11 janvier 2010

[La Vie] L'abbé Michel et la tradition maurrassienne - Décryptage du sociologue Erwan Lecoeur - propos recueillis par Olivier Nouaillas

SOURCE - Erwan Lecoeur - Olivier Nouaillas - La Vie - 11 janvier 2010
"L'abbé Michel n'est pas qu'un brave curé de campagne, il se rattache à une tradition catholique monarchiste, très militante et engagée à l'extrême-droite." Erwan Lecoeur sait de quoi il parle. Sociologue de formation, il est l'auteur du Dictionnaire de l'extrême-droite (Larousse, 2007) et à ce titre avait déjà analysé pour La Vie la vidéo de Civitas , l'organisme de formation politique de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX) au moment de l'affaire Williamson.

Il n'est d'ailleurs que de naviguer sur les sites monarchistes les plus engagés comme les Manants du roi, Vive le Roy ou encore celui l'Action française étudiante de Rouen, pour trouver à chaque fois une trace des messes dites chaque année le 21 janvier par l'abbé Michel pour la mort de Louis XVI, notamment encore celle du 21 janvier 2009.

Ainsi le Café royal, un blog monarchiste, note dans un post daté du 3 janvier 2010 que l'abbé Michel "était connu pour célébrer la messe pour Louis XVI le samedi le plus proche du 21 janvier à Thiberville et le lendemain à Paris, place de la Concorde, avec la participation de la FSSPX. Autre crime pour nos évêques, imbus de “démocratisme” et de “républicanisme”.  Alors, royalistes de France, vous pouvez le soutenir en écrivant un courriel de soutien, ici..."

Tout aussi explicites, le site traditionaliste Semper Fidelis, dont la devise est  "plutôt mourir que trahir", et le "webring" Vexilla Regis qui a publié l'intégralité de deux sermons prononcés par l'Abbé Michel les 21 janvier 2001 et 2002 dans son église de Thiberville. Des sermons dans lesquels il déclare ceci à propos de la mort de Louis XVI : "En coupant la tête du Roi, on est passé du Roi très chrétien à la laïcité républicaine amenant aujourd'hui la société sécularisée... C'est pourquoi je professe du haut de cette chaire, mon attachement à la Cause Royale, avec un Roi catholique recevant l'onction à Reims". Décryptage.

A la lecture de ces deux sermons sur le Christ-Roi, à quel courant de pensée peut-on rattacher l'Abbé Michel ?

Erwan Lecoeur : J'en vois deux. D'abord les lefebvristes – il cite d'ailleurs nommément Mgr Lefebvre – pour leur refus de Vatican II, de la modernité et la nostalgie de la messe en latin. Ce qu'on appelle les catholiques intégristes, qui se rapprochent aujourd'hui des catholiques tradis. Ensuite, les maurrassiens, du nom de Charles Maurras, théoricien de l'Action française, partisan du nationalisme intégral à travers la restauration de la monarchie et d'un retour du lien sacré entre l'Eglise et l'Etat, seul à même de "sauver la France".

En quoi célébrer une messe pour la mort de Louis XVI est un acte idéologique ?

C'est un acte identitaire à forte connotation symbolique. Ce n'est pas tant la personnalité de Louis XVI qui est importante pour ces courants de pensée mais l'importance de rappeler que sans le triptyque "Eglise-Etat-Roi" la France est livrée à "la décadence", un terme qui revient plusieurs fois dans les sermons de l'abbé Michel. D'ailleurs ce thème du discours de la décadence est une constante dans les discours de l'extrême-droite, de Jean-Marie Le Pen à Bernard Antony. Pour l'abbé Michel et tous les royalistes catholiques intégristes, sans transcendance, la société ne tient, en effet, plus debout.

Faut s'il s'inquiéter de ces courants de pensée qui paraissent très minoritaires ?

C'est un courant non négligeable de l'extrême-droite et qui plonge ses racines, assez loin dans notre histoire, avec le refus non seulement de la révolution française mais aussi des Lumières. Ils sont effectivement aujourd'hui minoritaires, mais assez puissants, car ils sont à la fois disséminés dans toute la société française et très organisés en réseau. Et Internet n'a fait qu'accentuer ce phénomène. D'ailleurs il est étonnant que des maires républicains apportent leur soutien à un abbé qui professe une telle aversion pour "la laïcité républicaine". Mais peut-être ces élus ne connaissent-ils pas le contenu de ces sermons?