27 juin 2002

Sermon des ordinations en juin 2002 à Econe - Mgr Tissier de Mallerais, FSSPX
27 juin 2002
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, Ainsi soit-il.
Monseigneur le Supérieur général, Mes chers Seigneurs, Monsieur le Directeur,
Mes chers confrères en sacerdoce, Chers ordinands, Bien chers Fidèles,
Dans quelques instants l'évêque, au cours de cette cérémonie d'ordination de diacres et de prêtres, prononcera ces paroles, aux diacres il leur dira : vous êtes désormais les coopérateurs du Sang et du Corps du Seigneur, et aux prêtres après l'ordination elle-même, il leur dira : recevez le pouvoir d'offrir le sacrifice à Dieu et de célébrer des messes tant pour les vivants que pour les défunts.
Ces paroles, qui nous semblent presque banales, de notre Foi catholique toute simple, qui expriment donc l'objet même du sacerdoce qui est la consécration du Corps et du Sang de Notre-Seigneur pour renouveler de façon non sanglante Sa Passion Divine, ces paroles sont désormais supprimées dans le nouveau Pontifical de l'ordination tant des diacres que des prêtres. Cette disparition est très significative, et veut dire que la nouvelle religion ne veut plus exprimer la transmission d'un pouvoir de consacrer le Corps et le Sang du Christ et d'un pouvoir de renouveler la Passion du Calvaire. Et donc, mes bien chers ordinands, je suis sûr évidemment qu'au cours de vos six années de séminaires vous avez bien pénétré la doctrine catholique, qu'ignore maintenant la plupart des prêtres dans la nouvelle religion. Car ce changement du rite de l'ordination signifie une nouvelle religion. Dans cette suppression d'un pouvoir d'offrir et de consacrer le Corps et le Sang du Christ est exprimée précisément la nouvelle religion, dans laquelle se trouve la grande majorité des catholiques, à leur coeur défendant, mais ils y sont dans cette nouvelle religion, qui consiste non seulement en un nouveau culte, mais dans une nouvelle doctrine. Et donc si vous le voulez bien, chers fidèles, en quelques mots je décrirai tout d'abord la nouvelle doctrine de cette nouvelle religion et ensuite son nouveau culte.
Tout d'abord de nouveaux dogmes, par conséquent une nouvelle doctrine, de nouveaux dogmes.
Tout d'abord le péché, qui pratiquement n'existe plus, puisqu'il n'offense pas Dieu. On nous dit que le péché n'offense pas Dieu, mais qu'il nuit seulement au pécheur. Le péché, en effet, ne peut pas atteindre la nature de Dieu qui est incorruptible. Le péché ne fait rien à Dieu. Le péché ne fait que nuire au pécheur, lui faisant perdre la vie divine, on le concède, et également offensant à la solidarité humaine. Dans ces conditions le péché n'a plus cette caractéristique d'offense, de destruction de l'honneur de Dieu, de Sa gloire, de Sa louange. Il n'a plus la caractéristique d'une désobéissance à la loi de Dieu. On nie par conséquent que Dieu soit en droit d'exiger de Ses créatures, non seulement la louange, mais même la soumission à Sa loi comme dit saint Ignace dans ses Exercices : L'homme est créé pour louer, honorer et servir Dieu et par là sauver son âme. Eh bien ! louer, honorer et servir Dieu, çà n'existe plus dans la nouvelle religion, puisque le péché ne détruit pas la gloire externe de Dieu, le péché ne fait que nuire à l'homme. Vous voyez donc combien cette nouvelle religion détruit la notion même du péché, détruit la gloire de Dieu, détruit même la notion du péché comme l'injustice suprême, pour ne considérer que les injustices humaines ; mais l'injustice envers Dieu, le péché contre la Justice de Dieu, on n'en veut plus.
Ensuite, on nous dit que par le péché la dignité humaine n'est pas perdue, l'homme conserve sa dignité même après le péché. L'homme reste digne. L'homme reste gentil, sympathique. Et par conséquent, c'est la justification de l'oecuménisme, de la liberté religieuse. Quoi que fasse l'homme dans l'ordre religieux, qu'il honore un faux dieu ou par un faux culte le vrai Dieu, peu importe, il garde sa dignité. Il est digne donc d'être d'estime et de respect, et donc on doit respecter sa religion, et on doit par conséquent collaborer même avec les autres religions, puisque la dignité humaine n'est pas atteinte par le péché. Encore une seconde erreur très grave, qui légitime l'oecuménisme et la liberté religieuse. Il est donc digne puisque l'homme reste très sympathique. Eh bien ! Dieu continue d'aimer le pécheur, de lui maintenir Son amour et Sa faveur. Rien n'est changé entre Dieu et le pécheur. Dieu nous est représenté sous la forme d'un Dieu impassible, bonasse, qui accepte tout de la part de Ses enfants capricieux. Sa charité, à Dieu, est donc ridiculisée. Dieu continue d'aimer même le pécheur, sans distinction, sans précision.
Ensuite, on nous dit que, par conséquent, Dieu ne punit pas le péché par une peine quelconque temporelle ou éternelle. Puisque le péché n'offense pas Dieu, Dieu ne punit pas. Du reste Dieu est la bonté même. Comment Dieu pourrait-Il infliger des peines à l'homme pécheur ? Non, c'est l'homme lui-même qui se punit en subissant les conséquences de ses fautes et l'enfer, si jamais quelqu'un s'y trouve, l'enfer n'est que l'exclusion, auto-exclusion de l'amour divin. Donc l'enfer n'est plus une peine infligée par Dieu. Dieu n'a plus le droit de punir. Et par conséquent, l'homme est lavé de tout devoir de réparation envers Dieu. Ce que nous appelons chez nous, dans notre catéchisme, la satisfaction après le péché, le pécheur doit satisfaire pour ses péchés à la justice divine, la satisfaction, le besoin d'expier ses péchés pour réparer l'honneur de Dieu n'existe plus. L'homme doit seulement réparer sa santé spirituelle. Mais réparer la gloire de Dieu, coopérer au relèvement de la créature tombée dans le péché, on n'en veut plus, alors que vous savez la belle doctrine catholique de la satisfaction est toute à la gloire de Dieu, puisque l'homme pécheur peut se relever et redonner la gloire et la louange à Dieu et relever même sa nature tombée, par la satisfaction, par la peine qu'il subit volontairement. Mais cette doctrine, qui donc ne veut plus ni du péché, ni de l'expiation et de la satisfaction, va beaucoup plus loin, puisqu'elle va même maintenant fausser le sens des souffrances et de la Passion Rédemptrice du Sauveur. Et donc elle va fausser le dogme de la Rédemption.
C'est à ce dogme central que se sont attaqués les modernistes. On va nous dire : les souffrances de Notre-Seigneur sur la Croix sont destinées seulement à révéler l'amour de Dieu persévérant, mais non pas à satisfaire à la justice divine à la place des hommes pécheurs. Notre-Seigneur sur la Croix n'a pas offert à Son Père en notre nom aucune satisfaction. Il n'a fait que révéler aux hommes l'amour de Dieu Son Père. Donc on va tout à fait contre le dogme du Précieux Sang, cette loi que Dieu a posé même dans l'Ancien Testament, que sans effusion de sang il n'y a pas de rémission. On refuse le Sang versé par Notre-Seigneur avec toute Sa valeur d'expiation, de rémission des péchés, pour ne considérer qu'un acte gratuit par lequel le Père livre sans aucune raison Son Fils à la mort, simplement pour révéler l'amour du Père. C'est la plus abominable cruauté : le Père livre Son Fils à la mort la plus abominable, simplement pour révéler Son Amour. On a faussé, vidé le dogme de la Rédemption et l'on blasphème même la Sainte Passion du Sauveur. Alors qu'au contraire, notre catéchisme nous enseigne que par Sa Passion Notre-Seigneur a offert à Son Père une satisfaction pour nos péchés surabondante, à cause d'une part de la dignité de la personne divine qui souffre sur la Croix et d'autre part à cause de l'extrême charité et obéissance avec laquelle Notre-Seigneur souffre, et enfin à cause des douleurs extrêmes qu'Il a souffertes sur la Croix. Il a donc pu offrir à Son Père pour nous, à notre place, une satisfaction surabondante, presque infinie. C'est toute la beauté de la contemplation de la Croix : y voir notre Salut, notre Rédemption, notre rachat, notre relèvement et non pas seulement l'amour du Père, mais l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ d'abord.
Et de toute façon, on nous dit dans cette nouvelle religion : à quoi bon le Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à tout le plus pour révéler l'amour du Père mais pas pour nous sauver, car tous les hommes sont sauvés, de toute façon. C'est certain, puisque par Son Incarnation, comme dit le concile Vatican II, dans Gaudium et Spes, par Son Incarnation le fils de Dieu S'est uni en quelque sorte à tout homme. Tout homme est christifié par l'Incarnation et alors tous sont sauvés, et dès lors - c'est l'allégation du Pape Jean-Paul II dans un de ses livres -, que pratiquement l'enfer probablement est vide. Tous sont sauvés. Vous voyez donc le dogme de la Rédemption anéanti, faussé radicalement. Étant évacué le péché, étant évacué même la justice de Dieu, on va évacuer la Rédemption, supprimer la satisfaction de la Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. voilà la nouvelle religion, les nouveaux dogmes.
Passons maintenant, si vous le voulez bien, au nouveau culte, qui correspond au nouveau dogme. Eh bien ! tout d'abord dans le nouveau culte on nous dit que l'acte principal de la Rédemption de Notre-Seigneur, Sa première Messe qu'Il a célébré sur la Croix après la messe de la Cène, donc l'acte principal de la Rédemption, ne consiste pas dans la Croix du Sauveur, mais plutôt dans la Résurrection glorieuse et l'Ascension de Notre-Seigneur. Ce serait par Sa Résurrection et Son Ascension que Notre-Seigneur nous sauverait. En effet Dieu couronne l'oeuvre de la Rédemption et manifeste pleinement Son Amour, l'amour du Père envers nous, en ressuscitant Son Fils, puisque Dieu n'est pas le Dieu des morts mais des vivants. Un point c'est tout. C'est ce que déclare le Pape Jean-Paul II. Donc la Croix du Christ est un événement plutôt secondaire dans la Rédemption, l'oeuvre essentielle étant la Résurrection et l'Ascension du Sauveur.
Ensuite, on nous dit que l'acte principal du sacerdoce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Notre-Seigneur Jésus-Christ comme prêtre, ne consiste pas dans l'offrande sanglante de Son sacrifice sur la Croix, mais essentiellement dans Son sacerdoce céleste, par lequel donc, traversant la tente du sanctuaire céleste, Il se présente à Son Père avec Son Sang. Donc on va nier que l'acte principal du sacerdoce c'est l'offrande du sacrifice de Notre-Seigneur sur Sa Croix. On parlera, on va mettre l'accent sur le sacerdoce céleste ; et ceci n'est pas nouveau, dès 1958, c'était professé par le Père Joseph Lécuyer, futur successeur de Mgr Lefebvre à la tête de la Congrégation des Pères du Saint-Esprit. Ces Hérésies datent d'avant le Concile. Elles ont été propagées par le Concile et après le Concile.
Ensuite, on nous dit que la Messe, la Messe n'est pas le renouvellement non sanglant de la Passion, on ne peut plus dire cela, la Messe est le mémorial de tous les hauts faits du Christ au cours de Sa vie, donc non pas seulement Sa Passion, mais aussi de Sa résurrection, de Son Ascension et pourquoi pas, de Son Incarnation, de Sa Présentation au Temple, enfin bref tous les hauts faits du Christ. Il s'agit d'en faire mémoire, et c'est cela qui fait la Messe. Hors, notre catéchisme nous enseigne que c'est bien la Consécration qui réalise la Messe et la théologie la meilleure nous expose en effet que ce qui est signifié par la Consécration séparée du Pain et du Vin, donc du Corps et du Sang du Christ, ce qui est signifié, est produit mystérieusement : l'immolation sacramentelle est réalisée, à savoir la séparation du Corps et du sang par la parole, par la puissance même des paroles du prêtre. Sous l'apparence du Pain est directement le Corps, tandis que sous l'apparence du Vin est directement le Précieux Sang du Christ. Certes non pas séparés réellement, puisque par concomitance réelle ils sont tous les deux sous chacune des deux espèces. Mais il n'en reste pas moins que par la force des paroles, ce qui est réalisé, c'est bien une séparation du Corps et du Sang du Christ, séparation sacramentelle. Par conséquent on nie absolument le rôle de la Consécration dans la Messe. Il s'agit simplement d'un mémorial.
Ensuite, la messe, nous dit-on, - c'est le Cardinal Ratzinger qui a découvert ceci il y a quelques mois - : La Messe est valide même sans les paroles de la Consécration. Vous avez tous lu cela, on vous l'a expliqué. C'est une déclaration récente du Cardinal Ratzinger avec sa Commission Théologique Internationale : la messe est valide même sans les paroles de la Consécration ! Alors à quoi bon un prêtre ! En effet, le peuple chrétien peut célébrer la messe, le prêtre ne sert à rien, puisque il n'y a pas besoin de prononcer les paroles de la Consécration pour que la messe soit valide. Même dépourvue des paroles du Christ la messe vaut, la messe est valide !
Ensuite, on nous dit que le Christ au cours de la Messe est rendu présent, oui, mais rendu présent avec tous Ses mystères salvifiques et non pas par l'oeuvre magique de la Consécration, qui est une oeuvre magique, mais par le vécu de l'action liturgique communautaire qui objective les mystères du Christ. Ainsi, donc, le mystère du Christ, en particulier le mystère pascal, devient le mystère du culte. Voilà ce qu'on nous dit, en particulier Hannibal Bugnini cheville ouvrière de la réforme liturgique. Donc il ne s'agit pas de consacrer le Corps et le Sang du Christ, mais d'évoquer ensemble, activement, communautairement, liturgiquement tout le mystère du Christ, en particulier Son mystère Pascal, donc en mettant en évidence la Résurrection et l'Ascension du Christ.
Enfin, dernière hérésie, bien chers fidèles, je suis absolument désolé de ce flot d'hérésies qui est à peine digne d'un sermon évidemment, le sacerdoce commun des fidèles s'exerce au cours du mémorial eucharistique. Il convient donc de donner une plus grande place à la participation active des fidèles pour qu'ils puissent exercer leur sacerdoce commun, le prêtre devant simplement présider ces paroles du mémorial.
Je conclus : tant dans ses dogmes que dans son culte la nouvelle religion a vidé notre religion catholique de sa substance. La Passion de Notre-Seigneur ne sert qu'à révéler d'une façon très intellectuelle et abstraite l'amour de Dieu le Père pour nous. Quant à l'amour du Christ pour Son Père ou pour nous autres, on n'en sait rien. Et puis, d'autre part, le culte chrétien, c'est seulement une mémoire. Donc prendre conscience en sommes de la grande oeuvre des hauts faits du Christ, en prendre tellement conscience que cette oeuvre devient présente dans l'assemblée en prière, comme une auto-conscientisation commune.
Cette nouvelle religion n'est rien d'autre, bien chers fidèles, qu'une gnose. Je pense que c'est le mot qui la caractérise parfaitement puisque c'est une religion sans péché, sans justice, sans miséricorde, sans pénitence, sans conversion, sans vertu, sans sacrifice, sans effort, mais simplement une auto-conscientisation. C'est une religion purement intellectualiste, c'est une pure gnose.
Alors, bien chers futurs diacres et prêtres, soyez assurés que je ne vous ordonne ni diacres, ni prêtres, pour être des diacres et des prêtres de cette religion gnostique. Et je suis persuadé que telle était aussi votre intention de recevoir aujourd'hui le sacerdoce catholique, des mains de l'Eglise Catholique, et non pas de recevoir un sacerdoce gnostique des mains de je ne sais quel système gnostique.
Rejetons avec horreur, bien chers fidèles, bien chers ordinands, cette religion naturaliste, intellectualiste, qui n'a rien à voir avec la religion catholique, et soyons au contraire bien fermement, toujours plus fermement persuadé de la raison de notre combat, de la raison de notre sacerdoce.
Chers ordinands, vous êtes fier de recevoir votre sacerdoce dans l'Eglise Catholique de la main d'un évêque catholique, de tous ces évêques qui se sont succédé en transmettant le sacerdoce catholique dans sa pureté doctrinale d'où découle sa véritable charité pastorale. Soyez heureux aujourd'hui de recevoir ainsi dans l'Eglise catholique, le sacerdoce catholique de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le sacerdoce d'un Padre Pio, le sacerdoce de tous les saints prêtres, d'un saint Curé d'Ars, le sacerdoce des Apôtres, le sacerdoce qu'a vécu auprès des Apôtres la très sainte Vierge Marie dont nous fêtons aujourd'hui une jolie fête.
Eh bien, supplions la très sainte Vierge Marie, Mère du Sacerdoce, Mère des prêtres, Mère du Grand Prêtre et Mère des prêtres, de nous garder bien fidèles au sacerdoce catholique afin de communiquer la religion catholique. Ainsi soit-il.
Au nom du Père et du Fils, et du Saint-Esprit, Ainsi soit-il.

7 juin 2002

Lettre aux amis et bienfaiteurs n°62 - Mgr Fellay, Supérieur Général de la FSSPX
7 juin 2002
Chers amis et bienfaiteurs,

Notre monde traditionnel a réellement vécu nombre d'événements importants dans ses relations avec le Vatican pendant ces deux dernières années.
Depuis l'approche de Rome à la fin de l'an 2000, il nous semble qu'il est temps de faire le point, de répondre aussi à un certain nombre d'objections ou de questions qui surgissent autour de cette problématique. Cependant, nous aimerions aussi rappeler que si nous nous étendons un peu sur ces questions, elles ne sont certainement pas toute notre vie. La célébration des saints mystères, les grâces distribuées abondamment sur vos âmes, les conversions assez nombreuses et toujours très émouvantes, c'est cela l'essentiel de notre vie, cela par lequel nous manifestons par les faits que nous sommes vraiment catholiques, tandis que les échanges et les différends avec le Vatican expriment notre volonté de le rester. Ces derniers temps, un groupe important de séminaristes de Bombay nous a rejoints. Pendant sept ans de séminaire, alors que l'existence du diable était niée, jamais la parole « enfer » n'avait effleuré leurs oreilles, pas plus que « le sacrifice de la messe », d'ailleurs. Cela nous vaut les foudres du cardinal de Bombay, bien entendu. Aux états-Unis, plusieurs prêtres nous rejoignent ou s'approchent de nous. « J'ai tout fait pour ne pas aller chez vous », me dira l'un d'eux. C'est un témoignage éloquent : après avoir épuisé toutes les possibilités qui s'offrent aujourd'hui, à commencer par le diocèse, la messe de l'indult et diverses sociétés Ecclesia Dei, ces prêtres et séminaristes en arrivent à la conclusion, malgré leur volonté et leur peur initiale de se lier à ceux que l'on présente encore comme schismatiques, que c'est le seul chemin viable pour une vie chrétienne intégrale. Quelle époque de confusion ! Le bien est honni, le mal trop souvent béni. Voilà ce qu'expérimentent nombre de prêtres aujourd'hui, qui veulent simplement rester catholiques. Que de vexations ! Tels ces deux séminaristes, repris par le recteur du séminaire pour avoir été pris en flagrant délit de prière du chapelet. Mais lorsqu'ils furent pris à assister à la messe de l'indult... ils durent répondre de leur crime devant le cardinal en personne... On aimerait entendre que des réprimandes au moins semblables auraient été faites pour toutes les sortes de vraies indisciplines.
Pendant qu'un certain nombre de prêtres s'approchent de nous, Campos s'approche de Rome. Il nous semble bien que l'argument décisif pour gagner leur volonté a été la promesse d'un évêque aux côtés de Mgr Rangel, déjà très malade. Ils m'écrivent qu'ils estimaient ne pas pouvoir refuser la volonté du Saint-Père qui voulait leur donner un évêque : « ce serait schismatique ». En guise d'évêque, ils doivent se contenter d'une promesse : « Je te donnerai un successeur ». Bien sûr, personne n'ose mettre en doute une telle promesse, mais toute la question réside dans la personne de ce successeur : qui sera-t-il ? Où sera-t-il choisi ? On peut bien penser que Rome voudra s'assurer de la fidélité à Vatican II du futur évêque, car certains n'ont toujours pas abandonné leurs réserves sur l'orthodoxie de la position doctrinale de Campos. La suspicion règne à Rome.
On avait aussi promis une liberté d'action sur tout le Brésil, mais devant l'opposition des ordinaires locaux, la superficie de l'Administration a fondu jusqu'à se réduire à l'étendue du diocèse de Campos, un point c'est tout.
Que va faire Campos ? Pendant que Campos se lance dans cette tentative hasardeuse avec les armes des déclarations ambiguës, nous constatons un phénomène fort intéressant : au moment même, plusieurs communautés du Brésil, étrangères au diocèse et aux prêtres de Campos, tant de frères que de sœurs, ont pris contact avec nous et veulent... rejoindre la Tradition ! et envoyer leurs futurs candidats au sacerdoce dans notre séminaire d'Amérique du Sud. En fait, en nombre important, des fidèles disséminés un peu partout dans cet immense pays commencent à se manifester et demandent notre assistance... et non pas celle de Campos. Vraiment, quel curieux développement. C'est comme si tout d'un coup le Brésil s'ouvrait à l'apostolat de la Fraternité. Il nous manque seulement les ouvriers, des prêtres, et encore des prêtres...
Pendant ce temps, après avoir réussi à éloigner Campos de la Fraternité et, petit à petit, de ses positions, le cardinal Castrillón nous a envoyé, le 5 avril dernier, une lettre, en réponse à la nôtre du 22 juin 2001. Elle se propose de relancer le « dialogue ». Avant d'en dire un mot, reprenons l'historique des échanges :
Tout au début, avec l'offre romaine de nous donner une structure juridique, nous avions exposé notre disposition d'ouverture à des discussions, tout en insistant assez fortement sur la nécessité de regagner la confiance.
En effet, des décennies de brimades, de mise à l'écart, de menaces, de condamnations, de véritables persécutions pour notre attachement à la Tradition de l'église catholique ne s'effacent pas toutes seules. Nous demandions en conséquence et en préalable un geste concret de la part des autorités romaines : la reconnaissance de la non-abrogation du rite tridentin et l'annulation du décret d'excommunication.
Le cardinal Castrillón nous a communiqué l'accord de principe sur le premier point, accompagné du refus de sa mise en application. Plus tard aussi, le refus total, car accorder à la messe tridentine cette liberté se ferait au détriment du novus ordo. Quant à la levée de l'excommunication, elle nous est promise lors de l'accord.
Après ce double refus, qui renforce encore le climat de méfiance, le cardinal écrivit une lettre, le 7 mai 2001. Je répondis à cette lettre qu'elle instituait un dialogue de sourds et nous conduisait à l'impasse.
Je proposais alors de changer le point de départ, l'approche de toute la question, afin de faire avancer les choses. Brièvement, nous exposions que notre situation actuelle de dissidence par rapport à la Rome actuelle était causée non pas par une mauvaise volonté coupable de notre part, mais par une terrible crise qui secoue l'église depuis quarante ans et dont le concile Vatican II et les réformes post-conciliaires sont le signe évident ; nous citions quelques faits pour montrer la réalité et la gravité de la crise.

La lettre du 5 avril du cardinal nous reproche, en guise de réponse :
1) de juger le pape et le Saint-Siège,
2) d'affirmer que l'église a perdu la foi,
3) de nier au souverain Pontife son droit sur la liturgie, puisque nous affirmons que le NOM est mauvais,
4) d'avoir perdu la foi sur le vrai concept de tradition,
5) d'être incapable de saisir la continuité qui existerait entre le passé et le présent de l'église, c'est-à-dire entre le passé et le concile Vatican II avec sa réforme liturgique.
Ces points, évidemment, demandent une réponse.
Mais en même temps, cette lettre illustre fort bien le fait que le dialogue de sourds n'est pas terminé ; quelle incompréhension de notre position ! Nous aurions été disposés à aborder néanmoins ces différents points si tout cela n'avait pas été accompagné de manœuvres qui nous obligent une fois encore au repli : « Le temps d'une franche collaboration n'est pas encore venu » disait Monseigneur Lefebvre en 1988 au moment des sacres ; cette phrase conserve toute son actualité. Ces manœuvres sont doubles.
Le cardinal déclare d'une part dans sa lettre que, vu la gravité de l'affaire, il s'était toujours abstenu d'accorder des interviews publiques ; quelques jours plus tard, il expose, dans une interview à La Stampa, que la Fraternité est divisée en deux groupes :
« Une grande majorité, qui désire ardemment la réconciliation avec Rome “pour soulager sa conscience” (lettre du 5 avril), et un petit groupe de fanatiques qui ne veut rien entendre » (alors que, dans sa lettre, le cardinal indique sa volonté de ne pas nous diviser.)
D'autre part, quelques jours après m'avoir envoyé la lettre du 5 avril avec tout l'apparat de la discrétion (double enveloppe, réservé, confidentiel), il envoie cette même lettre par fax à trois membres de la Fraternité. Il ne nous est pas nécessaire de chercher à découvrir une intention, les faits parlent d'eux-mêmes : il y a tentative de division bien réelle ; elle dicte sans hésiter notre attitude : mettre de la distance.
Dans de telles circonstances, la discussion n'est pas raisonnable, elle est imprudente, impossible.
Vraiment, on ne nous comprend pas.
Ce sont des actes, des faits, des déclarations proprement scandaleux qui nous ont obligés à un refus des nouveautés et à un attachement redoublé à l'enseignement et à la discipline pluriséculaires de l'église catholique romaine, notre Mère.
La simple exposition de faits — par exemple la visite du pape à la synagogue ou à la mosquée, le baiser du Coran, les libations de la forêt du Togo, la réception du tilac en Inde, gestes qui ont profondément scandalisé les catholiques dans leur foi – ne veut pas dire que nous nous érigons en juge au-dessus du Saint-Siège. Il en est de même pour maints déclarations et documents.
Ou bien alors, il faut renoncer tout simplement à penser.
Quant à la réforme liturgique, des cardinaux ont pu dire qu'elle s'éloignait « de manière impressionnante, dans l'ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique » (NOTE: Bref examen critique des cardinaux Ottaviani et Bacci). Et encore tout récemment le cardinal Ratzinger a pu dire que « cette extension du pouvoir papal dans le domaine de la liturgie donna l'impression que le pape, au fond, avait tout pouvoir en matière de liturgie, surtout s'il agissait en vue du mandat d'un concile œcuménique. L'effet provoqué par cette impression fut particulièrement visible après le concile Vatican II. Que la liturgie soit un don, une réalité non manipulable, tout cela avait alors disparu de la conscience des catholiques en Occident. Or, le concile Vatican I avait défini le pape non pas comme un monarque absolu mais comme le garant de l'obéissance envers la Parole révélée. La légitimité de son pouvoir était liée avant tout à la transmission de la foi. Cette fidélité au dépôt de la foi, ainsi que sa transmission, concerne tout particulièrement la liturgie. Nulle autorité ne peut “fabriquer” une liturgie. Le pape lui-même n'est que l'humble serviteur de son développement homogène, de son intégrité et de la permanence de son identité. » (NOTE: L'esprit de la liturgie, Ed. Ad Solem, 2001, p. 134.)
En ce qui concerne la continuité des doctrines modernes avec le passé, voici ce que disent des personnes « au-dessus de tout soupçon » sur la liberté religieuse, texte clé du concile : « On ne peut nier qu'un tel texte [le texte du Concile sur la liberté religieuse] ne dise matériellement autre chose que le Syllabus de 1864 et même à peu près le contraire des paragraphes 15, 77 à 79 de ce document. » (NOTE: P. Congar, La crise dans l'église et Mgr Lefebvre, Cerf, 1976, p. 51.)
Sur la définition de l'église (Lumen gentium) : « On ne peut pas, en dernière analyse, pleinement résoudre d'un point de vue logique cette différence entre “subsistit” et “est”. » (NOTE: Cardinal Ratzinger, « L'ecclésiologie de la Constitution Conciliaire Lumen gentium », La Documentation catholique, nº 2223, p. 311.)
Sur le concept de Tradition (Dei Verbum) : « Le refus de la proposition de prendre le texte de Lérins, connu et sanctifié d'une certaine manière par deux conciles, montre à nouveau le dépassement de Trente et Vatican I, la continuelle relecture de leurs textes... [le concile Vatican II] a une autre idée de la manière dont se réalise l'identité historique et la continuité. Le “semper” statique de Vincent de Lérins ne lui semble plus approprié pour exprimer ce problème ». (NOTE: Joseph Ratzinger, LThK, Bd 13, p. 521.)
Sur le texte clé du concile Gaudium et spes, c'est un contre-syllabus. « Si l'on cherche un diagnostic global du texte (Gaudium et spes), on pourrait dire qu'il est (en liaison avec les textes sur la liberté religieuse et sur les religions du monde) une révision du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-syllabus... contentons-nous ici de constater que le texte joue le rôle d'un contre-syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour une réconciliation officielle de l'église avec le monde tel qu'il était devenu depuis 1789. » (NOTE: Les principes de la théologie catholique, Téqui, 1982, p. 426.)
Nous croyons, nous, au développement homogène de la doctrine, comme l'a toujours enseigné l'église. Mais la foi, qui n'enlève pas le principe de non-contradiction, oblige aussi à rejeter ce qui n'est pas dans ce développement homogène.
Nous constatons combien l'appréciation du cardinal est erronée... Tous nous désirons l'unité de l'église, unité qui commence dans la foi, qui est continuée autour de Pierre qui confirme ses frères, consommée dans l'union à Jésus hostie. Tous, pour conserver cette unité, nous avons dû au nom de notre conscience catholique, nous écarter et refuser de prendre cette autoroute large et facile que proposent les réformes. C'est pour soulager nos consciences que nous sommes là où nous sommes et celles-ci ne seraient pas du tout soulagées si nous nous lancions précipitamment sur un chemin que nous avons refusé pendant trente ans... pour rester catholiques.
C'est au nom de la foi de notre baptême, c'est au nom des promesses de notre baptême auxquelles nous avons promis de rester fidèles que nous disons non à tout ce qui n'assure pas la sécurité de notre salut. C'est là notre droit, c'est là notre devoir.
Que le Sacré-Cœur vous comble de son ardente charité, d'un amour indéfectible pour l'église, pour sa hiérarchie qui pour l'instant nous fait souffrir, pour les âmes, les âmes à sauver au prix de l'union au Sacrifice de Notre-Seigneur, à la sainte Messe qui nous fera pénétrer toujours davantage dans la fermeté de la foi, dans son amour réparateur et satisfactoire. Tout pour Jésus, tout pour Marie, tout pour les âmes.


† Bernard Fellay
En la fête du Sacré-Cœur
7 juin 2002