17 février 2007

[Sophie de Ravinel - Le Figaro] Les lefebvristes fêtent le trentième anniversaire de la « prise » de Saint-Nicolas-du-Chardonnet

SOURCE - Sophie de Ravinel - Le Figaro - 17 février 2007

Trente ans après le début de l'occupation illégale d'une église du Quartier latin, les fidèles de la Fraternité Saint-Pie X persistent et signent. 

Les occupants de l'église parisienne Saint-Nicolas-du-Chardonnet peuvent sans doute se targuer d'avoir effectué le plus long squat de France. Les lefebvristes tiennent en effet depuis trente ans, contre vents et marées, malgré les décisions de justice et les voeux du Conseil de Paris. Rien n'y a fait : ils sont toujours là, au coeur du Quartier latin, avec ce sentiment développé à l'extrême d'être le dernier bastion catholique de France. À l'heure de l'apaisement entre la Fraternité lefebvriste Saint-Pie X et Rome, sous l'égide de Benoît XVI qui s'apprête à libéraliser la messe tridentine en latin, l'archevêché semble vouloir laisser planer cette affaire en apesanteur juridique. À midi, l'heure d'une des trois messes quotidiennes, Maria, d'origine indienne, se justifie : « Il vaut mieux que ce soit nous qui occupions cette église plutôt que des artistes mal inspirés. » Cette étudiante est fidèle de la paroisse hors la loi, car elle estime que s'y trouve « la vérité ».*
 
À l'intérieur de la vaste église, une plaque de marbre commémore le 27 février 1977, lorsque des centaines de fidèles opposés au concile Vatican II ont répondu à l'appel de Mgr Ducaud-Bourget. Ce prélat octogénaire, viscéralement attaché à « la Tradition », veut alors en découdre avec les autorités ecclésiastiques qui lui refusent une église pour y célébrer « la messe de toujours ». Sous ses injonctions et au son de tonitruantes litanies, l'église est investie et les occupants légaux violemment expulsés. L'organiste officiel aura la mâchoire fracassée par une batte de base-ball.
Une église gardée
Des jours d'incertitude et d'euphorie s'ensuivent. Les médias accourent. L'action est tout de suite soutenue par Mgr Marcel Lefebvre, déjà en conflit avec ses autorités. « Aujourd'hui, assure Jean Tiberi, maire du Ve arrondissement, une telle occupation ne serait plus possible. Les curés font appel, dans l'instant, aux forces de l'ordre. »
 
Trente ans et un schisme - qu'ils refusent de reconnaître - plus tard, les lefebvristes revendiquent 600 mariages et 3 400 baptêmes, affirment accueillir 3 500 fidèles chaque dimanche, et aussi effectuer encore chaque année quelque 2 800 heures de surveillance des lieux. Car l'église se sent encore menacée. Sylvain Garel, élu Vert du XVIIIe arrondissement, a ainsi tenté de la faire occuper par des sans-papiers en décembre 2003 afin qu'elle soit évacuée par la police et rendue à son curé légal, celui de Saint-Séverin. Mais le père Matthieu Villemot, vicaire de cette paroisse voisine, raconte que « l'archevêché de Paris s'est bien gardé de demander l'évacuation. La police aurait été obligée de faire partir les intégristes avec les sans-papiers et là, nous aurions eu le droit à une guerre ouverte, sans doute violente ». Au 39, boulevard Saint-Germain, dans la partie du presbytère défendue par des séminaristes du diocèse lors de « la prise » de Saint-Nicolas, une messe est dite chaque jour à midi, dans le petit oratoire, afin de prier « pour cette situation douloureuse », explique le père Villemot. Dans la petite cour privée voisine de l'église et du presbytère, « c'est checkpoint Charlie, plaisante-t-il. Il y a des provocations et des signes amicaux entre les gardes-frontière, mais chacun veille à ne pas aller trop loin. »
 
« Prieur » de Saint-Nicolas, l'abbé Xavier Beauvais se veut rassurant : « La Fraternité Saint-Pie X n'a plus vraiment besoin d'occuper des églises. Les maires sont nombreux à vouloir vendre leurs églises, dit-il, et il vaut mieux qu'elles soient à nous plutôt qu'aux musulmans. » Héritier spirituel de Mgr Marcel Lefebvre, Mgr Bernard Fellay interviendra cet après-midi à la Mutualité et célébrera demain une messe « pontificale ». Tout le ban et l'arrière-ban seront présents. En souvenir des heures ­historiques.