25 octobre 2004

[Aletheia n°64] Une lettre inédite d’Etienne Gilson sur Teilhard de Chardin et sur la crise de l’Eglise - et autres textes

Aletheia n°64 - 25 octobre 2004

Une lettre inédite d’Etienne Gilson sur Teilhard de Chardin et sur la crise de l’Eglise

En 1967, Etienne Gilson publiait, aux éditions Vrin, Les Tribulations de Sophie, un ouvrage de 167 pages qui rassemblait diverses études consacrées, entre autres, à l’ “ Actualité de saint Thomas d’Aquin ”, au “ cas Teilhard de Chardin ” et aussi des “ Divagations au milieu des ruines ”, les ruines dont il est question étant “ les ruines que l’après-concile accumule autour de nous ” (p. 162).

Cette même année 1967, Etienne Gilson acceptait que la revue Itinéraires de Jean Madiran publie une nouvelle édition de Christianisme et philosophie, ouvrage paru pour la première fois en 1936[1].Pour cette réédition dans cinq numéros de la revue de Jean Madiran, Etienne Gilson avait rédigé un nouvel “ Avant-propos ” où il expliquait pourquoi lui, chrétien réputé de gauche, il acceptait de paraître dans une revue apparemment éloignée de ses vues temporelles. Etienne Gilson voulait qu’on interprète la publication d’un de ses ouvrages dans la revue de Jean Madiran comme “ une volonté d’union sur l’unique nécessaire en un temps où plusieurs de ceux qui en ont la garde semblent le perdre de vue et paraissent même vouloir nous en détourner. ” Il écrivait aussi : “ On ne peut rien faire d’utile pour l’Eglise à moins de s’établir d’abord dans un climat de foi commune, de grâce et d’amitié. ”

Etienne Gilson a eu un sens aigu de la crise de l’Eglise. Dans la préface aux Tribulations de Sophie, datée du 30 avril 1967, il estimait : “ Le désordre envahit aujourd’hui la chrétienté ; il ne cessera que lorsque la dogmatique aura retrouvé son primat naturel sur la pratique. ”

Deux ans après la parution des Tribulations de Sophie, un prêtre, religieux marianiste, le P. Boulet écrivait à Etienne Gilson pour s’étonner de sa “ modération ” et de son “ indulgence ” à l’égard de Teilhard de Chardin[2]. Le philosophe lui répondit par une lettre, intéressante, que nous publions pour la première fois, avec l’autorisation bienveillante de son destinataire[3].

Etienne Gilson exprime, sans fard, son sentiment sur l’œuvre de Teilhard de Chardin et sur la crise que traverse l’Eglise.

89 – Vermenton
12 mai 1969

Monsieur l’abbé

Votre lettre m’a beaucoup amusé, car je reçois d’ordinaire des protestations indignées contre les mauvais traitements que j’ai fait subir au pauvre P. Teilhard, alors que vous me reprochez le contraire.

Mon excuse pour tant de modération est que je sens pour son œuvre une détestation si profonde, une révulsion si exaspérée que je dois me pencher en sens contraire pour ne pas laisser la violence prendre le dessus.

Une autre raison est que ces détestations totales sont généralement le signe d’une présence réelle, de quelque chose qui est là et demande qu’on lui fasse droit. J’ai remarqué cela dans les arts : Stravinsky et Picasso n’auraient pas provoqué, jadis et naguère, des réactions si violentes si l’un et l’autre n’avaient été quelqu’un. Mon horreur morbide pour Hegel me fait craindre de manquer un bien que je n’ai pas la perspicacité de découvrir. Et justement, Teilhard… que j’abomine, me revenait hier à la mémoire en relisant Darwin, The Descent of Man. Il m’est soudain venu à l’esprit : au moins, Teilhard aurait écrit “The Ascent of Man “. Que l’évolution, si elle est plus que simple changement, soit une montée plutôt qu’une descente, que le singe soit monté vers l’homme plutôt que l’homme ne soit descendu du singe, lui du moins l’aura vu. Il faut lui en savoir gré.

Et puis, j’ai eu des violences, je les ai toutes regrettées tôt ou tard.

Ou simplement, je deviens vieux. Plus exactement, je le suis devenu ; il est très vrai, comme vous le dites, que les esprits qui trouvent dans Teilhard de quoi justifier leur sentiment d’être chrétiens se font illusion. Mais j’en connais personnellement au moins deux. Ce sont des “ scientifiques ” ; hors de leurs spécialités, ils raisonnent comme des enfants, mais j’en suis venu à me demander si ces enfants-là aussi ne sont pas de ceux que Jésus veut qu’on laisse venir à lui ? Je ne sais pas. Aussi suis-je d’autant moins exigeant pour les autres que je le suis plus pour moi-même. On ne peut attendre que l’Eglise ne se compose que de saints Thomas d’Aquin… La contestation actuelle qu’évoque la fin de votre lettre ne me semble pas due à Teilhard, même en partie, car lui fait partie des symptômes de ce cancer généralisé. Des fous demandent aujourd’hui la réhabilitation de Luther, et je ne serais pas autrement surpris qu’on introduisît la cause de sa béatification en Cour de Rome. Alors le pauvre Teilhard, avec son optimisme larmoyant, fera figure d’un petit François d’Assise en comparaison avec l’apôtre du Pecca fortiter. Je crains que nous ne voyions pire à brève échéance.

Mais je vous remercie de votre aimable lettre ; nous ne sommes pas seuls à souffrir de ce qui se passe et je reconnais que des réactions plus violentes que les miennes sont sans doute bienfaisantes, nécessaires même. Il y en a d’ailleurs. Il y en a même de parfaitement objectives et équilibrées, je plaide donc coupable. Teilhard a désormais d’éminents avocats dans la Commission romaine e théologiens : nous n’en sommes pas, nous autres laïcs, à exiger la rigueur théologique, en un temps où notre hiérarchie s’amuse à fronder le pauvre pape Paul VI, qu’ils ont littéralement crucifié.

Et prions Dieu que tous nous veuille absoudre ![4]

Avec mes remerciements, veuillez agréer l’assurance de mes sentiments respectueusement dévoués.

Etienne Gilson

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La controverse sur l’anaphore de Addaï et Mari

L’anaphore de Addai et Mari, en usage chez les Nestoriens, est une anaphore qui a la particularité de ne pas comporter de récit de l’Institution. Une “ Note ” du Conseil pontifical pour la promotion de l’Unité des Chrétiens, publiée le 20 juillet 2001, a autorisé comme “ valide ” l’utilisation d’une telle anaphore dans la liturgie catholique. Cette décision a suscité une controverse publique, en même temps qu’elle rencontrait de vives critiques dans certains milieux romains.

Divinitas, revue internationale de recherche et de critique théologique publiée au Vatican sous la direction de Mgr Gherardini, publie un numéro spécial de 296 pages entièrement consacré à ce sujet[5]. Le fait même est significatif du non-monolithisme qui règne désormais au Vatican.

La perspective des études publiées est scientifique et doctrinale mais les douze articles historiques, théologiques ou liturgiques laissent s’exprimer des avis très divergents sur la question.

Après une traduction intégrale en italien de l’anaphore et la publication de la note du Conseil pour l’Unité des Chrétiens, on trouve les articles suivants :

A. Gurati, A proposito degli “Orientamenti“.

Yves Chiron, La réception de l’Anaphore de Addaï et Mari en France.

Enrico Maza, Che cos’è l’anafora eucaristica ?

Bonifacio Honings, Addai e Mari : l’anaphora della Chiesa d’Oriente.

Robert F. Taft, Messa senza consacrazione ? Lo storico accordo sull’Eucaristia tra la Chiesa cattolica e la Chiesa assira d’Oriente promulgato il 26 ottobre 2001.

Cesare Giraudo, L’anaphora degli apostoli Addai e Mari : la “ gemma orientale ” della Lex orandi.

Enrico Mazza, Le récent accord entre l’Eglise Chaldéenne et l’Eglise Assyrienne d’Orient sur l’Eucharistie.

Brunero Gherardini, Le parole della Consecrazione eucaristica.

David Berger, “Forma huis sacramenti sunt verba Salvatoris ” – DieForm des Sakramentes der

Eucharistie.

Thomas Marschler, Neues und Altes zur Eucharistischen Sakramentenform.

U.M. Lang, Eucharist without Institution Narrative ? The Anaphora of Addai and Mari revisited.

Renzo Lavatori, Il contesto mariologico nella liturgia della Chiesa siro-orientale.

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Vient de paraître

. Michel de Penfentenyo, Turquie : Un national-islamisme au cœur de l’Europe ?, Éditions de L’Homme Nouveau (10 rue de Rosenwald, 75015 Paris), 2004, 32 pages, 6 euros franco.

Michel de Penfentenyo, qui a été secrétaire général de la Cité catholique, puis vice-président et directeur de l’Office, publie une brochure pour accomplir, dit-il, un “ double devoir : devoir de mémoire et devoir de lucidité ”. À l’heure où l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne est l’objet d’un large débat public dans différents pays —rappelons, pour mémoire, la position prudente et inquiète de l’épiscopat allemand et celle, négative, du cardinal Ratzinger — , Michel de Penfentenyo apporte, principalement par une évocation très détaillée du génocide arménien de 1915, des réponses aux questions suivantes : “ D’où vient la nation turque ? Quels ont été ses comportements habituels, ses traditions, son atavisme, ses caractères propres en tant que nation ? Quelle est la nature de l’islam turc ? ”.

. Paul Sernine répond à ses lecteurs, Editions du Zébu (J.B. Chaumeil, 16 rue Brézin, 75014 Paris), 2004, 32 pages, 6 euros franco.

Le livre de Paul Sernine (abbé Grégoire Celier), La Paille et le sycomore, publié il y a un an, a suscité une vive controverse. Il établissait une critique des thèses d’Etienne Couvert sur la “ gnose ”, thèse diffusée depuis vingt ans maintenant par différents livres : De la gnose à l’œcuménisme (1983), La gnose contre la foi (1989), La gnose universelle (1993), La vérité sur

les manuscrits de la mer Morte (1995), La gnose en question (2002)[6].

Les ouvrages d’Etienne Couvert — et ses thèses nouvelles, sur les origines du bouddhisme, par exemple – n’ont pas retenu l’attention des revues scientifiques ; pareillement, la controverse lancée par Paul Sernine s’est principalement limitée au milieu traditionaliste.

Dans la brochure publiée aujourd’hui, qui se présente comme un entretien avec Philippe Vilgier, Paul Sernine répond aux arguments qui lui ont été opposés par les partisans des thèses d’Etienne Couvert.

Les réponses de Paul Sernine sont d’ordre formel et factuel. Une autre réponse à Etienne Couvert et à ses partisans est parue : signée Anselme Farigoule (Un dossier sur la gnose, 40 pages), elle aborde diverses questions de fond et de méthode. Mais cette étude, pour l’instant, n’est pas diffusée dans le public.

. Bulletin Charles Maurras (16 rue du Berry, 36250 Niherne), n° 24, octobre-décembre 2004, 40 pages, 8 euros.

Ce numéro contient un dossier consacré à “ Pie XI, Maurras et l’Action Française ” dont voici le sommaire :

- Charles Maurras, Le grand deuil de l’Eglise (reproduction de l’article paru dans L’Action française le 11 février 1939).

- Yves Chiron, Pie XI et Maurras.

- Abbé Guillaume de Tanoüarn, La grandeur de Pie XI.

- Théophane Breton, Le “Pie XI“ de Yves Chiron.

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NOTES

[1] Margaret McGrath dans Etienne Gilson.A Bibliography/Une Bibliographie, Toronto, Pontifical Institute of Medieval Studies/Institut Pontifical d’Etudes Médiévales, 1982, p. 14, mentionne la réédition du livre en 1946 et les traductions japonaise et polonaise, mais elle ignore cette réédition de 1967 qui comportait un nouvel avant-propos et des “ retouches de détail ”.

[2] Page 97, à propos de Teilhard de Chardin, Gilson avait écrit : “ je ne vois aucun péril en la demeure… ”. Mais il avait commencé par dire : “ La pensée du P. Teilhard de Chardin ne me semble avoir jamais atteint le degré de consistance minimum requis pour qu’on puisse parler à ce propos d’une “doctrine“, c’est pourquoi je parlerai seulement du “cas“ Teilhard de Chardin. ” Il avait écrit aussi : “ …marécage doctrinal où l’on est certain de s’enliser si l’on s’y hasarde, la théologie teilhardienne est une gnose chrétienne de plus, et comme toutes les gnoses, de Marcion à nos jours, c’est une Theology-fiction. ”

[3] Le Père André Boulet est l’auteur de plusieurs études consacrées aux rapports de la science et de la foi. En 1995, il a publié Création et Rédemption, aux éditions C.L.D. ; en 2003, La Genèse au risque de la science, un ouvrage de 76 pages disponible chez l’auteur (Résidence Chaminade, 44 rue de la Santé, 75014 Paris), 5 euros franco de port.

[4] Souligné dans le texte.

[5] Divinitas, anno XLVII, Numero speciale 2004, Palazzo dei Canonici, 00120 Vaticano.

[6] Tous ces ouvrages ont été publiés, à compte d’auteur, par les Editions de Chiré, B.P. 1, 86190 Chiré-en-Montreuil.

17 octobre 2004

[Mgr Richard Williamson, FSSPX] Homélie, messe dominicale de 10h30 à Saint Nicolas du Chardonnet

Mgr Richard Williamson, FSSPX - 17 octobre 2004

« Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, ainsi soit-t-il.

Chers confrères, chères sœurs, chers fidèles. C’est monsieur l’abbé Beauvais, votre curé, qui m’a invité à vous offrir une messe pontificale lorsqu’il a su que je serais là pour le symposium et comme la journée d’aujourd’hui est … c’est peut être providentiel parce que Saint Nicolas, et la Fraternité en général, fait face à une crise qui est depuis quelques semaines dans le domaine public ; donc je risque de ne pas scandaliser les gens si j’en parle en public et je pense que la crise est assez grave pour nécessiter une parole d’évêque.

Je peux toujours me tromper sur la façon de dire, mais venant de l’extérieur, et durant plusieurs jours où il fallait préparer le symposium, participer au symposium et ensuite attendre samedi et dimanche, pour Marseille et Paris, j’ai eu le temps et la possibilité de me familiariser avec certains aspects de cette crise qui menace la Fraternité, et c’est pour cela que je prends sur moi d’en parler. Si ce n’était qu’une petite chose, je n’en parlerais pas. Mais c’est quelque chose qui, à mon avis, ne se règlera pas par la voix d’autorité. L’autorité et l’obéissance sont corrélatives, mais les deux servent la vérité. Et si l’autorité et l’obéissance sont séparées ou sont détournées de la vérité, on a un problème qui ne se règlera pas rien qu’avec l’obéissance et l’autorité.

L’autorité catholique est là pour la Vérité catholique. Le proverbe espagnol dit quelque chose de ce genre : « L’obéissance ne sert pas l’obéissance. L’obéissance sert la Foi »  et l’obéissance catholique est relative à la foi et à la Vérité catholique. Et si   comme a fait le Concile, alors  N’est-ce pas parce que le Concile, les conciliaires ont piétiné les questions de vérité au nom de l’obéissance ?… Et c’est pour cela que tant d’âmes catholiques sont encore égarées sur une voie qui mène pas du tout au Ciel, parce qu’ils pensent toujours obéir. On leur inculque une notion d’obéissance qui a fait que, on n’avait qu’à s’écraser. Les catholiques n’avaient qu’à s’écraser. On dit en anglais, en américain : «  Pray, pay and obey. »  Ils n’avaient qu’à payer, prier et obéir. Et c’est pour cela que nous en sommes dans cette épouvantable crise de l’Eglise universelle.
Et maintenant la même chose devrait se répéter à l’intérieur de la Fraternité ? Et bien non ! La Fraternité a été créée par Mgr Lefebvre qui a su discerner entre la vraie obéissance et la fausse obéissance. Et l’obéissance qui n’obéit plus à Dieu et qui n’obéit plus à la Foi est une fausse obéissance. Et il nous a dégagés de cela, et nous l’avons suivi et nous avons eu raison. Mais le diable est toujours à l’œuvre. Il faut admirer comment le diable a agi cette fois ci. Il faut vraiment l’admirer. La tentation a été subtile ; la tentation n’a pas été sous espèce de bien (sub specie boni) la tentation a été sous apparence du mieux (sub specie optimi).

Revenons en arrière. A la fondation de la Fraternité Saint Pie X. Donc, Mgr Lefebvre, poussé par la Providence, et coopérant en fonction de sa grande sagesse, sa sainteté sans doute, il coopère avec la Providence pour fonder la Fraternité Saint Pie X, qui, dans ses débuts, est complètement à l’intérieur de l’Eglise. Il ne fait pas un séminaire sauvage comme ses ennemis l’en accusent. Il a fondé un séminaire tout à fait selon les lois de l’Eglise, parce qu’il a obtenu l’approbation de l’évêque de Genève et Fribourg en mai 1970 et pour Monseigneur, c’était très important. Pour Monseigneur, c’est évident que ce n’était pas un acte de désobéissance. Il voulait obéir aux lois de l’Eglise ; mais lorsque ces lois détruisaient, subvertissaient la Foi, alors là il a dû dire « non ». Il a dit la suprême loi c’est le salut des âmes, et cela c’est toujours vrai. Et alors il a fondé cette Fraternité mais la Fraternité a été faible depuis le début avec une faiblesse intrinsèque, qui est toujours là et dont nous sommes incapables de nous débarrasser. Cette faiblesse n’est pas notre faute et nous n’y pouvons rien ; et elle est dans la fabrique, dans la nature même de la Fraternité parce que la Fraternité a été fondée, c’est-à-dire après deux, trois, quatre ans la Fraternité n’a plus eu le Pape derrière et au-dessus : derrière pour appuyer tout ce qui est catholique, pour soutenir, appuyer, et au-dessus pour fournir le sommet d’une hiérarchie qui, dans le temps, avant le Concile, protégeait tous les catholiques ; lorsque, au niveau de l’Eglise, lorsque les autorités agissaient, le Droit Canon assurait toutes sortes d’instances et de possibilités d’appel et, tout un mécanisme pour assurer que cette force et autorité … parce que l’autorité catholique est forte, elle impose aux gens dans la mesure où elle le peut, d’aller au Ciel. Donc, l’autorité catholique est forte ; elle vient de Dieu ; c’est une autorité de Vérité : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie.» Et cela étant, puisque Notre Seigneur a choisi de confier cette autorité si forte à des hommes, et non pas à des anges, il est évident que les pauvres hommes que nous sommes, tous, que nous sommes tous mes chers amis, nous autres pauvres hommes, nous pourrions défaillir, et alors, pour assurer que la force de l’obéissance catholique n’écraserait pas, à aucun niveau, il y avait tout un système d’appels, de possibilités d’appel, qui assurait la justice à côté de la vérité. Et c’est la Justice et la Vérité catholique qui assurait l’autorité catholique. Donc, par exemple, Mgr Lefebvre dans l’effondrement conciliaire, comment s’est-il fait l’autorité qu’il s’est faite ? Est-ce seulement en disant : « Moi, je suis évêque, vous devez obéir ! » ? Non, Non, Non, Non. Rarement je l’ai entendu . il croyait en l’autorité… Il n’entendait pas que dans la Fraternité on crée la pagaille. Non, non. Il n’aimait pas la désobéissance, c’est sûr et certain. Mais lorsqu’il y avait un problème, disait-il « C’est moi l’évêque ! » ? Non. Il disait : « Actuellement voici mes raisons. » Il disait calmement et tranquillement : « Voici mes raisons. Si vous avez des raisons, je vous écoute. Si vous avez raison, nous irons comme vous, vous proposez. Si vous reconnaissez que c’est moi qui ai raison, allons comme moi je propose. »

Et si comme aux Etats Unis, en 1983, si les prêtres faisaient une révolution, c’était effectivement cela, sub specie boni sans aucun doute, nous ne mettons pas en doute les intentions ; mais les prêtres étaient là, et en 1983 j’étais là, et j’ai témoigné : Sa façon de faire, c’était de discuter, de raisonner, raisonner avec ces prêtres effectivement révolutionnaires. Et, lorsqu’il s’est avéré que les discussions étaient inutiles, il disait finalement : « Chers messieurs les abbés, la discussion est inutile. » - « Ah ! non, nous discutons » - « Non, Non c’est inutile. Vous avez vos idées et nous avons les nôtres. Et nous n’allons pas changer. Il faut nous séparer. »

« Jusqu’ici » - remarquez l’humilité ! « Jusqu’ici le Bon Dieu semble avoir béni la Fraternité. » De 1970 à 1983, cela faisait 13 ans déjà l’histoire de la Fraternité. Il disait : « Jusqu’ici » C’est-à-dire dans le passé mais il ne disait pas dans l’avenir et combien c’est juste ; et combien quelqu’un de sensé va écouter quelqu’un qui parle comme cela. « Jusqu’ici » disait-il, « le Bon Dieu SEMBLE avoir béni la Fraternité », « semble » … mais il ne disait pas : « Le Bon Dieu est avec nous … il n’est pas avec vous autres ». Non, non, non, non et non. Ecoutez ceci, il ajoutait, - j’étais là je l’ai entendu de mes propres oreilles, il a ajouté : « Jusqu’ici le Bon Dieu semble avoir béni la Fraternité. Mais si vous savez mieux faire, que le Bon Dieu soit avec vous. »
 ça c’est un grand homme ! ça c’est un grand homme de Dieu! Il se rend bien compte qu’il y a, qu’il peut se tromper, que ce qu’il fait c’est pour l’amour de Dieu, il le croit pour des raisons tout à fait sérieuses, il continuera de faire ce qu’il fait, mais il se rend compte que ce n’est pas lui qui est « la Voie, la Vérité et la Vie ».

Monseigneur Lefebvre, à côté de cette spiritualité du XVII ème siècle qui lui est parvenue par l’Ecole Française <à la recherche du moi ?>, à coté de cela, il avait un BON SENS et une HUMANITE qui est absolument nécessaire pour tempérer cette spiritualité du XVII ème, et si le bon sens manque, cette spiritualité tourne à la tartufferie et au Jansénisme. Que nous fassions attention dans la Fraternité ; il faut non seulement la … contenir et spiritualité. Je déteste ce mot. Pourquoi est ce que je le déteste ? Parce que très souvent il y a trop de la recherche de soi mêlée à la recherche de Dieu. Nous sommes de pauvres bougres, il ne faut pas l’oublier. Il faut chercher Dieu, et foncer vers Dieu. Et sainte Thérèse d’Avila de dire : « Le Bon Dieu préfère les âmes généreuses aux âmes sans défauts ». Eh oui ! Parce que la générosité finira par avoir le dessus sur les défauts. Mais le « sans défaut » ne garantira pas la générosité. Saint Pierre était généreux, il était fougueux. Il faisait des gaffes. Il se trompait, et qu’est-ce qu’a fait Notre Seigneur avec son cœur ? Notre Seigneur a permis que St Pierre le renie trois fois. Au moment du grand besoin de Notre Seigneur, qu’est-ce que cela a fait ? St Pierre pensait que lui avait raison. Lui connaît tout, lui seul, moi je suis fort, moi je suis champion. J’y vais, et puis un moment plus tard il tombe, et le diable l’a eu. Par où ? Par le respect humain. C’était le point faible de Saint Pierre. Mais à partir de ce moment-là, St Pierre se rendait parfaitement compte qu’il n’était qu’un pauvre bougre mais un pauvre bougre pouvait faire un bon pape. Et un sans défaut qui s’admirait comme étant sans défaut ne pourrait pas faire un bon pape. Il ne comprendrait pas les hommes. Il n’aurait pas la compassion qu’il faut pour nous autres hommes, . Et, la leçon, St Pierre ne l’a jamais oubliée. On dit qu’il a pleuré jusqu’à la fin de sa vie. Mais ses larmes ont été une partie essentielle de sa papauté, de sa sainteté pour diriger l’Eglise, et pour protéger la naissance et premiers jours .

Alors cette spiritualité du XVII ème, comme moi je la dis , elle est bonne, elle sans doute, je vous dis « Sub specie boni », mais ce n’est pas « sub specie boni », c’est sub specie optimi. C’est en voulant être spirituel qu’on oublie d’être humain. Mgr Lefebvre a toujours été humain. Mais il est bien plus facile d’imiter l’extérieur pour se dire spirituel, que d’imiter cette fusion de la spiritualité avec l’humanité. Que je vous raconte aussi brièvement que possible la pièce de Shakespeare « Mesure pour mesure » :

C’est un jeune prince qui est tellement droit, tellement parfait, tellement correct, qu’il ne se connaît pas. Alors, le diable lui envoie, pour plaider une cause, une jeune sainte qui est belle. Elle veut entrer au couvent ; elle est très bonne. Isabelle, elle est tout à fait vertueuse. Alors devinez ce qui se passe. A la rencontre entre les deux, Isabelle plaide pour la vie de son frère, emprisonné par Angelo, le prince, et Angelo finit par lui faire une très mauvaise proposition. Parce que celui qui était si correct, si bien, si admirable, parce qu’il ne se connaissait pas, il était inhumain. Il a payé le prix. Là, Shakespeare, il n’était pas bête. Quel est le nom de ce jeune prince ? « Angelo » C’est à dire le petit faisait de l’angélisme, au nom sans doute de la rectitude, de tout ce qui est bon, de tout ce qui est correct. C’est le XVII ème siècle, c’est le Jansénisme, mes chers amis. En Angleterre, c’était le puritanisme. Sous apparence de bien, … et à force d’essais, à force de se croire sans se souvenir qu’on est aussi bête, on tombe dans les bêtises et les abêtissements les plus terribles, et on bascule de l’un à l’autre, et le diable le sait pertinemment bien : le Jansénisme a basculé dans le libéralisme et la révolution française. Et le puritanisme en Angleterre a basculé dans le libéralisme, répandu maintenant dans toute l’Europe.
Alors faisons attention et soyons humbles. Et n’oublions pas que nous sommes des êtres humains, et le Bon Dieu, Notre Seigneur - c’est mystérieux - Il a voulu faire pour les ministres de son Eglise, pour sauver les âmes - Il a choisi les hommes et non pas les anges. Il aurait pu faire, Il aurait pu choisir pour ses prêtres des anges, Il ne l’a pas fait. Il a choisi nous autres pauvres hommes, et dès le début voilà avec Saint Pierre : « Rappelle-toi St Pierre, que tu n’es qu’un homme. Tu es toujours un homme et tu auras toujours besoin de moi, et tu auras toujours besoin de la compassion pour les autres êtres humains comme toi. » « Pardonnez-nous Seigneur, comme nous pardonnons ceux qui nous ont offensés » Et il faut le pardon. Et ça, c’est la sagesse de cette pièce de Shakespeare. C’est une leçon très catholique. C’est un drame profane, je veux bien, mais la leçon en est certainement catholique.

pour empêcher que les actions aillent en pire, et à la fin Angelo reconnaît qu’il a fauté, et fauté gravement. Et il reconnaît qu’il mérite de mourir. Mais le duc, son chef, l’épargne. Le duc l’épargne, le duc lui pardonne, parce-qu’il reconnaît qu’il est en faute.

Il est dans la nature de la Fraternité d’être comme un canot de sauvetage ; un canot de sauvetage est vulnérable ; il est là, le grand transatlantique a sombré, et on a mis sur les flots de l’océan un canot de sauvetage, et l’océan aujourd’hui est en furie. L’océan est déchaîné. Alors un petit canot de sauvetage, il n’est pas fait pour durer longtemps. Et les canots que l’on a mis sur les eaux, à partir du Titanic, encore une nuit, et probablement les passagers à bord de ces petits canots seraient morts de froid. Heureusement d’autres navires étaient là le lendemain matin et ont pu ramasser les canots et sauver ceux qui étaient dans les canots, mais ceux qui étaient dans la mer, même si ils avaient un veston de sauvetage – je ne connais pas le mot en français – s’ils avaient un veston de sauvetage, ils mouraient de froid dans la mer glacée. Et si, mes chers amis, vous et moi, nous faisions chavirer la Fraternité Saint Pie X par nos agissements, par nos guerres, nos querelles justes et toujours sous apparence de bien … alors si nous nous battons au nom d’une bonne cause, si nous nous battons, supposons contre le Jansénisme ou contre la tendance jansénisante, car c’est plus subtil, c’est plus subtil encore avec chaque décennie aujourd’hui, depuis des centaines d’années, les tentations deviennent de plus en plus subtiles. Et Dieu sait si les tentations du Concile ont été subtiles pour tromper une foule de catholiques, une foule, la grande masse des catholiques, trompés sous apparence de bien, sous apparence de raison. Alors, cette fois-ci, des passagers à bord du canot peuvent très bien dire : « la Justice, moi on me refuse mes droits, moi il ne peut  être question seulement d’obéissance » - il a raison, il a raison, il a raison - pour cela ils vont se battre et faire chavirer le canot, en sorte que tous meurent dans les eaux glacées ! Méfions-nous, mes chers frères, méfions-nous !  Méfions-nous de nous-mêmes ! Méfions-nous de nous-mêmes ! Nous sommes tous de pauvres êtres humains et toujours nous pouvons tous nous tromper. Seul Notre Seigneur est infaillible, parce qu’Il est Dieu. Et Il reste dans le destin des êtres humains d’être faillibles, que voulez-vous ! Et c’est pour cela que l’Eglise catholique, dans le temps, avec une telle sagesse maternelle … la Sagesse maternelle est inscrite sur tout le Code du Droit Canon. Moi, je ne suis pas du tout canoniste, mais par contre, revenons au canot de sauvetage. Peut-il y avoir une instance d’appel à bord du canot ? C’est très difficile. Ce n’est pas facile, parce que l’instance à bord du canot, et à bord du canot on a besoin d’un capitaine, d’une autorité. Alors, qu’est-ce qui en ressort, comme conclusion ?

Eh! bien, de la part des passagers, il faut savoir se maîtriser, et ne pas partir en guerre même si le capitaine se trompe, parce que, si on est trop convaincu de son droit et si on est trop fougueux, et si on est trop plein de défauts, il est très , on risque non seulement sa propre vie, la vie de tous les passagers dans le canot ; il est difficile, à bord du canot, d’organiser une instance d’appel, parce que là, il y aurait toujours le risque, un certain risque, de deux têtes, d’un animal avec deux têtes, ce serait le risque. Il faudrait de la sagesse pour l’éviter. A tout bout de chemin, mes très chers amis, il faut la sagesse humaine et le bon sens. Ne l’oublions pas : le surnaturel sans le naturel fait du surnaturalisme tout comme le naturel sans le surnaturel fait du naturalisme.

On brandit beaucoup l’accusation de naturalisme, eh! bien que l’on commence un peu à brandir le nom de surnaturalisme. Est-ce que c’est pousser au relâchement ? Que Dieu nous en défende ! Mais voyons comment Notre Seigneur a voulu nous autres pauvres pour ses ministres. Alors pour les passagers, qu’ils ne se déchaînent pas ; qu’ils ne se déchaînent pas, qu’ils sachent se maîtriser. Nous sommes dans une crise extrêmement grave, extrêmement grave, <… ?> parce qu’il y a une question de vérité, il y a une question de fausse spiritualité, et cette question de fond ne se règlera pas avec l’obéissance et l’autorité. Et, tout capitaine va exercer l’autorité, c’est ce que faisait Mgr Lefebvre, je viens de vous le dire, Mgr Lefebvre s’est rarement appuyé seulement sur son autorité pour faire valoir ce qu’il voulait faire valoir. Il donnait des raisons, il raisonnait. Alors que le capitaine à bord essaie que la congrégation de la Fraternité n’est pas dans une situation normale. Dans une situation normale le capitaine peut frapper et faire ce qu’il veut, parce qu’il sait que s’il fait de l’arbitraire, il y aura toujours une instance au-dessus de lui. Dans la grande structure de l’Eglise, il faut sauver la victime de son arbitraire, de l’arbitraire du capitaine ; donc le capitaine peut, peut y aller, s’il le veut. Mais dans le canot de sauvetage, on ne peut pas y aller comme ça, c’est différent. Alors faire semblant que dans le canot de sauvetage, tout est comme dans une congrégation ordinaire, dans les temps ordinaires de l’Eglise, c’est se faire des illusions sur la réalité. Alors, que les autorités y aillent doucement, comme Saint Pierre. Je suis sûr que Saint Pierre avant ses larmes, avant sa chute, s’il n’était pas tombé, n’aurait pas compris. «  Angelo », il fallait bien qu’il tombe et tombe gravement, pour qu’il arrive à se remettre. On ne souhaite pas que ces jeunes de la Fraternité tombent pour qu’ils arrivent à la connaissance d’eux-mêmes et pour qu’ils arrivent à la compassion. On ne le souhaite pas, bien sûr, parce que cela serait pêché mortel, si vous voulez. Mais, s’il fallait cela … aïe ! , aïe ! , on ne veut pas le mal pour que le bien en sorte, Notre Seigneur ne voulait pas que tombe Saint Pierre, mais Notre Seigneur a bien voulu permettre que St Pierre tombe pour qu’un plus grand bien en sorte. Avant que les autorités y aillent, qu’en pense la tête ? Suivons le modèle de Mgr Lefebvre, et si on veut suivre l’exemple de Mgr Lefebvre, qu’on ne suive pas seulement sa spiritualité, . Qu’on sache reconnaître et suivre aussi son humanité et ceux d’entre nous qui l’avons connu <…> Dieu sait si nous savons qu’il était humain. Il était humain, très humain. Et son humanité et sa spiritualité étaient très bien fusionnées, très bien. Mais l’un est plus facile à imiter que l’autre, l’extérieur est plus facile à imiter que la fusion intérieure. Toujours sub specie optimi ; mais c’est pour cela, mes très chers amis, qu’on dit … vous connaissez le dicton latin peut-être «  Lupus est homini lupus, mulier est mulieri lupior, sacerdos est sacerdoti lupissimus ». «  L’homme est pour l’homme un loup, la femme est pour la femme encore plus louve, mais le plus loup de tous c’est le prêtre pour prêtre ». C’est une caricature, mais c’est vrai. Parce que de chaque côté les prêtres sont persuadés qu’il y va des intérêts du Ciel, de l’Eternité, du salut des âmes, et dans le fond, en effet, c’est pour cela que les disputes entre prêtres peuvent tellement s’envenimer. Chers amis, priez pour vos prêtres, priez pour vos prêtres et ne les attisez pas d’un côté ni de l’autre quand ils se mettent à se battre, quand ils ont envie de se battre. Mais <… ?>, mes chers amis, du bon sens, du bon sens. Que l’on n’oublie pas le BON SENS. Mgr Lefebvre avait du bon sens. Et c’est cela qui va tempérer le danger jansénisant de cette spiritualité. Et s’il manque le bon sens, on a un problème. Et quant aux autorités, qu’elles y aillent doucement, que nous autres les autorités que nous y allions doucement, et que les passagers y aillent de leur côté aussi doucement.

Donc à coté du mot ‘spiritualité’ que je déteste, je déteste aussi le mot ‘charité‘. Je déteste le mot à cause de tout ce qu’on met dessous aujourd’hui : de sentimentalité et d’humanitarisme et tout ce qui fait vomir un être sain. Toujours sous le mot « charité » ; mais aujourd’hui, chers amis, la vraie Charité, il la faut. Et qui peut posséder la Vérité s’il la brandit sans la Charité ? <…> Le Bon Dieu est patient. Mais à la longue, il peut punir en lui faisant perdre la vérité. Notre Seigneur Lui-même, c’est la Voie, le Vérité, la Vie ; mais il dépendait de la vraie Charité. <… ?> Vous et moi, mes chers amis, nous pouvons tomber, tomber, tomber, tomber, tomber, et voilà que Notre Seigneur nous pardonne, pardonne, pardonne, pardonne, jusqu’à 70 fois 7, et encore plus. Voilà l’Esprit de Notre Seigneur et c’était aussi l’esprit, l’esprit de Mgr Lefebvre. Une grande compassion. Et d’abord dans cette épouvantable crise de l’Eglise, mes chers amis, en premier, nous partageons tous la Vérité : Dieu à la place de Dieu, Dieu nous a donné la Foi ; vous et moi, par la grâce de Dieu, nous voyons clair. nous voyons des catholiques bien meilleurs que nous, apparemment, dans , qui ne voient pas clair. C’est une grâce, c’est une élection. Nous sommes sous cet angle-là, mes chers amis, des élus, que nous persévérions pour être des élus du Ciel. <… ?>
Alors, l’humilité. Alors Humilité et Charité !

La confusion va augmenter. Il n’est pas difficile de le prédire, de le prévoir et de le prédire. Rome ne revient pas, ne se repent toujours pas, ne donne aucun signe, ni de comprendre, ni de vouloir comprendre. Rome fonce toujours dans la même fausse direction. Alors, la confusion dans les âmes ne peut que . Lorsque le sel de la terre s’affadit volontairement, et lorsque la lumière du monde s’aveugle volontairement, bien sûr on est dans les ténèbres et dans la corruption. Alors, mes chers amis, quand on pense à la faiblesse de nous autres, êtres humains, ayons de la compassion pour ceux qui souffrent de cette confusion. Ayons de la compassion, de la Charité, de la vraie Charité, les uns pour les autres. Et surtout, comme dit St Paul, pour ceux qui appartiennent à la maison de la Foi. Et nous autres, nous sommes tous, par la grâce de Dieu, au moins pour le moment, des membres de la Maison de la Tradition. Si vous voulez, c’est la maison de la Vérité. Et si nous exerçons, pratiquons, prêchons cette Vérité de manière à assommer nos semblables, nous risquons de perdre la Vérité. Nous l’avons, sous un certain angle, déjà perdue. Beaucoup de Charité et, mes chers amis, plus la confusion va augmenter demain, plus la Charité va être nécessaire. Il faut un grand esprit de tolérance, la bonne tolérance, parce que nous ne sommes pas coupables de cette confusion, qui règne à la tête de l’Eglise. Ce n’est pas en quelque sorte notre faute de nous tous, parce que c’est un châtiment bien mérité pour nous tous, le châtiment de Dieu, cette confusion. Mais, ayons de la compassion donc pour les « Saint Pierre », pour, que sais-je, pour  … pour les musulmans, pour les juifs, pour les communistes, pour les athées. Notre Mère, la Sainte Vierge, est mère de tous ces pauvres.

Alors première conclusion : la Charité. La vraie, pas la sentimentale, ni la charité qui s’aveugle pour être gentille. Non, non. Il faut bien voir, voir clair. Mais, si on voit clair comme Notre Seigneur, à ce moment-là nous aurons aussi la Compassion de Notre Seigneur lui-même. Pour ceux, qui, ce n’est pas par leur propre faute, ne voient pas clair.

Ensuite, une crise semblable est une épreuve, tout comme la crise de l’Eglise universelle, l’Eglise du Concile, a été une épreuve pour tous les catholiques, une épreuve dont certains catholiques ont su tirer le bien. Croyez-moi, nous sommes <… ?>.S’il n’y avait pas toute cette crise, serions-nous, aurions-nous la ferveur, telle que nous l’avons, s’il n’y avait pas eu toute cette crise ? Si nous avions continué notre petit train-train des années 50 ? Il est possible de supposer que non.  Alors, le bon Dieu a permis maintenant peut-être une épreuve à supporter parce que tout catholique universel méritait l’épreuve du Concile. Peut-être la Fraternité a-t-elle aujourd’hui mérité cette épreuve-ci, et alors, sachons en tirer le bien, parce que

Troisièmement, Dieu sait ce qu’Il fait. Nous, nous ne savons pas ce qu’Il fait. Nous ne savons pas ce que nous faisons. Mais Lui, Il sait ce qu’Il fait. Et s’Il permet ces épreuves, c’est pour notre bien, et même pour notre spiritualité. Mais la vraie , à condition de reconnaître la main de Dieu dans les épreuves. Il sait ce qu’Il fait, et même quand Il permet l’augmentation de cette confusion, que la confusion croît toujours, eh bien, Il sait toujours ce qu’Il fait. Et un grand bien peut en sortir. Alors patience ! CHARITE, HUMILITE et PATIENCE. Et confiance en Dieu. Et puis, on sent que si Dieu, et c’est en soi complètement possible, la Fraternité étant si fragile, il est tout à fait possible que la Fraternité se casse la figure. Je le dis au Etats Unis depuis des décennies. Voilà longtemps que je dis, dans la nature des choses, il n’y a rien qui garantit la survie de la Fraternité, jusqu’à, jusqu’à l’intervention de Dieu. Parce que Dieu va intervenir dans la situation que nous vivons aujourd’hui. Alors ne nous disons pas : La Fraternité est infaillible, la Fraternité est forte, la Fraternité est un navire normal de l’Eglise. Ce n’est pas le cas. C’est un canot de sauvetage. Et enfin, ayons cette confiance aussi, que si la chère Fraternité venait aussi à sombrer - ce n’est pas impossible, étant donné que nous sommes tous des pauvres êtres humains - si elle venait à sombrer, n’ayez pas peur, petit troupeau. N’ayez pas peur. « C’est moi », dit Notre Seigneur, s’approchant de ses apôtres sur les eaux. « C’est moi » Et Notre Seigneur n’abandonnera jamais ses brebis, ce n’est pas possible. Au moment du Concile, on a pu penser que Notre Seigneur était en train d’abandonner ses brebis ; eh bien NON ! Voilà qui est maintenant dans le monde entier. Et si la chère Fraternité, par ses misères humaines, venait à sombrer comme l’Eglise conciliaire, eh bien le bon Dieu sauverait quand même les brebis qui ne voudraient pas, qui ne voudraient toujours pas abandonner Dieu. Saint Augustin : « Dieu n’abandonne jamais une âme qui n’a pas la première abandonné Dieu » le Concile de Trente. Donc Dieu est toujours là. Prions : la Charité, l’Humilité, la Patience et la Confiance en DIEU. Et priez, priez, priez, mes chers amis, pour vos prêtres. Je ne dis pas seulement pour vos prêtres de la Fraternité, non, non. Priez pour tous les prêtres dans le monde entier, que notre cœur s’élargisse, notre cœur, Notre Seigneur, pour embrasser dans notre prière tous les prêtres faisant <… ?> Et c’est à l’intérieur de la Fraternité, et à l’extérieur.

Et prions bien sûr la très Sainte Vierge Marie, prions la Bonne Mère pour cela. Elle est la mère des prêtres, prêtres … Elle a été confiée par Notre Seigneur à St Jean au pied de la Croix. Elle est le Siège de la Sagesse. Demandez-lui en priant le chapelet ce que Elle, Elle pense, ce que Elle, Elle souhaite. Dans quelle direction Elle nous dirigerait vers son Fils. Et je suis persuadé que si tous, nous avons vraiment son esprit, l’esprit maternel de sa sagesse maternelle, eh bien, les problèmes, les désaccords se résoudraient sans trop de difficultés.

Au Nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. »

15 octobre 2004

[Abbé Philippe Laguérie - Le Mascaret] "...blessé, dégoûté – mais plus résolu que jamais ..."

SOURCE - Abbé Philippe Laguérie - Le Mascaret - septembre/octobre 2004

J’avais d’abord pensé écrire ici une lettre ouverte à Mgr Fellay, sorte d’épilogue à ce terrible été qui, après 31 ans de soutane et 25 ans de sacerdoce par, dans et pour la Fraternité, m’a exclu comme un malfaiteur sans même oser le dire: «Vous serez considéré comme n’appartenant plus…», quel courage. Mais les cicatrices de ces deux mois d’enfer ecclésiastique sont là, ouvertes, béantes, pleines de sang et de sueur. Je risquerais des formules irrespectueuses. Il ne le faut absolument pas. Mgr Fellay a cru son Autorité personnelle attaquée ; il n’a vu que cela, il ne voit encore que cela. Quant à moi, je suis blessé, dégoûté – mais rassurez-vous plus résolu que jamais – et quelques semaines de calme donneront à la réponse que je dois absolument à Mgr plus de sérénité, de profondeur et de vérité. 
 
C’est donc à vous que je préfère m’adresser. Pour vous redonner courage, dans cette persécution que vous subissez : « Aussi bien, tous ceux qui voudront vivre pieusement dans le Christ Jésus auront à subir persécution » (saint Paul à Tim.). L’apôtre savait aussi que les souffrances viennent parfois des “faux frères”. Il ne voulait pas que ses propres difficultés affectent ses fidèles : « Ne vous laissez pas troubler par les souffrances que j’endure pour vous : elles sont votre gloire ». 
 
Fidèles de Bordeaux ou d’ailleurs, relevez donc la tête ! Vous avez été et vous êtes merveilleux à nos côtés. Vous avez démontré à la face du monde où était le respect pour le sacerdoce et le sacerdoce en herbe, les séminaristes. Vous avez démontré aussi avec nous que l’Autorité, toute divine qu’elle soit, ne peut jamais être sa propre fin et ne viser, dans son exercice, qu’à se préserver elle-même. Vous avez démontré que la Fraternité Saint Pie X ne peut ni ne doit devenir ce que nous l’avons vu cet été : une zone de non droit, d’arbitraire de crispation autoritaire, de violence même. 
 
Vous avez affiché votre intention de la défendre, coûte que coûte, contre elle-même, pour lui rappeler ses origines « essentiellement apostolique ( art. 2 des statuts )», par et pour le sacerdoce, dans la charité de son incomparable fondateur dont nous faisons nôtre la devise : « Credidimus Caritati ». Oui, nous croyons encore à la charité et au souffle de l’Esprit Saint pour que des frères d’armes et des soldats du Christ (Tim.), au lieu de se déchirer et de s’exclure, bâtissent et construisent ensemble. De la phrase de Jérémie (1, 9- 10), ils n’ont retenu que le début et oublié la fin : « Vois, je t’ai établi en ce jour sur les nations et les royaumes, pour arracher et pour abattre, pour bâtir et pour planter… ». Arracher et abattre, sûrement pas des frères. Mais plutôt bâtir et planter toujours avec ses frères. 
 
J’ai dit à Monsieur l’abbé de Cacqueray, le soir du dimanche 15 août : « Monsieur l’abbé, je ne vous connaissais pas tant d’énergie et de capacité. J’en ai été admiratif. Si depuis deux ans, vous les aviez utilisées à m’aider, me soutenir et m’encourager à Bordeaux, on n’en serait pas là ». Quand je lis dans les revues sous la plume des abbés Lorans, Célier (dont la tête est réclamée par Chiré en Montreuil, ce qui explique son zèle soudain à me pourfendre…) et de Cacqueray que tout a été entrepris pour sauver votre serviteur, j’éclate de rire. A part : « Enlevez vos recours, et partez au Mexique », je n’ai rien, absolument rien entendu d’autre. C’est quand même fort de café ! Le ridicule ne tue plus personne, pas même l’abbé Lorans, ce vieil ami que je croyais plus fier… 
 
Alors, chers fidèles, si vous me comprenez bien, ne regardez pas les difficultés locales présentes ; elles sont le prix à payer pour la grande victoire que nous avons d’ores et déjà remportée ensemble. Rien ne sera comme avant, les remises en question vont bon train. Je suis au fond très fier de vous. Saint-Eloi vit, prospère, et la Fraternité peut et doit suivre. Que mes ennemis sachent que je leur pardonne de tout coeur ; c’est pour eux que j’ai fait tout cela et non pour moi (qu’avais-je à y gagner ? ) ; et s’ils m’ont pris pour un adversaire à abattre, je les considère toujours comme des frères à conforter. 
 
Abbé Philippe Laguérie

13 octobre 2004

[E. Trapelli - Le Libre Journal de la France Courtoise] C’était il y a trente ans... "Une Eglise parallèle" disait Mgr Lefebvre

E. Trapelli - Le Libre Journal de la France Courtoise - n° 332 du 13 octobre 2004

Ecône, août 1974. S. Exc. Mgr Marcel Lefebvre répète volontiers à ses visiteurs : « Ce que nous faisons est une "Eglise parallèle" ». Plus ou moins interloqués, les visiteurs s’étonnent et s’effraient de ce qui ressemble à l’annonce d’un schisme. Et Monseigneur d’expliquer en soulignant le trait : « Nous gardons la Messe, la doctrine, la discipline et mon espoir que Rome nous reconnaisse comme la vraie. »

A cette époque oubliée par beaucoup, les médias suivent chacune des homélies du vieux missionnaire, croyant trouver un apaisement quand les circonstances le font prêcher sur la Sainte Vierge et une provocation quand il préside une première messe. Il en sourit sans être surpris par l’incompréhension fondamentale des mondains face à son ministère. Plus tard, Monseigneur sacrera des évêques et les mauvais augures voudront voir là consommation d’un schisme annoncé, I’Eglise parallèle.

Cette accusation intéressée n’est pas fondée : la Fraternité est organisée comme une société de prêtres, à la manière de plusieurs autres communautés missionnaires par exemple. Elle a son supérieur général et toute une hiérarchie propre, qui n’est pas faite de nouveaux évêques qui joueraient à doubler les évêques en place.
Or, l’Eglise est "apostolique" chantons-nous dans le Credo. Elle est fondée sur les Apôtres, parmi lesquels Pierre a une mission exceptionnelle et nécessaire à celle des autres évêques il paît les agneaux ET les brebis. Mgr Lefebvre n’a jamais organisé une hiérarchie de type schismatique. Sans doute, il a sacré des évêques sans mandat : il n’est pas le premier ni le dernier au XXe siècle et même aujourd’hui. Des situations exceptionnelles appellent des solutions extraordinaires. C’est même une vertu : la gnômè.

Monseigneur aurait peut-être pu pratiquer différemment une autre vertu : l’eubulie, par laquelle on demande conseil aux hommes sages. Les Anciens d’Ecône, c’est-à-dire des chanoines réguliers, des religieux et des séculiers venus collaborer avec lui étaient généralement pour une négociation avec Rome. La visite apostolique qui s’est rendue ces années-là au Séminaire fut favorable, sans même recourir à des comparaisons peu flatteuses avec d’autres institutions.

Au noviciat des Dominicains de Lille, par exemple, le Père Maître était parti se marier et les novices furent expulsés de la Province de France. Au Séminaire des Carmes, Institut catholique de Paris, les professeurs consacraient les Saintes Espèces sur la table du réfectoire...

Les Anciens d’Ecône étaient autour de Monseigneur à la fois contre ces désordres et pour son action. Ils souhaitaient une remise en ordre générale. Rome était souvent bienveillante pour les Religieux qui voulaient suivre une voie de "stricte observance". En effet, les voeux engagent pour une vie définie et cet engagement est réciproque. 
Il est temps d’avoir pitié des foules
Monseigneur était donc encouragé par ses cadres à traiter avec Rome. En 1975, Paul VI célébrait encore en privé selon le rituel de Pie V en suivant le nouveau calendrier, ce gui agaçait la Congrégation du Culte divin. Il avait un véritable respect pour l’ancien archevêque de Dakar, qui avait démissionné pour laisser le siège à un Africain. Il savait son audience en Afrique. Il aimait réellement la culture française et Jean Guitton en particulier.

Jean Guitton fut donc l’artisan d’une tentative héroïque, avec l’aide d’un ancien diplomate de la Villa Bonaparte. Irrité que sa foi puisse être mise en cause, Paul VI était convaincu que le rituel qu’il avait publié était valide. Jean Guitton reprit donc dans les déclarations les plus récentes de Mgr Lefebvre les phrases qui confirmait ces attentes du pape et demanda à l’évêque de les confirmer. En contrepartie, Paul VI promettait de "tout permettre". Les prêtres seraient incardinés dans la Fraternité, qui serait recommandée pour exercer son ministère. Il serait clair que tout prêtre de rite latin pourrait célébrer dans le rite de Pie V (Missel de Jean XXIII). L’effet d’annonce emporterait l’adhésion des ennemis des polémiques, des opportunistes et des tièdes : la Fraternité sortirait de l’isolement.

Le texte préparé, Mgr Lefebvre y reconnut ses déclarations : « Vous avez bien travaillé, c’est tout à fait ce que je pense », dit-il à Guitton, rue Lhomond, chez les Spiritains où il résidait. « Mais il y a quelques petites fautes de frappe, il faut corriger un document destiné au pape. »

Jean Guitton rentra chez lui rue de Fleurus, enchanté.

La lettre signée n’arriva jamais. Monseigneur fut convoqué à une réunion cardinalice, qui se transforma en tribunal libre de toute règle, sauf celle de le condamner quoi qu’il dise. Ce défaut de formes n’est pas aussi choquant qu’on le croit, le pape est libre de gouverner comme il l’entend, puisqu’il est à la fois source de doctrine et de loi. L’intervention personnelle de PauI VI, promise à Jean Guitton, pouvait tout changer et faire plier même la Curie. Le pape Montini avait une bonne expérience des bureaux et des Français pour savoir quelles vilenies il aurait à combattre. Il avait affirmé être prêt à imposer la paix.

Mais vint le pape polonais qui ignorait à peu près tout des services missionnaires de Mgr Lefebvre et ne comprenait pas l’intérêt du latin. Ses audiences furent des quiproquos. Les Français qui pouvaient intervenir sur lui étaient trop loin de la Fraternité, qu’ils soient Frossard ou Lejeune.

Aujourd’hui, les ennemis de la tradition se sont déconsidérés sans vergogne. La visite apostolique du cardinal Gagnon est remplie d’éloges pour les familles, les éditeurs, les journaux et toute la vie ecclésiale de la tradition. La solution impossible en 1975 est proposée à la Fraternité. Acceptée, elle aura un effet d’entraînement et on ne pourra plus refuser le rite traditionnel aux fidèles qui le demandent.

Voici que des souffrances immenses trouvent un apaisement possible. Après avoir gagné les batailles de la foi, il ne faudrait pas perdre celles de la charité. Cela passe par un examen de l’espérance, cette vertu soeur de la foi comme les Apôtres Jacques et Jean qui les symbolise.

Quel est l’espoir des prêtres : avoir raison tout seul, dans un champ dévasté où il ne reste plus une ivraie, mais où le bon grain aussi a été arraché ? Avoir le malheur d’être seul, au milieu de purs qui s’acharnent à s’épurer, ou bien rester uni à l’Eglise déjà glorieuse à force de pardon, d’absolution, de miséricorde ?

Il est temps d’avoir pitié des foules et de nous-même.

E. Trapelli

3 octobre 2004

[Aletheia n°63] Jacques Duquesne, lecteur du R.P. Cerbelaud

Aletheia n°63 - 3 octobre 2004
Jacques Duquesne, lecteur du R.P. Cerbelaud
Il y a dix ans, Jacques Duquesne publiait un Jésus qui balayait nombre de dogmes et de croyances avec un aplomb paré d’un vernis pseudo scientifique. “ Les théologiens se sont gentiment moqués de cette entreprise vulgaire qui ressemblait à une arnaque ” rappelle le R.P. Verdin o.p.[1]. L’ouvrage, servi par un battage médiatique doublé d’une campagne publicitaire, s’était vendu à 400.000 exemplaires.
Aujourd’hui, Jacques Duquesne récidive avec un ouvrage consacré à la Mère de Dieu[2]. Il a l’ambition d’aller “ à l’encontre de ce qui a été présenté des siècles durant comme des vérités absolues ” (p. 13), en l’occurrence : l’Immaculée Conception de Marie, l’Annonciation, la conception virginale de Jésus, l’Assomption. Avec, en point d’orgue, un chapitre 6 intitulé “ Marie, mère de famille nombreuse ”. Jacques Duquesne entend démontrer que Jésus eut des frères et des sœurs. Il affirme : “ Que Marie ait été mère de famille nombreuse, voilà une affirmation qui ne pose plus de problème aux historiens, ni aux exégètes (même si tous ne l’avouent pas nettement) ”[3].
Ce Marie, achevé d’imprimer en juin, a été diffusé cet été pour faire l’objet de recensions et être présent dans toutes les librairies avant la venue du Pape à Lourdes, le 15 août. Jacques Duquesne, homme de presse, savait que le voyage de Jean-Paul II allait susciter, dans tous les journaux et toutes les revues, des articles sur Lourdes et sur la Vierge Marie et que les télévisions et les radios consacreraient des reportages à l’événement. En effet, pas un organe d’informations n’a manqué et presque tous ont signalé ou recensé l’ouvrage de Jacques Duquesne. Cette manœuvre habile et réussie a été prolongée par une campagne de publicité coûteuse (presse et radio) qui dure encore. Jacques Duquesne est en passe de connaître à nouveau un énorme succès de librairie.
Il se défend d’avoir voulu réaliser un “ coup marketing ”. Il affirme avoir travaillé à ce livre depuis trois ans. Pourtant, en bien des endroits, ce livre sent la précipitation. Il a été sinon conçu du moins achevé à la va-vite et très mal relu. On passera sur les nombreuses fautes de frappe : “ Assises ” (p. 132), “ Nicolas de Talentino ” pour Tolentino (p. 141),  “ 1975 ” pour 1935, date d’un message de Pie XI (p. 163), “ Cenetto ” pour Ceretto, lieu d’apparition de la Vierge (p. 220), d’autres encore.
Moins excusables sont les bourdes ou erreurs de copie qui témoignent d’un savoir approximatif. Comment Jacques Duquesne peut-il écrire “ hécharitomène ” (p. 33) pour le célèbre “ kecharitômêne ” de l’Annonciation ? N’est-ce pas une lecture trop rapide qui lui fait appeler “ Gui François ” (p. 139) le languedocien Gui Foucois  (le pape Clément IV) ? Et que dire de ce “ Paul Newman, le célèbre théologien catholique britannique ” (p. 212).
Outre ces erreurs factuelles, on reste ébahi par l’embrouillamini des références (par exemple, page 221, sur la question des révélations privées, Jacques Duquesne cite de seconde main, sans le dire). Pour détruire toutes les croyances et dogmes relatifs à Marie, il n’hésite pas à faire flèche de tout bois. Il utilise et cite les travaux dévastateurs des historiens juifs récents de Jésus. Il cite Pères de l’Eglise et théologiens. Mais les a-t-il bien lus et compris ? Par exemple, il cite saint Thomas d’Aquin de la manière suivante : “ l’Esprit-Saint n’a pas produit la nature humaine dans le Christ à propos de sa propre substance ” (p. 57), il faut lire, bien sûr : “ à partir de sa propre substance… ”.
Ailleurs, il fait référence à un sermon de saint Augustin (Sermo de tempore XXII) pour se moquer de l’explication de la conception virginale qui y est donnée : “ la fécondation se serait faite par l’oreille ” (p. 55) commente-t-il. Voltaire déjà s’était saisi de ce texte y trouvant du “ ridicule divin ”. Or, c’est un sermon apocryphe. On le sait depuis longtemps[4].
Au-delà de la “ bêtise ergotante ” de Jacques Duquesne[5], ce livre est révélateur de la vulgarisation (au sens littéral comme au sens figuré) d’une certaine exégèse critique. À plusieurs reprises dans son livre, Jacques Duquesne dénonce la “ surenchère ” qui se serait fait jour dans le domaine de la mariologie à partir du concile d’Ephèse (celui où a été donné à Marie le titre de “ Mère de Dieu ”).
La même idée a été exprimée, il y a un an, de manière plus savante et moins provocatrice, par un théologien dominicain, le R.P. Dominique Cerbelaud. Il parlait, lui, d’ “ inflation dogmatique ” et d’ “ inflation mariale ”[6]. Son ouvrage a été largement utilisé et cité par Jacques Duquesne.
Le théologien dominicain, professeur à l’université catholique de Lyon, n’a pas la brutalité du journaliste, mais son travail, articulé en douze thèses, tend à montrer que toute la dogmatique mariale repose sur l’affirmation de la conception virginale et que c’est “ l’article qui fait tenir ou tomber toute la mariologie ” (p. 293). Sous couvert de questions, le théologien dominicain en arrive à remettre en cause tout l’édifice doctrinal sur la Vierge Marie : “ la relativisation de l’aspect physiologique de la virginité in partu, fréquente chez les théologiens catholiques contemporains, peut conduire à se poser des questions analogues sur la virginité ante partum, c’est-à-dire sur la conception virginale : ne convient-il pas de l’entendre, elle aussi, au sens “symbolique“ ? Mais dans ce cas, c’est tout l’ensemble du réseau dogmatique qui va subir les contrecoups d’une telle “relecture“.
Dans l’élaboration plus récente, les incertitudes concernant le dogme du péché originel retentissent directement sur celui de l’Immaculée Conception. Quelle signification ce dernier peut-il conserver, si la notion même de péché originel se dilue ? ” (p. 298).
Entre le R.P. Cerbelaud et Jacques Duquesne, il y a la différence entre un théologien érudit et un journaliste vulgarisateur, mais il y a une identité dans la volonté de “ déconstruire ” la dogmatique mariale.
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De l’affaire Laguérie à l’affaire Sernine : allers et retours
. Mascaret (19 avenue de Gaulle, 33520 Bruges, 1,50 ¤ le numéro), le “ Bulletin mensuel des catholiques girondins ”, consacre les seize pages de son numéro 265, septembre-octobre 2004, à ce qu’il est convenu d’appeler désormais “ l’affaire Laguérie ”. L’abbé Laguérie, directeur du bulletin, y signe l’éditorial et un “ Ephéméride de l’été 2004 ”, tandis que d’autres collaborateurs abordent la question sous d’autres aspects (juridique mais aussi humoristique). On lira ces pages comme un plaidoyer pro domo de l’abbé Laguérie, sûr de son droit : “ rien ne sera comme avant, les remises en question vont bon train. (…) Saint-Eloi vit, prospère, et la Fraternité peut et doit suivre. ”
. Dans ce numéro de Mascaret, de façon incidente, l’abbé Laguérie dit de l’abbé Celier : “ [sa] tête est réclamée par Chiré-en-Montreuil, ce qui explique son zèle soudain à me pourfendre… ”. Jean Auguy, directeur de la S.A. D.P.F. sise à Chiré-en-Montreuil, a fait paraître aussitôt un communiqué où il affirme notamment : “ Nous posons ici publiquement une question précise à M. l’abbé Laguérie : où, quand, à qui, sous quelle forme et de quelle manière aurions-nous “réclamé la tête“ de M. l’abbé Celier ? Nous attendons une réponse explicite et étayée de preuves… lesquelles seront d’ailleurs difficiles à fournir, car cette accusation —est-il besoin de le préciser ? —relève de la plus haute fantaisie.  […] M. l’abbé Laguérie a peut-être été abusé par une rumeur calomnieuse qui circule en ce moment à Paris dans les milieux de la Tradition, rumeur selon laquelle Jean Auguy et Etienne Couvert seraient récemment allés voir Mgr Fellay pour lui “réclamer“ la tête de M. l’abbé Celier. Cette rumeur est absolument fausse et aussi absurde que fausse, mais il serait intéressant de savoir qui l’a lancée, qui la fait circuler et dans quel but ! ”
. Jean Auguy a raison de démentir cette rumeur qui le concerne, lui et son équipe. La “ tête ” de l’abbé Celier n’a été réclamée, publiquement, que par des feuilles comme celles de Louis-Hubert Rémy et de Philippe Ploncard d’Assac, et aussi par un nouveau site internet qui réclame la “ purification ” de la FSSPX. La “ tête ” de Celier/Sernine est réclamée en même temps que celle de l’abbé de Tanoüarn, le directeur de Pacte et de Certitudes et l’éditeur de Celier/Sernine. Bien que l’affaire Laguérie ait dissocié les deux accusés de l’affaire Sernine, la controverse a rebondi sous des oripeaux nouveaux.
. Plus qu’à ce nouvel épisode de ce que j’ai appelé la guerre picrocholine, on sera attentif au dernier numéro de Pacte (23 rue des Bernardins, 75005 Paris, 2,50 euros le numéro).Ce numéro daté du 15 septembre 2004 était attendu. L’abbé de Tanoüarn n’avait pas, à ce jour, exprimé de position publique sur l’affaire Laguérie, bien qu’il ait soutenu son confrère dès le départ.
L’abbé de Tanoüarn estime que “ la Fraternité Saint-Pie X se trouve déchirée par une des crises les plus graves de son histoire ”. Il estime aussi que les enjeux sont doctrinaux  et que deux “ questions gravissimes ” sont posées par l’affaire Laguérie.
La première est celle de la formation des séminaristes dans la FSSPX et des critères de la vocation. Le directeur de Pacte estime que de “ nouveaux critères ” de discernement de la vocation ont été introduits dans la FSSPX : “ les directeurs demandent aux candidats d’autres aptitudes, non révélées, malgré les demandes faites par différents prieurs ou directeurs d’école, qui ont besoin de connaître ces critères pour orienter les jeunes ”. Ces “ nouveaux critères ” expliqueraient des renvois incompréhensibles des séminaires de la FSSPX et des “ départs mal gérés ”.
La deuxième question de fond, selon l’abbé de Tanoüarn, est celle de l’exercice de l’autorité dans la FSSPX. L’abbé Laguérie n’a pas obtenu, dit-il, le droit de faire appel de la mutation/sanction qui l’envoyait de Bordeaux au Mexique. “ Une deuxième instance, ajoute-t-il, pourrait donner du poids aux sentences du supérieur ”.
Les deux questions — critères de la vocation sacerdotale et exercice de l’autorité — seraient donc révélatrices d’une crise d’identité qui frappe la FSSPX. Une crise de la maturité estime Maxence Hecquard dans ce même numéro de Pacte, qui souhaite aussi qu’ “ un débat serein peut et doit s’instaurer ”[7].
. Les fines analyses de l’abbé de Tanoüarn ont le mérite de vouloir dépassionner le débat et de ne pas le réduire à une querelle de personnes. Mais on ne saurait minimiser, dans les décisions prises par les autorités de la FSSPX, la question de Saint-Eloi, l’église acquise à Bordeaux par l’abbé Laguérie, et sa situation juridique (l’abbé Laguérie étant président de l’association propriétaire des lieux, ce qu’ignoraient ses supérieurs).
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Courrier des lecteurs
Un éminent lecteur de mon Pie XI (Perrin, 2004) m’écrit à propos de l’Action Catholique :
“ Pie XI ne reprend pas la distinction pourtant si indispensable de saint Pie X dans Il fermo proposito (11 juin 1905) entre deux types d’action catholique (en minuscules) : d’une part l’action des laïcs catholiques dans la cité pour en convertir les institutions au règne social du Christ, d’autre part l’apostolat au sens propre (même si le 1er type est un “apostolat“ au sens large) pour convertir les âmes. Et le saint pape précisait les différents degrés de dépendance de ces deux types d’action à l’égard de la hiérarchie.
L’absence de cette distinction chez Pie XI a causé les désastres bien connus, après la guerre. ”
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Annonce
L’Ecole Saint-Louis, à Nantes (8, rue de la Sirène), organise le samedi 16 octobre, de 14 à 19 h, sa IVe Journée du Livre. Yves Amiot, Jean-Luc Cherrier, Yves Chiron, Daniel Hamiche, Claude Mahy, Jean-Louis Picoche, Philippe Prévost et Henri Servien y signeront leurs ouvrages. Le rédacteur d’Aletheia sera heureux d’y rencontrer ses lecteurs de la région nantaise.
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[1] Père Philippe Verdin o.p., “ Notre-Dame des Poncifs ”, Le Figaro, 12 août 2004.
[2] Marie, Plon, 230 pages, 18,50 euros.
[3] Cette pseudo démonstration de l’existence de “ frères et de sœurs ” de Jésus était déjà au centre de son précédent livre. L’épiscopat français avait fait rédiger une réponse, en forme de mise au point, par l’exégète Pierre Grelot : “ La conception virginale de Jésus et sa famille ”, Esprit et Vie, 104/46, 1996, p. 629-631.
[4] Goulven Madec, “ Marie, Vierge et Mère, selon saint Ambroise et saint Augustin ”, in La Virginité de Marie, 53e session de la Société Française d’Etudes Mariales, Médiaspaul, 1998, p. 71-83.
[5] L’expression est du R.P. Verdin, art. cité.
[6] Dominique Cerbelaud o.p., Marie un parcours dogmatique, Editions du Cerf, 2003.
[7] On retrouve aussi, sous la plume de Maxence Hecquard, la vieille prétention de la FSSPX à représenter à elle seule “ la Tradition catholique ”. Quand il évoque “ les diverses tendances de la Tradition ” et  “ les congrégations amies ”, il limite le périmètre de la Tradition à ceux qui reconnaissent la légitimité des sacres de 1988.