20 novembre 2000

[Aletheia n°5] Rome condamne les apparitions de Sabana Grande - Medjugorje - Soeur Lucie témoigne - Nouvelles

Yves Chiron - Aletheia n° 5 - 20 novembre 2000
Sommaire :
I. Rome condamne les apparitions de Sabana Grande.
II. Medjugorje.
III. Soeur Lucie témoigne.
IV. Nouvelles.

I. Rome condamne les apparitions de Sabana Grande
En 1953, à Sabana Grande (Porto Rico), la Sainte Vierge serait apparue à trois enfants dans un lieu appelé “ El Pozo ” (le puits). Elle se serait révélée sous le vocable de “ La Vierge du Rosaire ” et serait apparue 33 fois. La dernière apparition aurait eu lieu le 25 mai 1953, accompagnée d’un prodige solaire qui rappelle la “danse du soleil” à Fatima. Des guérisons auraient eu lieu ensuite. Les messages délivrés à Sabana Grande connurent et connaissent encore une grande diffusion non seulement à Porto Rico mais aussi aux Etats-Unis, au Mexique, en République dominicaine et jusqu’en Espagne. A partir de 1978, le voyant principal de 1953, Juan Angel Callado, aurait reçu à nouveau sept messages de la Vierge. Cela relança, semble-t-il, la dévotion envers la “ Vierge du Rosaire ”. Une association de fidèles fut constituée sous le nom d’“ Association pour la dévotion à la Vierge du Rosaire ”. Elle fut approuvée par la Conférence Épiscopale Portoricaine le 28 mai 1986 ( “ sin pasar juicio alguno ” sur les supposées apparitions). L’Association se montra dès lors très active par des réunions de prières, l’édition de brochures et d’un bulletin.
L’abbé René Laurentin, dans son ouvrage classique Multiplication des apparitions de la Vierge aujourd’hui (Fayard, février 1991, 3e édition mise à jour) évoque les faits de Sabana Grande (p. 179-180) mais il ignore les mises en garde et les jugements de l’Eglise sur le sujet.
Mgr Fernando Felices Sanchez, chancelier de l’archevêché de San Juan (Porto Rico), m’a envoyé copie de tous les documents officiels sur le sujet, jusqu’à la récente condamnation romaine :
- le 3 avril 1989, au terme d’une enquête canonique sur les faits de Sabana Grande, situé dans son diocèse, Mgr Ulises Casiano Vargas, évêque de Mayagüez, publiait un décret affirmant que les faits étudiés ne répondaient pas “ aux critères établis par la Congrégation pour le foi en matière d’apparitions de la Vierge ” et ne permettaient pas d’“ établir leur origine surnaturelle ”.
- le 7 octobre 1989, les évêques de la Province Ecclésiastique de Porto-Rico (PEPC), publiaient un très long décret. Ils déclaraient que les supposées apparitions n’avaient aucune origine surnaturelle et ils retiraient l’approbation canonique qui avait été donnée jadis à l’Association. Les fidèles avaient désormais interdiction d’y adhérer et de se rendre au “ sanctuaire ” établi sur le lieu des prétendues apparitions.
- le 6 avril 1991, la PEPC réitérait son décret du 7 octobre 1989.
- le 3 octobre 1995, le Conseil Pontifical pour les Laïcs, saisi d’un recours par l’Association pour la Dévotion à la Vierge du Rosaire, confirmait que la Conférence Épiscopale Portoricaine avait respecté le droit en révoquant la reconnaissance canonique accordée jadis à la dite-Association.
- le 17 mars 1997, par une triple déclaration (“ A tous les prêtres de Porto Rico ”, “ Aux dévots de la Vierge du Rosaire du Puits ”, “ A tous les fidèles de l’Eglise catholique à Porto Rico ”), la Conférence Épiscopale Portoricaine renouvelait sa condamnation et ses interdictions.
Ces différents actes de l’Eglise enseignante n’ont pas suffi à faire cesser la dévotion à la Vierge du Rosaire de Sabana Grande, les pèlerinages sur les lieux et la diffusion des messages. Aussi, lors de leur visite ad limina à Rome, les évêques de Porto Rico ont-ils demandé à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de se prononcer sur les prétendues apparitions. Le 25 août 2000, après étude du dossier, Mgr Bertone, Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a adressé une lettre à Mgr Casiano Vargas, évêque de Mayagüez. La Congrégation romaine fait sien le jugement prononcé le 3 avril 1989 et estime, à son tour, que la surnaturalité des faits n’a pas été établie ( “ no consta la sobrenaturalidad de las presuntas “apariciones” de la Ssma. Virgen Maria en el Pozo de Sabana Grande ”).

II. Medjugorje
Cette déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur les faits de Sabana Grande est une nouvelle illustration de l’attitude de l’Eglise en matière d’apparitions et révélations privées. De manière habituelle, et comme le prévoit le Droit canon (l’ancien comme le nouveau), c’est à l’évêque du diocèse où se déroulent les faits que revient la responsabilité d’enquêter et de porter un jugement. La Conférence Épiscopale peut être appelée à se prononcer à son tour. Mais, à l’encontre de ce qu’affirment certains auteurs, le Saint-Siège peut être amené aussi à intervenir en dernière instance, à la demande de l’ordinaire du diocèse. C’est déjà arrivé à plusieurs reprises. Par exemple, en 1934, la Congrégation du Saint-Office a jugé que les apparitions et révélations d’Ezquioga (en Espagne) étaient “ dépourvues de tout caractère surnaturel ”.
Peut-être un jour - et c’est à souhaiter - la Congrégation pour la Doctrine de la Foi se prononcera-t-elle de manière définitive sur les prétendues apparitions de Medjugorje, dans le diocèse de Mostar, comme elle l’a fait sur celles de Sabana Grande. Pour le moment, la Congrégation s’est contentée de rappeler, par une lettre en date du 26 mai 1998, la déclaration de la Conférence Épiscopale de l’ex-Yougoslavie, en 1991 ( “ Sur la base des investigations jusqu’ici conduites, il n’est pas possible d’affirmer qu’il s’agisse d’apparitions ou de révélations surnaturelles ”) et d’estimer que la position de l’évêque de Mostar, Mgr Peric - “ constat de non supernaturalitate ” - était l’ “ expression d’une conviction personnelle ” La même Congrégation estime que les faits de Medjugorje “ demandent encore un examen par l’Eglise ”.
En 1998, après avoir publié plusieurs dizaines d’ouvrages sur Medjugorje et avoir mis au service de cette cause sa réputation de théologien et de mariologue, l’abbé René Laurentin avait annoncé, qu’à la demande de Mgr Peric, il cessait de publier sur le sujet. L’annonce était faite dans le volume 17 années d’apparitions à Medjugorje. Testament (éditions F.-X. de Guibert, 1998).
L’abbé Laurentin a changé d’avis. Il fait paraître un nouveau volume : Medjugorje. 18 années d’apparitions (F.-X. de Guibert, 148 pages). Le titre du livre, sa présentation, sa composition sont exactement à l’identique des dix-sept volumes précédemment parus. La seule différence est que l’abbé Laurentin n’en est plus officiellement l’auteur, il en est seulement le préfacier, son nom apparaît en gros caractères sur la couverture ...
Les ouvrages relatifs à Medjugorje et les bulletins qui diffusent les messages que la Vierge continuerait à y délivrer chaque mois sont innombrables, en toutes langues. Les études qui contestent l’authenticité des apparitions sont moins nombreuses et moins connues. Il n’est peut-être pas inutile de donner la liste des principales d’entre elles :
- Ivo Sivric, o.f.m., La Face cachée de Medjugorje, Editions Psilog, Saint-François-du-Lac (Canada), 1988, 399 pages.
- E. Michael Jones, Medjugorje : the untold story, Fidelity Press, South Bend (Etats-Unis), 1988, 144 pages.
- frère Michel de la Sainte Trinité, Medjugorje en toute vérité, Editions de la Contre-Réforme Catholique, Saint-Parres-lès-Vaudes, 1991, 519 pages.
- Michael Davies, Medjugorje after fifteen years : the message and the meaning, The Remnant Press, St. Paul (Etats-Unis), 1997, 79 pages.
- E. Michael Jones, The Medjugorje Deception. Queen of Peace, ethnic cleansing, ruined lives, Fidelity Press, South Bend (Etats-Unis), 1998, 385 pages.
- Joachim Bouflet, Medjugorje ou la fabrication du surnaturel, Editions Salvator, Paris, 1999, 243 pages.
Dans mon Enquête sur les apparitions de la Vierge (Perrin/Mame, 1995), j’ai évoqué les faits de Medjugorje dans le chapitre intitulé “ Apparitions controversées ” et dans l’Enquête sur les miracles de Lourdes (Perrin, 2000) j’ai évoqué les supposées guérisons survenues à Medjugorje ou en lien avec Medjugorje dans le chapitre intitulé “ Des miracles dans d’autres sanctuaires ”.
Ajoutons que le père Ivo Sivric, franciscain, natif de Medjugorje, longtemps professeur à l’université Duquesne, de Pittsburgh, va publier en 2001, avec Louis Bélanger, une nouvelle étude critique sur les “ apparitions yougoslaves ”, celles de Medjugorje mais aussi celles qui ont fleuri aux alentours, avant et après 1981, et qui n’ont pas eu le retentissement de celles de Medjugorje.

III. Soeur Lucie témoigne
Les entretiens accordés par soeur Lucie, en octobre 1992, au cardinal Padiyara et, en octobre 1993, au cardinal Vidal, sont contestés par certains (cf. les précédents numéros d’Alètheia) parce que la voyante de Fatima y exprime sa conviction que la consécration accomplie par Jean-Paul II en 1984 a enfin correspondu à ce que la Vierge avait demandé.
Certains estiment que ces entretiens (dont la retranscription est parue en français sous le titre Fatima. Soeur Lucie témoigne, éditions du Chalet, 1999, 117 pages) sont emplis d’affirmations que, selon eux, soeur Lucie n’aurait jamais pu faire. D’autres vont jusqu’à mettre en doute l’existence-même de ces entretiens.
J’ai déjà cité une lettre du cardinal Vidal, archevêque de Cebu (Philippines), confirmant qu’il existait bien un enregistrement vidéo de l’entretien qu’il avait eu en 1993 avec soeur Lucie. On peut ajouter que Carlos Evaristo, présent aux deux entretiens comme interprète, possède cet enregistrement (dans le système vidéo américain NTSC) et qu’il possède aussi un enregistrement audio de trois heures (les deux heures de l’entretien de 1992 et l’heure de l’entretien de 1993).
Le débat - si débat il y a - ne devrait donc pas porter sur l’authenticité des entretiens et de leur retranscription mais sur les arguments avancés par soeur Lucie. Aucun de ceux qui contestent ces entretiens de 1992 et 1993 ne s’est livré à une analyse détaillée des raisons données par soeur Lucie.

IV. Nouvelles
Une commission d’enquête sur les apparitions de la Vierge à l’Ile-Bouchard, en 1947, a été instituée par le nouvel archevêque de Tours, Mgr Vingt-Trois.
• Le Bureau Médical de Lourdes (65108 Lourdes) a élaboré un nouveau document de référence pour définir sa mission : le discernement des guérisons . Ce document de quatre pages, intitulé “ De la guérison au miracle ”, a été approuvé par le recteur des sanctuaires et par l’évêque de Tarbes-Lourdes. Il a été publié par le Bulletin du Bureau Médical (n° 272, octobre 2000). Il est disponible aussi en tiré à part, en cinq langues, et sur le site internet de Lourdes.
Yves Nicolazic, mort en 1645, a été le bénéficiaire d’une apparition de sainte Anne, à l’origine du grand sanctuaire breton d’Auray. Son procès de béatification avait été ouvert en 1937 puis avait été plus ou moins délaissé. Il a été réouvert par l’évêque de Vannes. Une commission diocésaine a été créée et les premiers résultats de ses travaux ont été déposés à la Congrégation pour les causes des saints.
• Du vivant de Paul VI, et après sa mort pendant plusieurs années, des écrits ont circulé qui affirmaient que le “ vrai ” Paul VI était séquestré et qu’il avait été remplacé par un sosie. Ces affirmations rocambolesques se fondaient sur de supposées apparitions de la Vierge, sur de prétendus exorcismes, sur des photographies et sur des sonogrammes. Cette rumeur, répandue dans certains milieux traditionalistes, permettait, semble-t-il, de faire porter la responsabilité de la crise de l’Eglise non au pape légitime mais à son sosie, manoeuvré par les francs-maçons.
Une rumeur proche commence à se répandre à propos de Jean-Paul II. Alain Kérizo et Louis Long, dans L’Eglise à l’aube du IIIe millénaire. Apostasie ou résurrection (Editions Sainte-Jeanne d’Arc, Villegenon, 1999, 52 pages), dressent une liste des “ anomalies certaines ” qui, selon eux, attestent de la manifestation “ du Mystère d’Iniquité à l’oeuvre sous les voûtes du Vatican ”. Dans cette liste, on trouve : “ le triple assassinat probable du colonel des gardes suisses, de son épouse et de son ordonnance en mai 1998 ; il est confirmé que ce colonel avait été le sosie de Jean-Paul II, qu’il semble avoir remplacé dans certains déplacements jusque dans le début des années 1990” (p. 37).
La même élucubration est reprise à la page 26 d’un roman à clefs, publié par deux auteurs qui signent du pseudonyme Napoléon et Lafayette : Opération M.S.H., la dernière croisade humanitaire (Editions Sainte Jeanne d’Arc, Villegenon, 2000, 234 pages).

12 novembre 2000

[Christian Thomas - Le Parisien] La messe de la réconciliation au Port-Marly

SOURCE - Christian Thomas - Le Parisien - 12 novembre 2000

A l'occasion de la messe du 11 Novembre, les traditionalistes qui occupent depuis 1985 une église du Port-Marly ont accepté de partager l'office religieux avec les catholiques fidèles à Rome. Un geste d'apaisement.
Traditionalistes et catholiques fidèles à Rome du Port-Marly, en guerre depuis quinze ans, ont signé l'armistice hier au cours d'une messe en commun célébrée dans l'église Saint-Louis à l'occasion du 11 Novembre. Drapeau tricolore des anciens combattants en tête, le maire, Philippe Godet, ceint de son écharpe de premier magistrat, ouvre la marche. Un catafalque recouvert d'un drap tricolore est dressé au milieu de l'allée centrale.

Sur le côté une gerbe de fleurs a été déposée devant la plaque de marbre qui rappelle les noms d'une quarantaine « d'enfants de la commune morts pour la France » pendant la Première Guerre mondiale. Deux prêtres sont présents, l'abbé Audin, le maître intégriste des lieux en soutane mais un peu en retrait, et l'abbé Heude qui, lui, célèbre l'office selon le rite du concile de Vatican 2 sur un autel faisant face à l'assemblée forte d'une bonne centaine de fidèles des deux clans. « Nous célébrons saint Martin, soldat romain devenu évêque de Tours qui, en déchirant son manteau pour couvrir un ennemi, est devenu symbole de la paix. Que les hommes et femmes prient pour la paix à tous les niveaux et même dans la paroisse, dans le respect de l'autre et quelles que soient nos différences. Cette église en est aujourd'hui un symbole », prêche l'abbé Heude qui, dans sa prière d'action de grâce, « appelle aussi à la réconciliation, au dialogue et à la compréhension pour mieux se connaître au Port-Marly ». Edifiée en 1780, cette église est occupée depuis 1985 par la communauté des proches de Mgr Lefèvre et se trouve en effet au coeur de la division de la commune. Les catholiques fidèles à Jean-Paul II ayant été contraints à se réfugier dans un préfabriqué en bois situé juste en face, de l'autre côté de la RN 186 après avoir, à plusieurs reprises, célébré la messe en signe de protestation au milieu de cette route à forte circulation. Une situation ambiguë à tel point que, le 24 septembre dernier, jour du référendum sur le quinquennat, à la suite de travaux dans la chapelle en bois, la messe a dû être dite dans la mairie sous la photo du président Chirac et le buste de Marianne voilés et avec l'accord du maire alors que les citoyens étaient obligés de voter dans un bâtiment annexe. Le lendemain, le préfet reprochait au maire ce crime de « lèse-république ». Depuis, les catholiques ont regagné leur chapelle en bois jusqu'à hier : « Cela fait sept ans que je travaille à cet accord. Il y a déjà eu des rencontres, cette messe de l'armistice est un grand pas, l'église est ouverte à tous en semaine, mais le dimanche il subsiste encore des problèmes d'horaires pour célébrer les deux offices les uns après les autres », nous précisait hier le père Audin.

1 novembre 2000

[Mgr Bernard Fellay - FSSPX] "Il y a trente ans, le 1er novembre 1970, Mgr Charrières..."

Mgr Bernard Fellay - FSSPX - Lettre du Supérieur Général de la FSSPX aux Amis et Bienfaiteurs n°59 - 1er novembre 2000

Chers Amis et Bienfaiteurs,

Il y a trente ans, le 1er novembre 1970, Mgr Charrières, évêque de Fribourg, signait le décret d’érection de notre Fraternité. Que d’événements ont marqué ces années A commencer par la reconnaissance louangeuse de la jeune Fraternité par l’Église tant au niveau des premiers diocèses où s’établit notre société qu’au niveau de Rome dans les premières années. En 1972 déjà, le Vatican lui-même engageait les premières démarches qui auraient dû conduire à l’octroi du droit pontifical assez rapidement, tandis que la Fraternité établissait l’un de ses premiers prêtres outre-mer.

Après ces débuts prometteurs vinrent bien vite les années d’épreuves. Alors que le séminaire d’Écône se remplissait rapidement, les mesures vexatoires se préparaient en haut lieu. En 1974 Mgr Etchegaray déclare à certains fidèles: «dans six mois, on ne parlera plus d’Écône ». Notre sort était donc décidé d’avance. Mais c’était compter sans la ténacité de notre valeureux fondateur, qui au nom des plus hauts principes résistera au rouleau compresseur qui aurait dû écraser dans son berceau l’œuvre de renouveau sacerdotal.

Le coup d’envoi, la visite canonique scandaleuse de 1974, scandaleuse dans le sens où les visiteurs ont scandalisé par leurs propos modernistes étudiants et professeurs, nous valut la fameuse déclaration du 21 novembre 1974 dont l’actualité est toujours aussi remarquable. Les entretiens à Rome devant une commission cardinalice confirmèrent Mgr Lefebvre dans ses appréhensions sur les orientations et l’action des autorités romaines d’alors : le salut des âmes, le souci de nourrir ces âmes aux sources de la grâce liturgique et d’une foi intègre ne semblait pas être leur fin, mais bien l’imposition des nouvelles réformes quel qu’en soit le résultat dévastateur.

« Je ne veux pas contribuer à détruire l’Église» dira Mgr Lefebvre plusieurs fois, comme un lancinant leitmotiv.

L’injuste suppression de la Fraternité en 1975 poussera Mgr Lefebvre à continuer l’œuvre à peine commencée avec courage. Les quolibets et les injures médiatisées pleuvront, les menaces et injonctions romaines et papales n’y feront rien : gardant tout son calme et sa douceur malgré l’épreuve, l’archevêque bientôt suspens de nouvelle messe continue vaille que vaille. Les magnifiques ordinations de 1976, autour desquelles il devint absolument clair que la simple célébration, même une seule fois, de la nouvelle messe « aurait tout arrangé », montrent la détermination de notre fondateur à ne pas marchander avec les principes. Nous puisons de ces années de guerre la détermination qui anime toute la Fraternité encore aujourd’hui.

Elles montrent aussi le regard supérieur sur les événements, la sagesse et la prévoyance de Mgr Lefebvre dans ces circonstances, obéir aurait été tout autre chose que la pratique de la vertu d’obéissance, cela aurait été desservir l’Église, lui porter un coup de plus, la priver d’une oeuvre de salut dont elle pourrait avoir bien besoin un jour. Au milieu du naufrage, on ne jette pas les bouées de sauvetage. Si la Rome d’alors présente l’attitude de la Fraternité comme une question de discipline ecclésiastique, la Fraternité elle, voit dans l’attitude de Rome à son égard la pointe d’un immense iceberg : rien de moins que la révolution dans l’Église [NOTE : Le cardinal Suenens a dit que Vatican Il, était 1789 dans l’Église].

L’introduction des principes maçonniques [NOTE : Yves Marsaudon, dans son livre L’œcuménisme vu par un Franc-Maçon de Tradition, parlant de la déclaration sur la liberté religieuse votée au concile, exprime sa joie et sa surprise lorsque résonnent sons la coupole de Saint-Pierre les thèses franc-maçonniques], la mise en harmonie avec le monde, les regards complaisants avec tout ce que l’Église avait considéré autrefois comme de dangereux ennemis, le libéralisme, le communisme même, avec l’ostpolitik, la philosophie moderne, un nouveau mode de frayer avec les autres religions que l’on ne veut plus appeler fausses, l’abandon de l’exclusivité de la mission salvatrice de l’Église [NOTE : Dominus Jesus essaie de corriger un peu, mais n’y arrive pas à cause de son attachement à l’œcuménisme] exprimé dans l’œcuménisme, tout cela faisait apparaître à Mgr Lefebvre la gravité de l’heure et le décidera quelques années plus tard à un autre acte salvateur, qui s’inscrit dans la ligne de tout ce qui précède : le sacre de quatre évêques. Lorsque nous parlons de nécessité au sujet de ces sacres, il s’agit de l’état de nécessité dans lequel se trouve l’Église, un état de dévastation sans précédent, que Rome avoue d’ailleurs à voix basse, dans lequel se trouvent avant tout les fidèles qui ne savent plus vers qui se diriger pour recevoir la manne qui nourrit et qui sauve.

Rome prophétise et espère le départ en masse des fidèles, annoncé avant les sacres, ainsi que les divisions internes, annoncées elles, au décès de Mgr Lefebvre. Au contraire, la Fraternité continue tranquillement son oeuvre de sanctification et de formation des prêtres.

Pendant ce temps et encore aujourd’hui, des évêques saluent à voix basse l’œuvre accomplie chez nous, et d’autres nous disent l’agonie de l’Église catholique dans plusieurs pays d’Europe. Et Rome ? Quelle position Rome adopte-t-elle par rapport à la Fraternité ? Par rapport au mouvement traditionnel ? Quelle pensée se cache derrière un silence étouffant ?

L’action de Rome sur la Fraternité Saint-Pierre est un bon indicateur.

Comment interpréter l’action entreprise contre la Fraternité Saint-Pierre, sinon comme la volonté globale de continuer dans l’impasse de la nouvelle messe ? Rome montre une cohérence dans sa ligne d’action qui n’a d’égal que son aveuglement: il faut à tout prix et partout infliger la nouvelle messe. Alors seulement et au goutte à goutte on permettra à certains des capitulés de goûter quelque saveur du rite ancien désormais voué à un rôle de musée. Quel triste et affligeant spectacle Pendant que de toutes parts les brèches sont ouvertes dans l’enseignement et la transmission de la doctrine catholique, pendant que la morale subit des coups inouïs (morale conjugale, homosexualité) en beaucoup de pays — et nous parlons ici des prises de position épiscopales — on finira par croire que la seule chose défendue, le seul comportement prohibé est une vie catholique normale, fidèle intégralement à l’enseignement et à la discipline pluriséculaire. Les fruits sont là, criants : qu’attend donc Rome pour changer de cap et reconnaître la légitimité de notre refus de saborder la Religion sur notre contestation du concile, de ses ambiguïtés, de ses erreurs, de sa mise en application par les réformes post-conciliaires. Alors qu’elle reconnaît par une voix cardinalice que les fruits (de la Fraternité) sont bons, que le Saint-Esprit est à l’œuvre dans la Fraternité Pourquoi continuer à nous désigner ou nous laisser désigner comme l’ennemi numéro un ? De toutes parts les vrais destructeurs de l’Église sont à l’œuvre, les vrais contestataires de l’autorité pontificale ont les coudées franches et se moquent ouvertement des rappels à l’ordre désormais quasi impuissants.

« Ces gens sont dangereux » a dit de nous le Père Abbé de Saint-Paul-hors-les-Murs lors de notre pèlerinage romain. Mais dangereux pour qui?

L’Église a connu pendant ces trente dernières années un tournant spectaculaire : la mise en pratique de Vatican Il par une suite de réformes qui ont touché tous les domaines de la vie ecclésiale a changé la face de l’Église. Ainsi, les différences entre les prêtres, les fidèles «Novas Ordo » et ceux de la Fraternité sont bien marquées. On a pu le voir lors de notre pèlerinage à Rome cet été. Le contraste entre notre passage et les journées des JMJ fut immense : deux mondes. Le Vatican a dû tout simplement changer ses règles morales concernant l’habillement pour laisser entrer les jeunes dans les basiliques romaines...

Oui, ces trente années ont été bien mouvementées. Et nous devons rendre grâces à Dieu tout particulièrement de nous avoir permis de conserver notre identité catholique au milieu de tant de bouleversements. Et nous vous remercions, chers fidèles et bienfaiteurs, pour votre soutien généreux sans lequel notre épopée n’aurait certainement pas connu les développements et les résultats actuels. Nous comptons plus de quatre cents prêtres disséminés sur les cinq continents, une soixantaine de pays reçoivent le secours de la Tradition dont cinquante par le passage ou l’apostolat régulier du prêtre. Un peu partout, les garages cèdent la place à des édifices plus dignes du nom d’église. L’effort de construction est tout simplement immense : ces dernières années, la Fraternité a construit une cinquantaine d’églises dans le monde entier, alors qu’un effort encore plus grand est porté envers les écoles dont le nombre s’élève à environ soixante-dix. Aurons-nous le nombre de prêtres suffisant pour continuer la tâche ? Nos séminaires comptent quelques 180 aspirants au sacerdoce, mais cela est loin au-dessous de nos besoins. Nous vous confions cette importante intention de prière.

L’édification spirituelle de vos âmes, qui ne se chiffre pas, compte bien davantage aux yeux de Dieu et des nôtres que tout succès temporal. Le bien de vos familles nous est plus cher que tous ces édifices.

En cet anniversaire, nous demandons au Cœur Immaculé de Marie de vous rendre en grâces votre générosité grâces de charité, grâces de paix, grâces de courage inlassable qui ne fléchit pas. Daigne ce même Cœur auquel la Fraternité est consacrée, la protéger, la faire croître toujours plus et l’animer toujours mieux du zèle qui animait les apôtres pour répandre en tous lieux ce feu que Notre Seigneur brûlait d’allumer partout.

Dieu vous bénisse abondamment.

Zaitzkofen, 1er novembre 2000

En la fête de tous les saints
+ Bernard Fellay, Supérieur Général