6 novembre 2009

[Mgr Jacques Masson - Hermas] La débâche liturgique et ses accessoires (2) - La question vestimentaire

SOURCE - Mgr Jacques Masson - 6 novembre 2009

La question vestimentaire
Pourquoi cet acharnement des Évêques et des prêtres « dans le vent » contre la soutane ?
La question est importante et grave ! D’autant plus que le passage au clergyman a été de très courte durée, et, au Séminaire Saint-Sulpice notamment, quelques mois plus tard, voire quelques semaines à peine, le clergyman était remplacé tout simplement par l’habit civil, souvent fantaisiste et pas toujours de bon goût et de grande propreté. Au point que je disais d’un séminariste, issu d’un milieu très bourgeois, membre du Prado : « Il a confondu Prado et cradot ». Il voulait faire « peuple », lui qui était d’un milieu très bourgeois, « pour ne pas faire penser aux ouvriers que le prêtre leur était supérieur, qu’il était différent d’eux ! … Il fallait se mettre à leur niveau ».
Pour moi, qui suis originaire du milieu ouvrier (Papa était peintre en bâtiments aux Brasseries de Champigneulles, et tous les voisins de mon village étaient des ouvriers), cette affirmation était une insulte profonde, et exprimait une ignorance totale, et un mépris profond pour ces gens « du peuple ».
Le sens de l’honneur et de la dignité n’est pas réservé aux classes élevées de la société. Et, se présenter chez des ouvriers, qui sont habillés, en semaine, avec leurs habits de travail, en portant un beau costume, gris foncé ou noir, n’est-ce pas leur faire sentir alors « la différence » entre le prêtre et eux ? Les ouvriers, s’habillaient en ouvriers en semaine, parce qu’ils travaillaient. Mais, les jours de fête, les dimanches, ils « s’habillaient en dimanche ». Le sens de la dignité n’est pas le propre d’une certaine société, mais de tout homme, enfant de Dieu, créé à son Image et à sa Ressemblance. Des réflexions entendues chez des voisins : « Le clergyman ? c’est un habit de faignants pour des faignants (fainéants) ! ».
Toutefois, la question demeure : pourquoi ? Sous ce changement, n’y aurait-il pas une raison plus « profonde » ? Je veux dire : ce changement ne manifesterait-il pas que quelque chose avait changé dans le sens que le séminariste, le futur prêtre, donnait à son futur Sacerdoce ?
La question est loin d’être oiseuse. Le changement est très significatif. Un exemple récent : Un curé, un bon prêtre, un ami, d’une paroisse de Rome me disait tout dernièrement : « Je ne sais pas comment tu peux sortir en soutane : tu ne te sens pas gêné ? Moi, je ne serais pas à l’aise, et même j’aurais honte de sortir ainsi ! »
Je lui ai répondu : « Honte de quoi ? de montrer que je suis prêtre ? ».
Opérer un changement sur des questions secondaires est légitime. Opérer un changement radical, et le faire en l’imposant, en rejetant, en marginalisant, avec acharnement, manifeste que c’est bien un changement non de détails, mais un changement dans le fond, profond. Qui n’admet pas d’opposants, de contestation, de gens qui s’y opposent ! Ce changement devient une rupture avec ce qui existait précédemment. Et, dans le cas de l’Eglise, cela peut vouloir dire une rupture avec la Tradition bimillénaire.
Le vrai problème ne se trouverait-il pas là ? N’est-ce pas, au fond, ce qui a amené, et généralisé l’abandon de la soutane, pour « se mettre comme tout le monde », « pour être un homme comme les autres » (ce qui est l’argument massue pour justifier le port de l’habit civil « cradot » bien souvent).
N’est-ce pas le résultat, chez le prêtre, et d’abord chez le séminariste, de la perte du sens profond de ce qu’est le Sacerdoce, de ce qu’est le Prêtre ? Avec tout ce que cela comporte et entraîne dans la suite : la désobéissance vis-à-vis des Statuts Synodaux qui réglementent la vie du prêtre, et notamment la tenue vestimentaire du prêtre, qui prescrivent toujours le port de la soutane, ou du clergyman noir ou gris foncé ; le port obligatoire de la soutane pour la célébration de la Messe, pour l’administration des Sacrements, y compris du Sacrement des malades, et du Catéchisme.
La désobéissance vis-à-vis des prescriptions liturgiques, avec la « créativité » que chacun ressent le devoir d’exercer et de pratiquer, selon l’assistance, « pour faire participer l’assistance, mieux et plus ». Et, en touchant à la liturgie, et notamment au Saint Sacrifice de la Messe, la liberté toujours plus grande à son égard : dans l’emploi des vêtements liturgiques désormais dépassés ! Dans les improvisations, dans les innovations, sans s’en tenir aux rubriques désormais désuètes. Chacun devient ainsi « pape dans son église », et il devient de plus en plus difficile de trouver deux prêtres qui célèbrent le Nouvel Ordo tel qu’il est prescrit. C’est la débâcle, la débandade !
La désobéissance : passer du clergyman à l’habit civil est une désobéissance. N’était-ce pas le devoir des responsables, Professeurs des Séminaires, Evêques, de veiller à ce que les futurs prêtres sachent obéir, et ne pas mettre le pied sur la pente glissante qui ne s’arrête pas. « Non serviam » disait Lucifer, dans son refus d’obéir à Dieu ! La désobéissance est un fruit de l’orgueil, elle ne vient pas de Dieu.
Et les responsables de la formation, ceux qui ont la responsabilité, l’autorité, manquent à leur devoir s’ils la permettent. Ils DEVAIENT intervenir avec fermeté, pour remettre mes confrères séminaristes dans la voie de l’Eglise, et leur apprendre que, dans l’Eglise, il y a une autorité, non pour écraser les gens, mais pour les aider, pour leur apprendre à être des serviteurs. Ils doivent intervenir de toute urgence : pour les Responsables, être des Maîtres, c’est d’abord être des serviteurs, qui aident les jeunes à faire un discernement, des serviteurs qui peuvent parler avec autorité, car ils sont « Maître et Seigneur » comme le disait Jésus au Lavement des Pieds.
Ces séminaristes en civil, qui, désobéissaient aux règles canoniques ont été ordonnés sans problèmes. C’est ceux qui portaient la soutane, l’habit officiel du séminariste et du futur prêtre qui devenaient suspects, et que l’on menaçait de ne pas ordonner prêtres. C’est un comble ! Faiblesse de la part des Educateurs ? des Pasteurs ? Ou pensaient-ils déjà comme cela, secrètement en eux ? Je ne saurais dire. Mais ce qui est sûr, c’est qu’ils ont manqué, et qu’ils manquent toujours gravement à leur devoir, en ne faisant pas respecter l’autorité de l’Eglise.
Mais ce qui est plus grave, c’est que, sous les différentes manières personnelles de célébrer, on sent aussi et surtout, que nous nous trouvons devant un phénomène nouveau et inquiétant (même s’il date déjà d’un certain temps !) : les rites expriment alors la « foi » du prêtre, qui, malheureusement, ne correspond pas toujours à la Foi de l’Eglise, nous le verrons plus loin !
L’abandon de la soutane, le passage à l’habit civil, la créativité en liturgie, au fond, manifestent une débâcle dans la foi, que certains prêtres (beaucoup, de plus en plus ?) n’ont plus la Foi Catholique. Et certains n’hésitent pas à exprimer cette « foi nouvelle » qui est la leur, comme étant celle de l’Eglise. Un Vicaire d’une paroisse de Nancy n’hésite pas à dire : « A la Messe, il ne se passe rien : on se souvient simplement d’un événement qui a eu lieu il y a deux mille ans ». Autrement dit : l’hostie reste du pain, le vin reste du vin. Et c’est pourquoi on peut recevoir l’hostie dans la main. Et c’est pourquoi il déclare avant la Messe : « Je ne distribue que la communion dans la main ! ».
Si je disais, au début d’une Messe : « je ne distribue la communion que dans la bouche » (comme le fait à présent le Saint-Père, et à genoux – ce qui a soulevé un tollé de protestations contre « ce Pape qui fait marche arrière ! »), je ne doute pas que le Pasteur du Diocèse ne tarderait pas à me dire que je n’ai pas le droit de refuser la Communion dans la main, parce que c’est un droit des fidèles ! Je n’invente rien. J’ai, appris que, à l’occasion du mariage de ma petite-nièce, l’Evêché de Nancy avait envoyé un émissaire pour vérifier comment je célébrais la Messe… L’Evêché devrait bien plutôt envoyer des émissaires dans toutes les paroisses pour vérifier comment on célèbre la Messe, dans quelle tenue, et quelle est la teneur des « homélies ».
Il me vient à la mémoire à ce propos un fait significatif, et révélateur : A la paroisse Saint Pie X d’Essey-les-Nancy, le Curé, l’Abbé Homé, célébrait rigoureusement le Nouvel Ordo, mais avec toute la solennité que permet la liturgie de l’Eglise Latine. Cette Messe, digne, solennelle, recueillie, attirait des centaines et des centaines de fidèles, de tous les coins du Diocèse, heureux de trouver une Messe « normale », digne, et recueillie.
Le Curé, ayant pris de l’âge est parti, et a été remplacé par un autre, l’Abbé Marin. Un démolisseur : tout a été changé en quelques semaines, et les fidèles, désorientés, se sont « réfugiés » là où ils pouvaient, un certain nombre dans la chapelle de l’Abbé Mouraud, disciple de Mgr Lefebvre, qui célébrait la Messe de Saint Pie V.
Un certain nombre d’entre eux, dont mon frère Jean, se sont adressés à l’Evêque de Nancy, Mgr Jean Bernard, pour lui demander une Messe correcte, et la Messe de Saint Pie V une fois par mois. De longues discussions, des interventions à Rome, amenèrent Mgr Bernard à accorder une Messe de Saint Pie V dans la paroisse Saint-Pierre de Nancy, dont le Curé était l’Abbé Jean Tiesen, un collègue de séminaire à Nancy.
L’Abbé Tiesen m’invitait à célébrer cette Messe, lorsque j’étais en Lorraine. A l’occasion de Noël, il m’arriva l’aventure suivante : Au moment de la communion, reçue à genoux et dans la bouche par les fidèles, un homme se présente pour communier, en m’insultant : « sale intégriste ! » Et il tend les mains pour y recevoir l’Hostie ! Je ne lui aurais pas donné la communion dans la main, certes, mais, alors là, je lui ai alors refusé tout simplement la Communion, qui aurait été une Communion sacrilège !
Il s’en est plaint à l’Evêque de Nancy qui, profitant de l’occasion, car il l’avait cru, (sans prendre la précaution de me contacter pour avoir ma « version »), prit sa plus belle plume et écrivit à Rome pour porter plainte contre moi. Le Cardinal Mayer, responsable d’Ecclesia Dei à l’époque, et que je connaissais très bien, m’appelle au téléphone pour m’informer de cette plainte de Mgr Bernard, et me demande de passer à son Bureau, pour voir ensemble cette question.
Je suis resté longtemps avec le Cardinal Mayer. Il me montra la lettre de l’Evêque de Nancy, Primat de Lorraine : Mg Bernard m’accusait d’avoir refusé de donner la communion dans la main à un fidèle, qui en avait le droit, d’avoir ainsi causé un scandale en lui refusant même la Communion ; il déclarait qu’il condamnait cette attitude et que, après avoir pris conseil auprès de son clergé, il se permettait de demander la suppression de la Messe de Saint Pie V, car c’était le désir de la majorité de son clergé (sic !). Et d’ajouter, « in cauda venenum » : « N’oubliez pas que Monseigneur Masson est un prêtre extrémiste : IL A ETE DIRECTEUR A ECONE ».
Le Cardinal Mayer comprit très vite le fond du problème, et il me rassura : affaire classée. Mais, de retour chez moi, selon les conseils qui m’avaient été donnés par des amis de la Curie, j’écrivis au Cardinal Mayer pour lui donner un compte-rendu de notre conversation (« scripta manent »), et lui laisser ainsi un document qui resterait dans les archives et rétablirait la vérité, pour l’avenir !
Par souci d’honnêteté, j’envoyais copie de cette lettre à Mgr Bernard. Son Excellence Monseigneur l’Evêque de Nancy, Primat de Lorraine, me répondit : « Je n’ai jamais rien écrit à Rome contre vous ».
Je lui ai simplement répondu : « Excellence, je n’ai pas rêvé avoir été appelé au téléphone par le Cardinal Mayer. Je n’ai pas rêvé en lisant le dossier que vous avez envoyé contre moi. Evitez-moi de penser pour ne pas juger ! Mais, ou bien vous avez signé sans lire, ou bien quelqu’un a écrit à votre place et a signé à votre place… ou bien vous mentez… ». (lettres ou copies dans mes archives personnelles).
La débâcle liturgique, qui a commencé à mon avis par la perte du sens du Sacerdoce que le prêtre reçoit, et en tout premier lieu par l’abandon de la soutane qui le distinguait comme tel, est le signe d’une crise plus grave, plus cachée, plus sournoise, mais ô combien réelle : LA DEBACLE DANS LA FOI.
Je partage profondément l’opinion de mon correspondant : si quelqu’un ne croit pas entièrement en la foi de l’Eglise, pourquoi ne s’en va-t-il pas :
« Je me pose une question (m’écrivait-il): pourquoi restaient-ils? Ils auraient pu partir, devenir avocat commerçant ou instit, avoir une femme et des enfants... pourquoi restaient-ils? ».
Je ne puis m’empêcher de penser à ce que nous déclarait Dom Roy, le Père Abbé de Fontgombault, au mois d’août 1970 : « On commence par enlever la barrette, et on se retrouve marié ».
Boutade ? Certes, si l’on veut. Mais tout changement peut être signe d’un changement plus profond : il faut faire preuve de discernement, car tout changement n’est pas nécessairement bon et salutaire, et peut être signe d’un changement catégorique d’orientation.
Et l’exemple venait de plus haut, des Evêques eux-mêmes. Le Pape Jean-Paul II a confié à Mgr Jacques Martin (qui me l’a raconté personnellement) : « Les Evêques de France, ils se figurent que je ne les vois pas en civil à la télévision ? Et quand ils viennent me voir pour les visites ‘ad limina’, ils se déguisent ; mais je ne suis pas dupe ! »
Je pense à un autre exemple, toujours avec Mgr Bernard. J’allais le voir régulièrement, quand j’étais Directeur d’Ecône, pour maintenir de bons rapports avec la Hiérarchie de France. Une fois, Mgr Bernard me reçut, habillé en civil, chemise et cravate. Gêné, il me déclara : « Excusez-moi, Monsieur l’Abbé, si je suis en civil. Mais, j’ai ensuite une réunion avec mes prêtres. Et je ne veux pas y aller en clergyman : ils pourraient prendre cela comme un reproche car ils sont tous en civil. Je ne veux pas les heurter. Il faut prendre les gens comme ils sont : je dois être juif avec les juifs, et grec avec les grecs ! ».
Je répondis simplement : « Alors vous auriez dû me recevoir en soutane ! ».
A propos de la distribution de la Sainte Communion dans la main, qui a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase (je l’ai raconté dans un autre article publié sur « hermas »), et m’a fait quitter la France pour aller à Ecône, pour rester catholique, je tiens tout de même à préciser que ce n’est pas un refus « intégriste ». C’est un problème beaucoup plus profond, un problème de conscience, un problème de foi, rien de moins. Et, dans ce domaine, je sentais le devoir d’être "objecteur de conscience", et de na pas distribuer la Sainte Hostie dans la main.
Prêtre, je savais bien par expérience, que des parcelles se détachent des hosties, de la grande Hostie du prêtre, des petites Hosties distribuées aux fidèles. Ces fragments d’hostie, quelle que soit leur taille, sont-ils le Corps du Christ ? Si le Saint-Père, revêtu de son autorité, de son charisme d’infaillibilité déclarait que ces fragments ne sont pas le Corps du Christ, je n’aurais aucun scrupule. Mais cette hypothèse est impensable, et ne peut même pas être un "futurible !" Saint Thomas déclare, dans le Séquence que nous chantons à l’occasion de la Fête-Dieu :
Le sacrement enfin rompu,
Ne vacille pas, mais souviens-toi
Qu'il est sous chaque fragment
Comme sous le tout il se cache.

Nulle division n'est réelle,
Le signe seulement se fractionne,
Et par là, de ce qui est signifié
Ni l'état ni la stature n'est amoindri.
En conscience, je ne puis pas risquer qu’un fragment d’Hostie, qui est le Corps du Christ donc, tombe pas terre, et soit foulé aux pieds… C’était, c’est, ce sera toujours pour moi, un devoir de conscience de distribuer la Sainte Communion dans la bouche, comme c’est la pratique habituelle de l’Eglise.
Le Pape Benoît XVI l’a rappelé récemment, et donne lui-même l’exemple. Qui oserait Le contester et s’opposer à Lui ? Qu’il se lève et qu’il parle ! Mais qu’il n’oublie pas qu’il parle à Pierre, sur qui le Christ a bâti son Eglise ! «  Surgat et dicat, sed memor sit conditionis suae » (ancien rituel des Ordinations) [à suivre]
Mgr J. MASSON