23 mars 2008

[Dom Laurenco Fleichman osb] Les marques de la souffrance : paroles d'un fils de Dom Gérard

SOURCE - Dom Laurenco Fleichman osb - version française sur Christs Imperat - 23 mars 2008


Les marques de la souffrance : paroles d'un fils de Dom Gérard

"Il m'a fait trop de mal pour dire du bien de lui. Il m'a fait trop de bien pour dire du mal de lui".

Je crois que sont là les mots qu'avait écrit l'abbé Berto sur Jacques Maritain, et qu'aujourd'hui je pourrais reprendre à mon compte à propos de Dom Gérard Calvet OSB, qui vient de disparaître. Ainsi, l'abbé du monastère Sainte-Madeleine du Barroux s'est présenté en ce jour devant le Juge Suprême et a vu, a certainement vu, le mal terrible, l'avalanche qu'il a provoquée en raison de sa vanité, de l'abandon du combat auprès de Monseigneur Lefebvre et de l'adhésion de toutes ses forces à Vatican II et son oeuvre sinistre. Nos lecteurs brésiliens peuvent avoir une vague idée de cela en lisant l'ouvrage qui j'ai écrit pour relater les négociations entre Monseigneur Lefebvre et le Vatican ( La Tradition contre le Vatican, éd. Permanencia). Le monastère du Barroux était un haut lieu de la Tradition , son influence dépassait les limites de la vie monastique, de la France même, et touchait le monde entier, en attirant des jeunes de toutes parts afin de vivre à nouveau la vie monastique authentique, telle qu'elle s'est vécue jusqu'aux temps de Pie XII. Les fidèles du monde entier savaient que, même en ayant un style différent de la Fraternité Saint-Pie X, les moines bénédictins de la Tradition étaient la marque de fécondité de toute cette oeuvre de restauration.

Dom Gérard avait envers le Brésil une affection particulière, et il y était venu dans une fondation du monastère de Tournay, entre 1962 et 1968. Au cours de cette année de grands changements et d'agitations, il est retourné en France, désespéré devant les départs de prêtres et la Révolution opérée par le Concile. Avant de regagner son pays natal, il vint à la maison de Gustavo Corção, à Cosme Velho et il pleura avec ce vieux combattant sur la Passion de l'Église. Corção a raconté cette histoire dans l'article « Malhas que os anjos tecem », que nous publierons brièvement.

Il se fit ermite dans les montagnes du Midi jusqu'à ce qu'il fut informé qu'une propriété à louer était disponible à proximité, avec une jolie chapelle du XIe siècle. On était au milieu de l'année 1970. Ensuite arriva un jeune qui voulut l'accompagner, puis un autre, et encore un. Une communauté monastique s'est créée, mais dans le but de maintenir la Tradition , la messe tridentine, même en s'engageant dans une guerre, comme venait déjà de le faire Monseigneur Lefebvre, qui avait fondé le séminaire d'Ecône la même année. Et ainsi les destinées du monastère de Bédoin et d'Ecône furent-elles liées. En 1974, un de nos jeunes de Permanencia, guidé par Gustavo Corção, entra au monastère Sainte-Madeleine, en recevant le nom de Frère Thomas d'Aquin. Plus tard, en 1980, ce fut mon tour. Notre formation de Permanencia se faisait toujours en fonction de la théologie traditionnelle. Il n'y avait pas de prêtres très proches de nous, un aumônier par exemple, seulement quelques bons prêtres qui célébraient la messe en cachette, de peur de la furie de Dom Eugenio Sales ; c'était Corção qui enseignait la doctrine et ce fut une garantie de qualité : Saint Thomas d'Aquin et ses commentateurs, surtout Garrigou-Lagrange, P. Gardeil et d'autres encore ; les grandes encycliques, les grands saints docteurs. Néanmoins, quand je suis entré à Bedoin, j'y ai trouvé les mêmes références que celles que nous avions dans les leçons de Corção et de mon père. Plus encore : le même esprit de combat contre la vague de progressisme venue avec Vatican II. Je me rappelle de moments marquants de la vie de la communauté du Barroux (où fut transféré le monastère en décembre 1981), quand Dom Gérard attaqua fortement les erreurs des progressistes, en désignant leurs hérésies et en donnant une orientation sûre qui fut toujours la même. Ah oui, ce n'était pas comme Ecône parce que ce n'était pas un évêque, mais il y avait une profondeur dans ses écrits et sa pensée qu'on pouvait remarquer dans ses articles de la revue Itinéraires. Mais Dom Gérard avait certains défauts graves et sa nature pouvait être gagnée facilement par des personnes qui le flattaient avec certains types de compliments. A cette époque, il était confus et a aussitôt commencé à glisser dans l'orgueil de se savoir si influent, si recherché par tant de gens, en réussissant à construire un monastère qui laissait la France bouche bée. Le premier signe de ce phénomène intervint en 1983, lorsque sortit le nouveau Code de Droit canonique. Le prêtre qui enseignait cette matière, issu du diocèse d'Avignon, et qui célébrait aussi la messe traditionnelle, fit une conférence en montrant plusieurs erreurs graves du nouveau code. Mais, tout comme sont ces "conservateurs", à la fin, il disait que c'était l'Église qui nous le donnait, que nous devions l'accepter. Je lui ai demandé comment il pouvait être donné par l'Église et aussi corrompu. Mais Dom Gérard ne l'a pas laissé répondre, en affirmant qu'il était de l'Église et que nous allions toujours l'utiliser à la lumière de la Tradition. Comme à l'accoutumée, dom Gérard m'a demandé de téléphoner à Mgr Antõnio de Castro à Mayer pour connaître l'avis de l'évêque émérite de Campos, docteur en droit canon. Ils ont entendu personnellement la réponse de Dom António : « Le nouveau code de droit canon fait partie des hérésies de Vatican II ». Et la chose est restée ainsi. Mes inquiétudes, en vérité, ont diminué dans la mesure où Dom Gérard continuait, après cela, à critiquer fortement et en public les erreurs du pape et du Concile. Il suffit de relire un des exemplaires de la Lettre aux amis du Monastère, où il parlait de « l'hérésie oecumeniste ».

En 1984, Dom Gérard a été appelé à une rencontre avec le président de la Confédération bénédictine, à Florence, en Italie. Là, on lui a proposé de recevoir les approbations de Rome pour la vie monastique et pour la messe traditionnelle, si, en échange, il acceptait de ne plus aller à Ecône. A son retour, Dom Gérard en a parlé à la communauté qui lui a répondu que cette proposition était une trahison, et que lui n'était pas un traître. Par cette réponse et d'autres encore, je me sentais en sécurité, malgré des glissements que je sentais déjà. Quatre ans plus tard, encore influencé par des personnes infiltrées dans le monastère, le prieur se laissa séduire par une Tradition officialisée par Rome, en disant croire en la sincérité des autorités qui, disait-il, ne lui demandaient rien en échange. Mais Dom Gérard a reçu le cardinal Mayer qui est rapidement venu au Barroux proposer un accord après le refus de Monseigneur Lefebvre de continuer les négociations. Pour faire un accord avec Rome, le Barroux devait s'éloigner de Monseigneur Lefebvre. La même proposition qu'en 1984, néanmoins avec une réponse différente de Dom Gérard. Cette fois, la mitre et la crosse de l'abbé étaient en jeu. Rome savait séduire pour gagner. Et la trahison arriva. Il a trahi ce que Monseigneur Lefebvre avait fait pour le Barroux. Il a trahi la Sainte Eglise en baissant la garde, en cessant le combat, en concélébrant avec le pape à Rome, en acceptant la nouvelle messe . Ensuite, il a laissé agir la dynamique de Vatican II (comme le dira quelques années plus tard l'abbé Cottier, aujourd'hui cardinal, à propos de l'accord de Campos). S'il m'est permis de me citer moi-même, je dois dire qu'avant de partir du Barroux, j'ai dit à Dom Gérard : "Des milliers de familles en France et dans le monde attendent un mot pour les confirmer dans la foi, en refusant la trame et la malice de nos ennemis. Cet accord sera l'occasion de grandes divisions dans les familles". Tout a été vain. Le reste fut un drame aux proportions incalculables, pour les moines, divisés, pour une belle communauté monastique qui changeait l'itinéraire de sa vie pour finir détruite, ensevelie par le progressisme de Vatican II. Des vingt prêtres que nous étions au Barroux en 1988, je crois que cinq sont restés. Quelques-uns ont tout lâché, la vie monastique et le sacerdoce, d'autres ont continué le combat de la Foi aux côtés de la Fraternité S. Pie X, d'autres sont devenus prêtres diocésains en célébrant la nouvelle messe, aussi mondains et laïcisés que des prêtres progressistes. Un cataclysme qui maintenant, devant Notre Seigneur, Dom Gérard doit considérer dans toute sa proportion. Il paraît que dans ses derniers mois, il se serait rendu compte du mal qu'il avait permis et a causé. Il aurait dit qu'il s'était trompé dans le choix de 1988. Je ne sais pas ce qu'il en est vraiment. Je prie pour son âme en ce moment terrible, le remerciant de ce que j'ai appris de lui, attristé par tout ce que j'ai souffert par lui, animé par la vertu d'Espérance du désir qu'il ait une place au purgatoire où il puisse expier ses manques. De son âme, de sa vie morale, je n'ai pas à témoigner ni n'ait à dire quoi que ce soit contre lui. Mais la chute de son monastère, causé par sa vanité, en a atteint beaucoup, a blessé l'Église et a besoin d'être expiée.

Dom Laurenco FLEICHMAN osb