25 août 2005

[Abbé Aulagnier, Nouvelles de Chrétienté] Benoît XVI : un « pape de Transition »

Abbé Aulagnier - Nouvelles de Chrétienté - 25 août 2005

Dans « Catholica », n° 88, M l’abbé Claude Barthe nous livre quelques réflexions sur l’élection de Benoît XVI. Il a intitulé son article « Benoît XVI et la Transition ». Il voit en cette élection une « espérance » pour l’Eglise. Lui-même utilise ce terme. Il pense que cette élection du cardinal Ratzinger « inaugure pour l’Eglise, nolens volens, une phase de transition, c'est-à-dire un processus de sortie de l’état atypique dans lequel l’avait placé ce concile. » (p.51). Il écrit même que cette élection de ce « pape de transition » est « apte à enclencher une sortie progressive de l’univers conciliaire ». (p.51) On va vers le mieux. Voilà l’objet de son article. Et le sens de son titre : « Benoît XVI et la Transition ». Il reste toutefois très prudent sur la manière dont se fera, de fait, cette « sortie », cette « transition ». Il ne se veut pas prophète. « Personne ne peut dire comment, au cours de ce pontificat, se fera cette sortie, ni avec quelle rapidité ».
Ce processus du retour à l’ordre pourrait se faire, dit-il, en « dents de scie » : « On peut par exemple penser qu’ (il) se produira en « dents de scie », avec des décisions et événements encore très conciliaires, scandés de retours décidés à la grande tradition de l’Eglise ». (p51)

Elle pourrait même échouer : « on pourrait même imaginer qu’au terme d’un certain nombre de péripéties, les espérances que portait l’ouverture de ce pontificat avortent ».

Il a du mal cependant à envisager cette hypothèse « dramatique », eu égard non seulement « aux promesses divines faites à l’Eglise », « mais très immédiatement à cause de la pression toujours plus forte qu’exerce une situation de faillite pastorales sans précédent » (p.52). Il faut s’en sortir !

C’est, du reste, pense-t-il, la cause de l’élection de Benoît XVI par le collège cardinalice : « Cette défiguration de la religion chrétienne dans les anciens pays de chrétienté occidentale…ne représente pas seulement le contexte de l’élection de Benoît XVI, il en est la cause : ses pairs se sont raccrochés à lui comme une bouée dans le naufrage ». (p.52)

Et cela non pas seulement en raison de la personnalité attachante du cardinal Ratzinger, mais surtout en raison d’un « consensus » que l’abbé Barthe appelle « restaurationiste » qui semble, de plus en plus s’imposer sinon encore dans les faits, du moins dans les intelligences et qui fut la claire position du cardinal Ratzinger à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.

Il cite alors un ensemble de décisions magistérielles qui, depuis quelque temps vont dans le bon sens, dans le sens du retour au dogme. Il écrit : « Sans adopter une vision tolstoïcienne de la « fatalité » des événements historiques, on peut tout de même accorder -surtout en ce qui concerne l’Eglise qui bénéficie des paroles de la vie éternelle – qu’une infinité de facteurs imprévisibles mais convergents s’ajoutant à une masse de décisions humaines libres mais concordantes établissent à un moment donné de l’histoire une espèce de courant qui s’impose ». (p. 53). Ce fut le cas, dit-il, pour cette élection. Il cite pour justifier ce jugement très important et réaliste un certain nombre de décisions du Magistère actuel : Humanae vitae en 1968, Donum vitae en 1987, le Catéchisme universel en 1992, la lettre apostolique Ordinatioi sacerdotalis de 1994….Il cite encore d’autres « documents restaurationistes » (p.55) comme l’instruction de 1997 « sur quelques questions concernant la collaboration des fidèles laïcs au ministère des prêtres », l’instruction Redentionis sacramentum de 2004 sur l’extirpation des abus liturgiques…Ce sont des textes que j’ai moi-même analysés et que vous trouverez sur le site ITEM.

Ainsi « ce long chemin de retour au dogme - qui est encore loin d’être arrivé à son terme - contre le mouvement inverse de mise entre parenthèse de la fonction magistérielle imprimé par le concile « pastoral », (p.53) explique très certainement le choix des cardinaux. Car ce courent, redisons-le, ne doit pas peu au long travail, 25 ans durant, du cardinal Ratzinger à la tête de la « Congrégation pour la Doctrine de la foi ». C’est ainsi, dit-il que « l’avènement de Benoît XVI participe du mouvement général des choses présentes ». (p. 54)

Après ces généralités - qui pourraient bien donner le vrai sens de ce nouveau pontificat – M. l’abbé Barthe centre son regard sur le problème liturgique. Nous allons certainement vers la « restauration » du sacré dans la célébration liturgique, dans nos églises. Et cette restauration de la vie liturgique aidera fortement à intensifier ce que M l’abbé Barthe appelle « la vague Benoît XVI » (p. 58) – Il écrit : « l’enjeu liturgique est crucial dans le mouvement en train de se produire » (p. 56). Il essaye d’en analyser le « processus ». Son jugement est intéressant.

Il est bon de le relever in extenso :
« La mutation liturgique commencée depuis longtemps dans un certain nombre de paroisses (de ville généralement) et de communautés, est à considérer attentivement. Il lie ensemble deux éléments : d’une part, une critique implicite, sous forme de « bonne interprétation », de la reforme de Paul VI, au moins telle qu’elle s’est développée sur le terrain ; et d’autre part, un désir plus ou moins marqué selon les cas d’un œcuménisme en direction du monde traditionnel, considéré comme un conservatoire de la liturgie d’ « avant », de nombreux occasions de mélanges des publics favorisant la réintroduction d’éléments traditionnels dans la liturgie nouvelle. Or on sait que l’osmose entre Benoît XVI et ses fidèles soutiens - et même avec les plus traditionalisants d’entre eux – est ici totale. Il est précisément lui-même habité en ce domaine par deux certitudes. D’abord, compte tenu de la manière « révolutionnaire » dont a procédé, selon lui, la réforme de Paul VI, il a toujours considéré que la liturgie antérieure ne pouvait être tenue pour abrogée : il estime donc qu’elle peut légitimement prétendre à une place reconnue. D’autant que la célébration publique du rite tridentin en de nombreux lieux ne peut qu’aider puissamment à mettre en œuvre sa seconde conviction : la reforme de Paul VI, après trente cinq ans d’usage, n’ayant pas donné les fruits que l’on en espérait, il faut, en douceur et avec patience, procéder à une « réforme de la réforme », qui la ramènera dans la ligne des réformes accomplies par Pie XII à l’époque du Mouvement liturgique.

L’enjeu liturgique est donc crucial dans le mouvement entrain de se produire. Tout pousse les deux pôles tridentin et restaurationniste, certes très inégaux quant à leur importance numérique, non pas à fusionner mais à établir un front commun, tant du point de vue de la mission pastorale dans les diocèses en voie de désertification, que du point de vue de la liturgie. Assurément, si en certains lieux, paroisses, communautés, la « réforme de la réforme » allait assez loin pour offrir aux catholiques attachés au rite tridentin la possibilité de participer à des cérémonies faisant une place conséquente aux formes traditionnelles, le mouvement de transition serait considérablement accéléré. Une partie de cet infléchissement de la réforme liturgique (qui n’aura pas lieu partout, mais se manifestera de manière significative) est pratiquement acquis : autel face à Dieu, canon romain, chant du kyriale…Cela est non seulement au programme, mais dans la pratique de Benoît XVI. C’est pourtant insuffisant : c’est le pas supplémentaire qui importe. Les restaurateurs les plus conséquents savent d’ailleurs que la critique la plus fondamentale qui est faite à la messe de Paul VI vise le gommage, via l’affadissement du rite et des prières, de la définition de la messe comme sacrifice propitiatoire. Benoît XVI sait notamment - mais à la différence d’autres partisans de la « reforme de la réforme », il s’est jusqu’à présent abstenu d’en parler – que le déficit le plus flagrant, de ce point de vue, du rite bugninien a pour cause la suppression des prières sacrificielles de l’offertoire, véritable énormité au regard de la tradition liturgique tant latine qu’orientale ».
Voilà des considérations qui ne seront pas partagées par tout le monde…Mais pour ceux qui seront sensibles à l’argumentation, c’est-à-dire pour ceux qui font partie de ces deux « pôles tridentin et restaurationniste» qu’ils veuillent bien noter que M l’abbé Barthe ne parle pas de fusion, de « fusionner » mais d’établir une « front commun »…Il y a là plus qu’une nuance…Une collaboration s’annonce…entraînant une victoire…au bénéfice de l’Eglise et pour le bien des fidèles.