29 septembre 2005

[Mgr Fellay - Vincent Pellegrini - nouvelliste.ch] Mgr Bernard Fellay s’explique

SOURCE - Mgr Fellay - entretien avec Vincent Pellegrini - nouvelliste.ch - 29 septembre 2005

ÉCÔNE - Le chef de file des traditionalistes est Valaisan. Il nous a raconté sa rencontre du 29 août dernier avec le pape Benoît XVI. Entretien et questions autour d’un dialogue qui s’annonce très difficile.

Mgr Bernard Fellay est Valaisan et supérieur général de la Fraternité sacerdotale saint Pie X. Il est l’un des quatre évêques consacrés par Mgr Marcel Lefebvre. Cet homme de 47 ans est donc le numéro 1 du mouvement issu d’Ecône. C’est lui qui a rencontré le 29 août dernier à Castel Gondolfo le pape Benoît XVI et le cardinal Castrillon. Mgr Fellay était accompagné par son premier assistant, l’abbé Franz Schmidberger. La rencontre de trente-cinq minutes – qui a été précédée d’un échange de notes – s’est déroulée selon un communiqué du Vatican «dans un climat d’amour pour l’Eglise et de désir d’arriver à la pleine communion». Le ton est nouveau. C’est pourquoi nous avons sollicité une interview de Mgr Fellay qui a accepté de sortir du silence qu’il entretient face à la presse depuis sa rencontre avec Benoît XVI. Le supérieur général des traditionalistes nous a reçu lundi à Menzingen, dans le cadre de l’imposante maison générale de la fraternité, en pleine campagne zougoise. Entretien.
Mgr Bernard Fellay, qui a pris l’initiative de cette rencontre du 29 août? Vous ou le Vatican? Et quels en étaient les buts?
C’est nous. Cette rencontre avait d’ailleurs de multiples buts. Tout d’abord, nous voulions signifier notre déférence au souverain pontife Benoît XVI, lui montrer que nous le reconnaissons comme notre pape. Tout comme le pape précédent d’ailleurs. Cette rencontre était pour nous l’expression sensible de notre catholicisme. Nous sommes catholiques et nous le montrons en allant rendre nos hommages au chef, à la tête de l’Eglise. Il était important que la Tradition rappelle qu’elle conservait bien sa catholicité à l’heure où on lui reproche si souvent d’être refermée sur elle-même. Le deuxième but était de témoigner de ce que nous faisons auprès du nouveau pape. De lui montrer que ce que l’Eglise a toujours fait, nous le faisons aujourd’hui dans le monde moderne et au milieu d’une crise qui touche autant la société que l’Eglise. Que c’est faisable et que ce devrait être une indication pour sortir de la crise. Le troisième but de cette rencontre était d’approfondir nos relations avec Rome et de les intensifier pour arriver une fois à une solution.
Quel a été le climat de cette rencontre?
L’ambiance a été tout à fait sereine. On voyait sans aucun doute qu’il y avait de la bienveillance de la part du pape. D’ailleurs, depuis quelques années, Rome a adopté un nouveau ton à notre égard. La manière dont nous sommes reçus contraste de manière impressionnante avec la façon dont les évêques nous traitent dans leurs diocèses.
Vous-même avez parlé à l’issue de cette rencontre de «consensus pour résoudre les problèmes». S’agit-il uniquement d’un consensus sur la démarche à suivre où avez-vous déjà abordé avec Rome des questions de fond?
Cette première audience n’avait pas pour but de résoudre des problèmes de fond mais de poser des jalons, d’esquisser un chemin. Nous ne sommes pas allés plus loin. Nous avons voulu montrer notre bonne volonté en venant voir Benoît XVI. Nous lui avons dit que nous le reconnaissions comme pape et que nous priions pour lui. Je lui ai d’ailleurs écrit plusieurs lettres depuis son élection pour lui dire cela. Nous avons survolé les choses en gros et nous n’avons pas approfondi de problème très spécifique. Ce sont d’ailleurs toujours les mêmes problèmes qui nous occupent et l’on peut les résumer à deux: la nouvelle messe et le Concile Vatican II.
Le communiqué du porte-parole du Vatican parle de la volonté des deux parties de «procéder par étapes et dans des délais raisonnables». Que va-t-il se passer ces prochains mois? Y a-t-il un calendrier?
Il n’y a pas de calendrier explicite, mais l’on sent que Rome est assez pressée. De notre côté, nous tenons surtout à approfondir certains problèmes et nous sommes moins pressés. Nous voudrions d’abord que le pape se manifeste de manière à ce que la Tradition soit acceptée au niveau local, par les évêques. Car la Tradition ce n’est pas nous, mais tout le passé de l’Eglise.
Comment vont continuer les contacts avec le pape?
Les contacts vont continuer, mais avec le délégué du pape, le cardinal Castrillon. Nous avons demandé notamment que l’ambiance change et que soit rendue par Rome la pleine liberté de dire l’ancienne messe. La Curie admet d’ailleurs qu’il n’y a aucun argument pour interdire l’ancienne messe.
De fait, il y a déjà un indult de Rome pour ceux qui veulent dire l’ancienne messe…
Oui, mais les communautés traditionalistes ralliées à Rome ne sont pas bien traitées dans l’Eglise, en particulier par les évêques. L’indult autorise l’ancienne messe sous forme de concession, d’indulgence, presque de tolérance. Cela ne signifie pas pour un rite avoir plein droit à l’existence. Rome admet que l’ancienne messe n’a jamais été supprimée. Ce que nous demandons n’est donc que justice.
Vous avez demandé aussi à Benoît XVI la levée des excommunications prononcées contre les quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre.
Nous considérons les excommunications comme nulles. Par ailleurs, si l’excommunication des orthodoxes a été levée par Paul VI pour faciliter le rapprochement, je ne vois pas pourquoi Rome ne pourrait pas faire la même chose avec nous. J’ajouterai à ce sujet que si le pape veut trouver rapidement un accord avec nous, c’est aussi parce que les orthodoxes ne feront rien avec l’Eglise catholique tant que Benoît XVI n’aura pas réglé les problèmes de Rome avec sa propre tradition.

Les orthodoxes sont eux aussi traditionalistes et la façon dont sera traitée la tradition latine dictera leurs relations avec Rome. Or, le pape veut l’union avec les orthodoxes. Mais lorsque nous demandons un statut canonique, nous demandons tout simplement de pouvoir vivre comme des catholiques dans l’Eglise. Nous suivons en tous points la doctrine traditionnelle de l’Eglise et nous sommes persécutés. Trouvez-vous cela normal alors que dans les universités catholiques des professeurs peuvent professer des hérésies sans être inquiétés? Regardez le catéchisme enseigné aux enfants dans les diocèses!
Mais quelles conditions pose Rome par rapport au Concile Vatican II?
Tant pour la messe que pour le concile, avec le temps, les exigences de Rome se font plus précises. Rome a même lâché un peu de lest. Pour la nouvelle messe, on nous demande simplement de reconnaître qu’elle est valide. Nous sommes d’autant plus d’accord que Rome ajoute qu’elle est valide lorsque le prêtre a l’intention de célébrer le sacrifice de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Pour le Concile Vatican II, Rome voudrait reprendre le protocole signé en 1988 par Mgr Lefebvre et par le cardinal Ratzinger. Ce protocole dit qu’une seule interprétation du Concile Vatican II est valable. Celle qui est faite à la lumière de la Tradition. Mais même si cela n’a pas été dit très explicitement, nous avons bien compris au cours de notre rencontre avec le pape qu’il nous considérait comme vieux jeu et que le concile c’est aussi un esprit que nous devons acquérir. Je suis d’accord avec la formule du concile interprété à la lumière de la Tradition mais je ne puis pas la signer dans le contexte actuel.
C’est parce que vous n’avez toujours pas la même appréciation du Concile Vatican II que Rome que vous ne voulez pas signer une formule d’accord qui semble pourtant acceptable par vous?
C’est un problème de vision, d’état de la question. Le problème que nous sommes censés causer à l’Eglise n’est pas perçu de la même manière par Rome et par nous et c’est pourquoi nos solutions divergent profondément. Or, pour arriver à une solution il faut être d’accord sur l’état de la question. Nous sommes allés à Rome pour poser le problème correctement. En clair, nous ne sommes pas le problème. Car même si nous n’existions pas, la crise de l’Eglise serait tout aussi grave. Nous ne faisons en effet que réagir à la crise du monde catholique. Notre manière de voir le Concile Vatican II ne correspond pas à celle de Rome actuellement, c’est vrai. Et c’est pourquoi l’on ne peut pas rester dans des formules d’accord superficielles. Il faut aller au fond des choses. Nous n’aurions aucun problème à signer un accord superficiel, mais nous ne voulons pas d’une réconciliation simplement tactique qui ne conduirait à rien. Il faut que cet accord soit vrai, profond. Il ne servirait à rien de donner l’impression que tout est rentré dans l’ordre alors que rien n’est réglé. Dans la situation actuelle, un tel accord tromperait tout le monde. J’ai peur que le pape et la curie ne soient bloqués par la ligne progressiste. Cela expliquerait cette focalisation sur le seul Concile Vatican II. Je vous le répète, si Rome fait le moindre effort sérieux pour sortir de la crise, sans même parler de nous, le problème n’existera plus car l’ambiance et l’esprit auront changé.
A vous entendre, il ne reste plus guère d’espoir pour un accord…
A vues humaines oui, mais il ne faut jamais oublier que l’esprit catholique est dans l’Eglise et qu’il reprend force actuellement. C’est une question de temps pour qu’il reprenne la première place.
Mais vu le blocage idéologique qui semble patent à entendre ce que vous me dites, pourquoi alors renouer avec Rome?
Nous devons avoir des relations suivies avec Rome. Elles nous permettent notamment d’envoyer des études approfondies. Nous avons par ailleurs des alliés à Rome et dans les diocèses.
Les vaticanistes parlent d’un possible geste de Rome très prochainement pour libéraliser largement l’usage de l’ancienne messe et donner un statut juridique aux traditionalistes dans l’Eglise…
C’est possible, mais je n’en sais rien. Pour la Fraternité saint Pie X, cela n’ira sans doute pas aussi vite. Par contre, pour les mouvements Ecclesia Dei (n.d.l.r.: pour les communautés traditionalistes ralliées à Rome), cela pourrait aller plus vite. Nous attendons pour voir…
Mais que demandez-vous au fond pour vous réconcilier avec Rome? Que le Vatican signe une déclaration? Ce serait utopique de votre part…
Nous ne demandons pas de déclaration de la part de Rome. Nous demandons simplement que le climat change, que Rome reprenne les commandes de l’Eglise. Un des principaux problèmes dans l’Eglise aujourd’hui se situe en effet entre Rome et les conférences épiscopales qui ne veulent pas se laisser faire et qui ont pris goût à l’indépendance au point de ne plus obéir vraiment aux directives émises depuis le Vatican. On l’a vu ces dernières années avec la déclaration «Dominus Jesus» ou certains documents sur les laïcs et l’Eucharistie par exemple qui ont suscité au mieux l’indifférence de nombre d’évêques.

Joseph Ratzinger travaille sur le dossier traditionaliste depuis plus de vingt ans. C’est un pourfendeur du relativisme contemporain et il est plutôt bien vu de vos milieux qui ont salué son élection. Il y a trois ans, il a même correspondu avec vous pour une reprise du dialogue sur des questions théologiques.
Avez-vous l’impression que Benoît XVI est plus sensible à la tradition que son prédécesseur Jean Paul II en ce qui concerne les questions liturgiques et doctrinales que vous posez?
Sans aucun doute. La doctrine a plus d’importance pour Benoît XVI que pour Jean Paul II. Ce dernier accordait plus d’importance à la pastorale, au vécu, à la communion prise au sens de l’être avec. J’ai l’impression que pour Benoît XVI, la foi a un rôle plus important et je pense qu’on le verra dans la nouvelle structure de la curie ainsi que dans sa façon de gouverner l’Eglise. Il va mettre à nouveau la foi à la première place, au-dessus de la politique et de la secrétairerie d’Etat. Paradoxalement, cela rend nos rapports à la fois plus faciles et plus difficiles. D’un point de vue liturgique, Benoît XVI a une inclination marquée contre la nouvelle liturgie. Je pense qu’il va conduire une réforme liturgique, une nouvelle «nouvelle messe» à base de l’ancienne selon une formule dont il a usé il y a deux ans. L’on peut s’attendre en tout cas à une réforme de la réforme…
Evaluez-vous la rencontre du 29 août comme une porte entrouverte par Benoît XVI aux traditionalistes de la Fraternité saint Pie X et comme un signe d’espérance pour l’unité?
Ce n’est ni le premier ni le dernier pas, mais il va dans la bonne direction. D’un côté comme de l’autre, il va falloir cependant du temps même si Rome m’apparaît relativement pressée.