12 septembre 2009

[Yves Chiron /Présent] Le retour de l’épouvantail «intégriste»

SOURCE - Yves Chiron - Présent -12 septembre 2009
Depuis janvier 2009, c’est-à-dire depuis la levée des excommunications accordée par Benoît XVI aux quatre évêques de la Fraternité Saint-Pie X, il ne se passe de mois sans que paraissent plusieurs livres et articles consacrés aux traditionalistes, intégristes et lefebvristes. Les trois termes ne sont pas synonymes. Le simple fait de choisir l’un ou l’autre qualificatif est déjà un indicateur de la pertinence du propos.

Emile Poulat a fait remarquer un jour combien l’emploi du mot intégrisme est devenu « le symbole de tout ce que rejettent ceux qui l’emploient » et qu’il « nous en apprend souvent plus sur ceux qui en parlent que sur ceux dont ils parlent ».

Le mot intégrisme se résout souvent en une association d’idées, remarquait encore Emile Poulat en 1986 : « droite, réaction, dogmatisme, autoritarisme, cléricalisme ».

Intégrisme = extrême droite, telle est l’équivalence que diffusent la vulgate progressiste et l’historiographie paresseuse. Une rapide rétrospective permettrait sans doute de dater la naissance de cette vulgate en juin 1950, lorsque le P. Congar, un des phares de la « théologie nouvelle » d’alors, publia «Mentalité de droite et intégrisme» dans la revue La Vie intellectuelle. Il définissait l’intégrisme comme une «attitude» qui a «tendance à majorer» l’autorité et l’orthodoxie doctrinale et dont la conséquence, la pente fatale, est un «esprit schismatique».

Le P. Congar accordait tant d’importance à cet article qu’il l’a repris dans le gros livre programmatique qu’il publiait cette année-là aussi, Vraie et fausse réforme de l’Eglise.

Ces pages du P. Congar, et ses arguments, seront relayés, lors de la première année préparatoire du concile Vatican II, par un long article de Madeleine Garrigou-Lagrange paru dans la revue Esprit en novembre 1959 : «Intégrisme et national-catholicisme».

Les articles du P. Congar et de Madeleine Garrigou-Lagrange sont restés longtemps les références principales des opposants, en France, à l’intégrisme. A partir des années 1970, le combat de Mgr Lefebvre et de la Fraternité Saint-Pie X a été interprété, le plus souvent, avec cette même clef politico-religieuse.

En témoignent encore deux articles récents. Dans le numéro de printemps de la revue, libérale, Commentaire (n° 125), Alain Besançon, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, croit décrypter les «aspects politiques» du « petit troupeau » des « intégristes » en écrivant : «Le mouvement eut aussi un aspect politique. Il hérita d’une bonne partie de l’idéologie maréchaliste, mise au ban depuis la Libération. Et par conséquent de la tradition maurrassienne, avec son antisémitisme tenace, encore souterrainement subsistant, qui donnait un argumentaire à l’antijudaïsme séculaire. Cela préparait le terrain à des fantasmes négationnistes.»

Dans le numéro de septembre des Etudes, Florian Michel, agrégé et docteur en histoire, prétend démontrer que «les enjeux politiques sont constitutifs de l’intégrisme. Ils se structurent entre autres autour d’un refus de la pensée politique de Jacques Maritain (1882-1973), dans la filiation directe de l’Action française».

Par une malhonnêteté intellectuelle qui consiste à sortir quatre mots de leur contexte, Florian Michel explique à ses lecteurs que, selon Mgr Lefebvre, «la messe traditionnelle “est essentiellement anti-communiste”» !

L’exemple de Benoît XVI

Il est symptomatique qu’Alain Besançon et Florian Michel, historiens catholiques – ils préféreraient, sans doute, qu’on les qualifie d’historiens et catholiques –, méconnaissent les raisons proprement religieuses et doctrinales du refus «intégriste» ou de la critique traditionaliste. Ils ne voient pas dans quelle tradition de romanité ce refus ou cette critique s’inscrivent.

Ce faisant – en réduisant le traditionalisme ou l’intégrisme à une catégorie politique –, ils méconnaissent pareillement l’intention proprement religieuse et spirituelle de Benoît XVI dans sa volonté de réconciliation : «servir la communion universelle de l’Eglise», «favoriser le dépassement de toute fracture et division dans l’Eglise», « guérir une blessure ressentie de manière toujours plus douloureuse dans le tissu ecclésial».

YVES CHIRON
Article extrait du n° 6924 de Présent, du Samedi 12 septembre 2009