mais simplement parce que le second est plus approprié de temps dans lequel nous vivons . Que le CEC n'est pas un absolu est démontré par le fait que , depuis qu'il a été publié (1992) , il a déjà été modifiée (en 1997) au sujet de la peine de mort (nos 2266-2267). Un Catéchisme contient non seulement la doctrine dans sa pureté , mais essaie de la présenter en adoptant les catégories à une période historique donnée . Pourquoi obliger quelqu'un à accepter comme définitif un texte qui, en dépit de son autorité , a un caractère contingent et peut donc être l'objet , au moins sur certains points, de réserves légitimes (comme cela s'est produit en ce qui concerne la peine de mort) ?

Je suis de plus en plus convaincu que la seule chose qu'on peut - et doit - demander aux lefebvristes (comme à n'importe qui d'autre) est la profession de foi : s'ils sont disposées à la professer , ils sont catholiques , s'ils refusent , ils ne le sont pas. Et les discussions doctrinales seraient vaines , même si elles duraient des années.

Qu'ensuite, il puisse y avoir des différences sur certains points , notamment en ce qui concerne Vatican II , cela me semble plus que légitime . Où est-il écrit que tout le monde doit penser de la même façon sur la liberté religieuse , l'œcuménisme ou le dialogue interreligieux? S'agit-il par hasard de dogmes de foi ? Serait-ce un scandale si quelqu'un pensait différemment ? Ne serait-ce pas plutôt un stimulant pour explorer ces questions ? J'ai l'impression que parfois, on veut élargir indûment le champ de l'orthodoxie ; penser que, pour être catholique, nous devons tous avoir la même opinion sur tout; qu'il n'y a pas de place pour un pluralisme légitime. Les dogmes de la foi , après tout, ne sont pas si nombreux: une fois que nous nous nous retrouvons tous dans la profession de la même foi , nous pouvons discuter du reste , à condition que nous le fassions dans la charité, et sans excommunications mutuelles (ndt: !!! il n'y a pas qu'avec les lefebvristes que c'est difficile) .
Le vieil adage est toujours valable:In necessariis unitas; in dubiis libertas; in omnibus caritas.

Le numéro d'août de Jésus (ndt: revue éditée par la Société Saint-Paul) signale un fait que j'ignorais, qui a eu lieu il y a 34 ans exactement , le 11 Septembre 1976: Paul VI , à Castel Gandolfo reçut Mgr Lefebvre , qui s'adressa au Pape en ces termes :
"Votre Sainteté, laissez-nous faire l'expérience de la Tradition. Qu'il y ait , au milieu de toutes les expériences actuelles , l'expérience de ce qui a été fait depuis vingt siècles".
L'auteur , l'historien Giovanni Miccoli , rappelle que Paul VI , un mois plus tard, répondit négativement à la demande de l'archevêque . Je n'ai pas envie de juger le Pape Paul VI : il avait sans doute raison , à ce moment, de rejeter la demande . Il était trop important à ce moment , de rester tous unis , sous la direction de Pierre, pour mettre en œuvre les réformes souhaitées par le Concile . Comme on peut le voir d'après ce que rapporte Miccoli , la préoccupation majeure de Paul VI était qu'on puisse porter atteinte à l '"autorité apostolique du Concile" (qui peut en aucun cas être remise en cause , même aujourd'hui) et - j'ajoute - à son autorité papale personnelle .

Mais aujourd'hui la situation a changé : le renouveau conciliaire a été mis en œuvre; au besoin , le moment est venu de le vérifier, et de dresser un bilan de ce renouveau. Il n'y a rien de scandaleux à mettre en évidence certaines insuffisances, et à proposer des remèdes possible : cela a été fait sur de nombreux aspects et cela peut arriver pour d'autres.
Ces dernières années, l'Eglise a connu de nombreuses expériences avec leurs forces et leurs limites , mais toutes légitimes . Serait-il possible qu'il n'y ait pas une place aussi pour l'"expérience de la tradition"?

La demande adressée par Mgr Lefebvre à Paul VI il y a 34 ans me semble plus que légitime : il ne prétendait pas que toute l'Eglise le suive dans son chemin ( comme semblent parfois le vouloir certains lefebvristes aujourd'hui ... ); il demandait seulement qu'il lui soit permis de parcourir un chemin différent , sans exclure ni juger les chemins d'autrui ("... au milieu de toutes les expériences actuelles ..."). Comment peut-on nier cette possibilité aujourd'hui que tout le monde est autorisé à suivre son charisme ?

La seule chose qu'on devrait exiger des lefebvristes , en plus de la profession de foi est de rester fidèle à l'esprit de leur fondateur : faire, oui, l'expérience de la tradition , mais sans prétendre que l'expérience est exclusive et normative pour tous. Dans ces conditions , l'expérience de la tradition pourra à nouveau être enrichissante pour toute l'Église et , à leur tour , ses partisans pourront bénéficier de la richesse des autres légitime expériences ecclésiales.