15 septembre 1988

[Mgr Lefebvre - Fideliter] «Je poserai mes conditions a une reprise éventuelle des colloques avec Rome»

SOURCE - Mgr Lefebvre - Fideliter - septembre/octobre 1988

Nous n'avons pas la même façon de concevoir la réconciliation. Le cardinal Ratzinger la voit dans le sens de nous réduire, de nous ramener à Vatican II. Nous, nous la voyons comme un retour de Rome à la Tradition. On ne s'entend pas. C'est un dialogue de sourds. Je ne peux pas beaucoup parler d'avenir, car le mien est derrière moi. Mais si je vis encore un peu, et en supposant que d'ici a an certain temps Rome fasse un appel, qu'on veuille nous revoir, reprendre langue, à ce moment-là, c'est moi qui poserai les conditions.
 
Je n'accepterai plus d'être dans la situation où nous nous sommes trouvés lors des colloques. C'est fini. Je poserai la question au plan doctrinal : « Est-ce que vous êtes d'accord avec les grandes encycliques de tous les papes qui vous ont précédés ? Est-ce que vous êtes d'accord avec Quanta Cura de Pie IX, Immortale Dei, Libertas Praestantissimum de Léon XIII, Pascendi de Pie X, Quas Primas de Pie XI, Humani generis de Pie XII ?

Est-ce que vous êtes en pleine communion avec ces papes et avec leurs affirmations ? Est-ce que vous acceptez encore le serment antimoderniste ? Est-ce que vous êtes pour le règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ ? Si vous n'acceptez pas la doctrine de vos prédécesseurs, il est inutile de parler. Tant que vous n'aurez pas accepté de reformer le Concile, en considérant la doctrine de ces papes qui vous ont précédé, il n'y a pas de dialogue possible. C'est inutile ».

Les positions seraient ainsi plus claires.
 
Ce n'est pas une petite chose qui nous oppose. II ne suffit pas qu'on nous dise : « Vous pouvez dire la messe ancienne, mais il faut accepter cela [le Concile] ». Non, ce n'est pas que cela (la messe) qui nous oppose, c'est la doctrine. C'est clair.

C'est ce qui est grave chez dom Gérard et c'est ce qui l'a perdu. Dom Gérard n'a toujours vu que la liturgie et la vie monastique. II ne voit pas clairement les problèmes théologiques du Concile, de la liberté religieuse. Il ne voit pas la malice de ces erreurs. Il n'a jamais été très soucieux de cela. Ce qui le touchait, c'était la réforme liturgique, la réforme des monastères bénédictins. Il est parti de Tournay en disant : " je ne peux pas accepter cela". Alors, il a reformé une communauté de moines avec la liturgie, dans la pensée bénédictine. Très bien, c'était magnifique. Mais je pense qu'il n'a pas suffisamment mesure que ces reformes qui l'avaient amené à quitter son monastère étaient la conséquence des erreurs qui sont dans le Concile. Pourvu qu'on lui accorde ce qu'il cherchait, cet esprit monastique et la liturgie traditionnelle, il a ce qu'il veut et le reste lui est indifférent. Mais il tombe dans un piège, car les autres n'ont rien cédé sur ces faux principes.

C'est dommage, car cela fait tout de même soixante moines, dont une vingtaine de prêtres et trente moniales. II y a presque une centaine de jeunes qui sont là, complètement désemparés et dont les familles sont inquiètes ou même divisées.
C'est désastreux.

+ Marcel LEFEBVRE

Mgr Lefebvre, « Je poserai mes conditions a une reprise éventuelle des colloques avec Rome » dans Fideliter n° 66 (septembre-octobre 1988), p. 12-14.

9 septembre 1988

[Xavier Renard - Le Monde] Catholiques " Missa pretexta "

SOURCE - Xavier Renard - Le Monde - 9 septembre 1988

Des signes multiples depuis vingt ans ont été ignorés et nous voici au schisme. Il y a là matière à réflexion, trop tard bien sûr comme chaque fois que l'aveuglement est volontaire.
     
En cette affaire il y a deux " camps " : le peuple des fidèles, avec ses droits, ses sensibilités, ses coutumes légitimes, d'une part, et, d'autre part, les clercs avec leur mentalité et leur pouvoir.
      
Commençons par les seconds. Il semble que seule la France ait eu des clercs de combat capables de mener leur croisade au nom du concile - leur concile, - nouvelle Bible de type genevois par l'utilisation faite ; excluant toute discussion, n'ayant qu'une interprétation - la leur - et donc chacun la sienne ! En dépit des nombreux textes de l'épiscopat réglementant la mise en œuvre catholique des réformes conciliaires. Tout cela s'exprimant dans un nouveau ritualisme (parfois douteux) et un nouveau sacramentaire excluant dans certains cas jusqu'à la délivrance des sacrements ; chaque clerc en la matière était un prophète inspiré. Bref l'Eglise catholique monolithique et uniforme est devenue un compromis permanent entre une Réforme à très libre interprétation et l'auberge espagnole. Obéissance vertu première du lien sacerdotal n'exista plus, libre expérience devint le dogme.
      
Parmi les clercs, il faut parler des évêques. La belle invention de ce temps fut la collégialité - nivellement par la moyenne (mediocrus) - bâillonnement des empêcheurs d'innover peut-être, prime donnée aux indécis sans doute ; tranquillité assurée dans une période difficile, alors qu'il aurait fallu des hommes de caractère. L'Apocalypse parle de ceux qui ne sont ni chauds ni froids... Quand un curé parisien fit, vers 1968, sur la TV nationale, un acte de " foi " en la non-divinité du Christ, il ne se passa rien; il resta curé cum cura animarum. Scandale pour les petits...
     
Parlons maintenant du peuple fidèle.
      
Il a subi. Même si autour des clercs avant-gardistes des petits groupes ont toujours fait illusion, le peuple, c'est-à-dire les humbles, les petits pour lesquels le Christ est justement venu, cette nouvelle démocratie (?) ecclésiastique ne l'a jamais consulté. L'arbitraire fut total, tout fut imposé en matière de changements et d'innovations par des petites chapelles et leurs gourous. Tout fut noyauté par et dans des " équipes " avec les méthodes les plus insidieuses du terrorisme intellectuel.
      
Il fallait réformer. Il fallait purifier. J'ai vu la montée des catharismes paroissiaux ! Mais la sensibilité du peuple de Dieu dans tout ça ? L'éducation, qui revient au magistère, n'a rien à voir avec cette violence. A tous ces nervis prompts à épurer la foi du charbonnier, il manquait le sentire cum ecclesia qui permet de faire cheminer le troupeau en le faisant vivre et en le servant selon ses vrais besoins. Le volcanique Paul savait aussi bien donner le lait spirituel aux faibles que porter le fer de la vérité chez ceux qui s'égaraient. Nous n'avons eu ni l'un ni l'autre.
      
Il n'est question que de s'ouvrir à l'autre, aux autres. Plus ils sont divers, étranges, lointains, voire bizarres, mieux c'est ! Et cela évite surtout de voir et d'entendre le peuple qui est là, avec lui aussi sa sensibilité culturelle, issue elle aussi d'une tradition respectable, véhiculant elle aussi ses vraies valeurs ! Et cela évite de lui donner ses droits dont le concile est plein justement à propos de liturgie et qui ont été précisés par de nombreux textes de la conférence épiscopale ; ce que chaque clerc utilise ou non à sa convenance, comme si le ministre était le maître et non plus le dépositaire d'une charge, un serviteur.
      
Dans notre confession catholique le signe, comme chez les orthodoxes, fait partie de la manifestation divine. L'incarnation est LE signe et le sacrement est présence divine. Nos clercs n'ont pas cherché ce qu'un ethnologue respectueux aurait fait - savoir quel était notre code de signes " actifs " et " passifs "; ceux que l'on pouvait supprimer sans risque et ceux qui servaient de lien avec le divin.
      
La liturgie est faite pour le peuple, et le concile dit bien que nul en particulier n'en dispose. C'est dans sa liturgie que s'exprime la foi du peuple, car notre religion est une religion d'incarnation, notre nature humaine a besoin de signes, nous ne sommes pas des Cathares. Et cependant ce support millénaire nous a été enlevé, pis : a été prohibé (je parle du rite latin, je ne veux pas entrer dans une querelle trop connue).
     
Alors que tout est réformable, l'ancienne liturgie a été honteusement chassée par ses serviteurs, mais la belle pédagogie que voilà : au nom de quoi et de l'avis de qui ? pour mettre quoi à la place ? Des expériences dont le droit canon excommuniait leurs auteurs au motif qu'ils faisaient tort au peuple en ne lui donnant pas exactement ce que l'Eglise (mater et magistra) avait approuvé et reconnu comme usage légitime et qu'elle seule pouvait changer. Une culture religieuse authentique a été piétinée. Il fallait éduquer et non jeter l'anathème ! Le résultat est connu; privée de ses supports (réformables encore une fois), toute foi s'écroule. La foi des humbles n'était pas méprisable même si l'on croyait voir dans le latin - entre autres - de la magie, quand il n'y avait pour eux que du mystère, une tradition respectée et aussi de la beauté, ce qui n'interdit pas de prier, au contraire.
     
Chaque Eglise et ses trésors spirituels et matériels, le chant grégorien et le latin faisaient partie des nôtres. Le beau était au service de la foi, au nom de quoi cela nous a-t-il été enlevé et en a-t-on privé nos enfants ? Notre chant religieux millénaire est devenu un objet de culture pour intellectuels athées ! De nouveaux barbares ont coupé les formes de la foi de leurs références culturelles et ils s'étonnent d'une déchristianisation ! Ils ont eux mêmes supprimé les signes extérieurs pour s'y reconnaître !
     
Le peuple chrétien a été violenté, le troupeau s'est dispersé, et dans la cathédrale Notre-Dame de Paris la liturgie de Saint Pie V a déroulé ses fastes quelques instants début juillet; pourquoi ? Ou les clercs avaient raison et c'est un simulacre condescendant, ou ils avaient tort et c'est, au mieux, une messe pour le temps de nécessité, au pis une messe pour implorer un pardon !
     
A une époque j'appelais cela la missa pretexta car les prêtres y " vendaient " toujours autre chose que l'action de grâces à Dieu pour son Christ mort et ressuscité. Aujourd'hui cela m'afflige tout autant car le mal vient de l'intérieur et que tout royaume divisé contre lui-même périra. Certes l'Eglise en a vu d'autres mais cette fois une rupture se produit à la suite d'une sorte de persécution interne. Aucun dogme n'est en cause. Des fidèles ne trouvant pas leur dû se sont regroupés par nécessité. A qui la faute ? Aux serviteurs infidèles ou à ceux qui attendent justice ? Je ne vois pour ma part pas très bien où est la matière à schisme.
     
Je sais les objections que l'on me fera : tout ce mouvement de fidèles attachés à une certaine tradition n'est qu'un ramassis de vieux nostalgiques au mieux, ou d'extrême droite au pis. Fumée que de tels arguments ! Il y a de tout chez les uns et chez les autres, chaque groupe a ses excités ! Je trouve bien pernicieux que les luttes politiques infiltrent l'Eglise et fassent de la religion un prétexte à message tendancieux. La religion ne peut être neutre parce qu'elle engage tout l'homme mais elle doit être charitable et non sectaire "Supportez-vous les uns les autres" disait Paul. Et quelle charité active s'est déployée depuis vingt ans pour garder leur place à ceux que l'on met dehors aujourd'hui ? Rien à part quelques messes en latin pour tout Paris (et qu'en était-il en province...), tout le reste fut une exclusion permanente.
     
Nous connaissons tous quantité d' " exemples " édifiants qui ont coupé le peuple chrétien de ses racines religieuses, mais, hormis l'abandon absolu du latin, le plus grave certainement fut cette désobéissance continue, baptisée du nom d'expérience, de recherche : vaccinations théologiques détruisant ou reprenant les dogmes, nouveau catéchisme, nouvelles liturgies, discipline traditionnelle disparue, morale relative devenue nouvelle norme, sacrements " réactualisés "; sans parler de cette langue de bois qui " fait Eglise, pose problème, interpelle, fait question " et montre autant d'orthodoxie envers la langue française qu'envers la foi ! Même quand les changements s'imposaient et que l'Eglise réglementait légitimement en la matière, il y eut toujours cette désobéissance pernicieuse lors de l'application. De pédagogie point ; de l'outrance, des coups de force trop souvent, hélas !
     
Alors pour beaucoup il fallait ou subir ou constater que l'on n'était plus chez soi.
     
Ils reviendront, mais cette fois avec les mêmes honneurs que l'on prodigue aux orthodoxes et aux anglicans, en leur reconnaissant - enfin - le droit à la tradition latine et romaine qu'ils réclamaient. Ce sera piquant...
     
Pour terminer, j'observe que cette querelle est française. Le gallicanisme du clergé français a réussi à chasser l'ultramontanisme de la tradition romaine, mais pour la première fois c'est Rome qui a donné raison à l'Eglise gallicane ! Rome n'est plus dans Rome... A qui en appeler ?
     
Xavier RENARD
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Xavier Renard se présente comme un " catholique de base à qui l'on n'a jamais rien demandé et qui est bien content d'avoir pu enfin le dire ! "

6 juillet 1988

[24 prêtres de la FSSPX] Lettre ouverte à Son Eminence le Cardinal Gantin, préfet de la Congrégation des Evêques

Vingt-quatre prêtres de la FSSPX - 6 juillet 1988

Ecône - Éminence, Réunis autour de leur Supérieur général, les Supérieurs des districts, séminaires et maisons autonomes de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, pensent bon de vous exprimer respectueusement les réflexions suivantes.

Vous avez cru devoir, par votre lettre du 1e juillet passé, faire savoir à Son Excellence Monseigneur Marcel Lefebvre, à Son Excellence Monseigneur Antonio de Castro Mayer et aux quatre évêques qu'ils ont consacrés le 30 juin dernier à Ecône, leur excommunication latae sententiae. Veuillez vous-mêmes juger de la valeur d'une telle déclaration venant d'une autorité qui, dans son exercice, rompt avec celle de tous ses prédécesseurs jusqu'au pape Pie XII, dans le culte, l'enseignement et le gouvernement de l'Eglise.*

Pour nous, nous sommes en pleine communion avec tous les papes et tous les évêques qui ont précédé le Concile Vatican II, célébrant exactement la messe qu'ils ont codifiée et célébrée, enseignant le catéchisme qu'ils ont composé, nous dressant contre les erreurs qu'ils ont maintes fois condamnées dans leurs encycliques et leurs lettres pastorales. Veuillez donc juger de quel côté se trouve la rupture. Nous sommes extrêmement peinés de l'aveuglement d'esprit et de l'endurcissement de cœur des autorités romaines.

En revanche, nous n'avons JAMAIS VOULU APPARTENIR à ce système qui se qualifie lui-même d'Eglise Conciliaire, et se définit par le Novus Ordo Missae, l'œcuménisme indifférentiste et la laïcisation de toute la Société. Oui, nous n'avons aucune part, nullam partem habemus, avec le panthéon des religions d'Assise ; notre propre excommunication par un décret de votre Eminence ou d'un autre dicastère n'en serait que la preuve irréfutable.

Nous ne demandons pas mieux que d'être déclarés ex communione de l'esprit adultère qui souffle dans l'Eglise depuis vingt-cinq ans, exclus de la communion impie avec les infidèles. Nous croyons au seul Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec le Père et le Saint-Esprit, et nous serons toujours fidèles à Son unique Epouse, l'Eglise Une, Sainte, Catholique, Apostolique et Romaine.

Être donc associés publiquement à la sanction qui frappe les six évêques catholiques, défenseurs de la foi dans son intégrité et son intégralité, serait pour nous une marque d'honneur et un signe d'orthodoxie devant les fidèles. Ceux-ci ont en effet, un droit strict à savoir que les prêtres auxquels ils s'adressent ne sont pas de la communion d'une contrefaçon d'Eglise, évolutive, pentecôtiste, et syncrétiste. Unis à ces fidèles, nous faisons nôtres les paroles du prophète (I Rois, VII, 3) : Preparate corda vestra Domino et servite Illi Soli : et liberabit vos de manibus inimicorum vestrorum. Convertimini ad Eum in toto corde vestro, et auferte deos alienos de medio vestri.
"Attachez fermement votre cœur au Seigneur et servez-le Lui Seul : et Il vous délivrera des mains de vos ennemis. C'est de tout Notre cœur que vous devez revenir à Dieu ; ôtez du milieu de vous les dieux étrangers"
Confiants dans la protection de Celle qui a terrassé toutes les hérésies dans le monde entier, nous vous prions d'agréer, Éminence, l'assurance de notre dévouement à Celui qui est l'unique voie de salut.
 
A Ecône, le 6 juillet 1988
 
M. l'abbé Franz Schmidberger, supérieur général,
MM. les abbés Paul Aulagnier, supérieur du district de France,
Franz-Joseph Maessen, supérieur du district d'Allemagne,
Edward Black, supérieur du district de Grande-Bretagne,
Anthony Esposito, supérieur du district d'Italie,
François Laisney, supérieur du district des Etats-Unis,
Jacques Emily, supérieur du district du Canada,
Jean-Michel Faure, supérieur du district du Mexique,
Gérard Hogan, supérieur du district d'Australie et Nouvelle-Zélande,
Alain Lorans, directeur du séminaire d'Ecône,
Jean-Paul André, directeur du séminaire de Flavigny,
Paul Natterer, supérieur du séminaire de Zaitzkofen,
Andrés Morello, supérieur du séminaire de La Reja,
William Welsh, directeur du séminaire de la Sainte-Croix en Australie,
Michel Simoulin, recteur de l'institut Saint-Pie X à Paris,
Patrice Laroche, sous-directeur du séminaire d'Ecône,
Philippe François, supérieur de la maison autonome de Belgique et du Luxembourg,
Roland de Mérode, supérieur de la maison autonome des Pays-Bas,
Georg Pfluger, supérieur de la maison autonome d'Autriche,
Guillaume Devillers, supérieur de la maison autonome d'Espagne,
Philippe Pazat, supérieur de la maison autonome du Portugal,
Daniel Couture, supérieur de la maison autonome d'Irlande,
Patrick Groche, supérieur de la maison autonome du Gabon,
Franck Peek, supérieur de la maison autonome d'Afrique australe.

3 juillet 1988

[Abbé Fernando Arêas Rifan - Campos] Lettre à Dom Gérard

SOURCE - Abbé Fernando Arêas Rifan - 3 juillet 1988

Le Barroux, le 3 juillet 1988
 
Cher Dom Gérard Calvet,
Laudetur Jesus Christus !

L’amitié sincère qui nous unit, à vous et aux monastères du Barroux et du Brésil, me permet de vous dire ici, un peu, les sentiments de mon cœur sacerdotal.

Je crois que seul l’amour de Notre Seigneur, de la Sainte Eglise et des âmes nous anime.

J’ai eu connaissance de la visite des envoyés de Rome à notre cher Monastère du Barroux. Certainement, ils vont proposer des accords.

L’étude détaillée du cas de Mgr Lefebvre me permet de constater le véritable piège dans lequel ils cherchent à nous faire tomber. Ils ne sont pas sincères. Ils l’ont démontré ; juste après la signature du protocole, ils demandaient déjà plus : que nous reconnaissions les erreurs doctrinales que nous avons commises ; après, la célébration de la Nouvelle Messe à St Nicolas, etc.

Voyons ce qui est arrivé avec Dom Augustin ! Il a commencé en se séparant de nous. Maintenant il est déjà en train de donner la communion dans la main ! Le chemin est glissant. Ils ont commencé en voulant la légalité. Après, ils ont dû recevoir l’Evêque pour célébrer la Messe au Monastère. Ils ont terminé avec la communion dans la main.

Notre Seigneur nous demande d’unir la simplicité de la colombe à l’adresse du serpent.

Cher Dom Gérard, l’affection que nous avons pour le Monastère nous pousse à vous demander de ne pas faire ces accords avec ceux qui ne veulent pas le bien de l’Eglise.

Le Cardinal Gagnon a déclaré (dans nos journaux brésiliens) que la tactique du Vatican sera, désormais, de bien traiter les traditionalistes afin de les séparer de Mgr Lefebvre. Diviser pour vaincre.

C’est clair : si nous restons tous unis, les ennemis auront peur et reculeront. “Vis unita fit fortior”. Si il y avait un accord de la part de quelques uns d’entre nous, ce serait l’affaiblissement général de la Tradition. Le meilleur service que nous pouvons rendre à la Sainte Eglise, est de résister ensemble.

C’est au nom de cette union que nous avons publié dans notre Bulletin “Heri et hodie” votre sermon “5 raisons pour un sacre épiscopal”, où vous nous incitez à avoir confiance en Mgr Lefebvre. Comme votre article a aidé à rassurer les consciences !

De plus, nous devons considérer la situation de toute l’Eglise et non vouloir résoudre seulement notre cas particulier. Ce serait une trahison à la cause pour laquelle nous combattons ensemble depuis déjà tant de temps.

D’autant plus qu’ils confessent leur tactique insidieuse ! Ce serait le comble de l’ingénuité de croire en ce piège.

En plus, tous savent que Dieu vous réserve un rôle providentiel dans l’Eglise d’aujourd’hui. Tous reconnaissent ce que Dieu fait par votre intermédiaire et par votre influence.

Cher Dom Gérard, c’est la Chrétienté de demain qui implore votre fermeté. Aidez-nous, par votre exemple, à rester ferme.

Si le Monastère du Barroux fait un tel accord, cher Dom Gérard avez-vous déjà pensé aux troubles que cela créera dans les milieux traditionalistes ? Et aux divisions qui se produiront dans le Monastère ? Au Brésil, la répercussion sera catastrophique. Le Monastère da Santa Cruz pourra aller jusqu’à disparaître. Les fidèles de Campos n’y iront plus. Nos prêtres ne donneront plus leur appui. Les vocations disparaîtront, et ceux qui s’y trouvent, peut-être, sortiront tous. Ce sera une disgrâce ! Et après tout l’appui donné par les prêtres de Campos, tous les efforts faits par le Père Possidente pour les vocations du Monastère, parcourant le diocèse avec les moines, une trahison comme celle-ci serait une déception pour tout le diocèse de Campos et pour tout le Brésil.

J’ai reçu beaucoup de correspondance du Père L. M. de Blignières accompagnant sa régression. La revue “30 Giorni” publie un article sur sa nouvelle position montrant comment les traditionalistes peuvent se “convertir” au progressisme. Je ne sais pourquoi il dépense autant d’énergie pour défendre la liberté religieuse du Concile, faisant une étude traditionnelle du texte, si Rome elle-même l’interprète dans le sens d’“Assise” ? ! L’arbre se reconnaît à ses fruits : l’arbre bon ne peut pas donner de mauvais fruits. “Assise” est le fruit de “Dignitatis Humanae”. L’œcuménisme actuel, l’indifférentisme religieux des états, patronnés par le Vatican, la laïcisation de la société, sont les fruits de “Dignitatis Humanae”. Et le Cardinal Ratzinger lui-même confesse (dans une interview à “Jésus”) que “Dignitatis Humanae” est l’anti-syllabus !

Et on ne peut pas argumenter en affirmant que, dans d’autres lieux, la vérité est maintenue. Il est nécessaire de savoir reconnaître que nous avons affaire à des Modernistes et à un Concile Moderniste ! St Pie X l’a déjà démasqué dans “Pascendi”, quand il dit : si nous lisons une de leur page nous avons la parfaite doctrine traditionnelle, mais quand nous tournons la page nous rencontrons l’hérésie. Il est bon de se rappeler le principe que la pire fausse-monnaie est celle qui apparaît comme vraie. Et elle est d’autant plus dangereuse qu’elle y ressemble davantage.

Cher Dom Gérard, je vous demande pardon de vous écrire tout cela mais c’est notre amitié sincère et notre affection pour votre Monastère qui nous a poussé à l’écrire. L’heure est grave. Nous restons unis dans la prière et dans l’identité de doctrine. Que votre enthousiasme pour la cause de l’Eglise
 
Que Notre Dame de la Sainte Espérance nous garde unis dans le même idéal.
 
Vôtre,
En Jésus et Marie,
P. Fernando Arêas Rifan

2 juillet 1988

[Vatican] Motu Proprio "Ecclesia Dei" de S.S. le pape Jean-Paul II

Vatican - 2 juillet 1988

1. C'est avec beaucoup de tristesse que l'Eglise de Dieu a appris l'ordination épiscopale illégitime conférée le 30 juin dernier par Mgr. Marcel Lefebvre, qui a rendu vains tous les efforts que le Saint-Siège a déployés ces dernières années pour assurer la pleine communion avec l'Eglise de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X fondée par le même Mgr. Lefebvre. Tous ces efforts, spécialement ceux de ces derniers mois particulièrement intenses, n'ont servi à rien alors que le Siège apostolique a fait preuve de patience et d'indulgence jusqu'à la limite du possible(1).

2. Cette tristesse est particulièrement ressentie par le successeur de Pierre à qui revient en premier de veiller à l'unité de l'Eglise(2), même si le nombre des personnes concernées directement par ces événements est relativement réduit. Car chaque personne est aimée de Dieu pour elle-même et a été rachetée par le sang du Christ versé sur la Croix pour le salut de tous les hommes.
Les circonstances particulières, objectives et subjectives, qui entourent l'acte accompli par Mgr. Lefebvre offrent à tous l'occasion d'une réflexion profonde et d'un engagement renouvelé de fidélité au Christ et à son Eglise.

3. En lui-même, cet acte a été une désobéissance au Souverain Pontife en une matière très grave et d'une importance capitale pour l'unité de l'Eglise, puisqu'il s'agit de l'ordination d'évêques par laquelle se perpétue sacramentellement la succession apostolique. C'est pourquoi une telle désobéissance, qui constitue en elle-même un véritable refus de la primauté de l'évêque de Rome, constitue un acte schismatique(3). En accomplissant un tel acte malgré la monition formelle qui lui a été envoyée par le cardinal préfet de la Congrégation pour les Evêques le 17 juin dernier, Mgr. Lefebvre a encouru avec les prêtres Bernard Fellay, Bernard Tissier de Mallerais, Richard Williamson et Alfonso de Galarreta, la grave peine de l'excommunication prévue par la discipline ecclésiastique(4).

4. A la racine de cet acte schismatique, on trouve une notion incomplète et contradictoire de la Tradition. Incomplète parce qu'elle ne tient pas suffisamment compte du caractère vivant de la Tradition qui, comme l'a enseigné clairement le Concile Vatican II, « tire son origine des apôtres, se poursuit dans l'Eglise sous l'assistance de l'Esprit-Saint : en effet, la perception des choses aussi bien que des paroles transmises s'accroît, soit par la contemplation et l'étude des croyants qui les méditent en leur cœur, soit par l'intelligence intérieure qu'ils éprouvent des choses spirituelles, soit par la prédication de ceux qui, avec la succession épiscopale, reçurent un charisme certain de vérité »(5).
Mais c'est surtout une notion de la Tradition, qui s'oppose au Magistère universel de l'Eglise lequel appartient à l'évêque de Rome et au corps des évêques, qui est contradictoire. Personne ne peut rester fidèle à la Tradition en rompant le lien ecclésial avec celui à qui le Christ, en la personne de l'apôtre Pierre, a confié le ministère de l'unité dans son Eglise(6).
 
5. Devant une telle situation, j'ai le devoir d'attirer l'attention de tous les fidèles catholiques sur quelques points que cette triste circonstance met en lumière.

a) Le résultat auquel a abouti le mouvement promu par Mgr. Lefebvre peut et doit être une occasion pour tous les fidèles catholiques de réfléchir sincèrement sur leur propre fidélité à la Tradition de l'Eglise, authentiquement interprétée par le Magistère ecclésiastique, ordinaire et extraordinaire, spécialement dans les Conciles œcuméniques, depuis Nicée jusqu'à Vatican II. De cette réflexion, tous doivent retirer une conviction renouvelée et effective de la nécessité d'approfondir encore leur fidélité à cette Tradition en refusant toutes les interprétations erronées et les applications arbitraires et abusives en matière doctrinale, liturgique et disciplinaire.
C'est en premier lieu aux évêques, à cause de leur mission pastorale propre, que revient le grave devoir d'exercer une vigilance clairvoyante, pleine de charité et de fermeté, afin qu'une telle fidélité soit partout sauvegardée(7).
Mais tous les pasteurs et les autres fidèles doivent aussi avoir une conscience nouvelle non seulement de la légitimité mais aussi de la richesse que représente pour l'Eglise la diversité des charismes et des traditions de spiritualité et d'apostolat. Cette diversité constitue aussi la beauté de l'unité dans la variété : telle est la symphonie que, sous l'action de l'Esprit-Saint, l'Eglise terrestre fait monter vers le ciel.
 
b) Je voudrais en outre attirer l'attention des théologiens et des autres experts en science ecclésiastique afin qu'ils se sentent interpellés eux aussi par les circonstances présentes. En effet, l'ampleur et la profondeur des enseignements du Concile Vatican II requièrent un effort renouvelé d'approfondissement qui permettra de mettre en lumière la continuité du Concile avec la Tradition, spécialement sur des points de doctrine qui, peut-être à cause de leur nouveauté, n'ont pas encore été bien compris dans certains secteurs de l'Eglise.
 
c) Dans les circonstances présentes, je désire avant tout lancer un appel à la fois solennel et ému, paternel et fraternel, à tous ceux qui, jusqu'à présent, ont été, de diverses manières, liés au mouvement issu de Mgr. Lefebvre, pour qu'ils réalisent le grave devoir qui est le leur de rester unis au Vicaire du Christ dans l'unité de l'Eglise catholique et de ne pas continuer à soutenir de quelque façon que ce soit ce mouvement. Nul ne doit ignorer que l'adhésion formelle au schisme constitue une grave offense à Dieu et comporte l'excommunication prévue par le droit de l'Eglise(8).
A tous ces fidèles catholiques qui se sentent attachés à certaines formes liturgiques et disciplinaires antérieures de la tradition latine, je désire aussi manifester ma volonté - à laquelle je demande que s'associent les évêques et tous ceux qui ont un ministère pastoral dans l'Eglise - de leur faciliter la communion ecclésiale grâce à des mesures nécessaires pour garantir le respect de leurs aspirations.
 
6. Compte tenu de l'importance et de la complexité des problèmes évoqués dans ce document, je décrète :

a) Une Commission est instituée, qui aura pour mission de collaborer avec les évêques, les dicastères de la Curie romaine et les milieux intéressés, dans le but de faciliter la pleine communion ecclésiale des prêtres, des séminaristes, des communautés religieuses ou des religieux individuels ayant eu jusqu'à présent des liens avec la Fraternité fondée par Mgr. Lefebvre et qui désirent rester unis au successeur de Pierre dans l'Eglise catholique en conservant leurs traditions spirituelles et liturgiques, à la lumière du protocole signé le 5 mai par le cardinal Ratzinger et Mgr. Lefebvre.

b) Cette Commission et composée d'un cardinal président et d'autres membres de la Curie romaine dont le nombre sera fixé selon les circonstances.

c) On devra partout respecter les dispositions intérieures de tous ceux qui se sentent liés à la tradition liturgique latine, et cela par une application large et généreuse des directives données en leur temps par le Siège apostolique pour l'usage du missel romain selon l'édition typique de 1962(9).
 
7. Alors que l'on approche de la fin de cette année tout particulièrement consacrée à la Très Sainte Vierge, je désire exhorter chacun à s'unir à la prière incessante que le Vicaire du Christ, par l'intercession de la Mère de l'Eglise, adresse avec les paroles même du Fils : « Que tous soient un ! »
 
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 2 juillet 1988, dixième année de mon pontificat.
 
Joannes Paulus PP. II

(1)Cf. Note d'information du 16 juin 1988
(2)Cf. Conc. Vatican I, Constitution Pastor æternus (DS 3060)
(3)Cf. Code de droit canon, canon 751
(4)Cf. Code de droit canon, canon 1382
(5)Conc. Vatican II. Constitution Dei Verbum, n. 8 cf. Conc. Vatican I. Constitution Dei Filius, ch. 4 (DS 3020)
(6)Cf. Mt. 16. 18 Lc. 10. 16 Conc. Vatican I, Constitution Pastr æternus, chap. 3 (DS 3060)
(7)Cf. Code de droit canon, can. 386 Paul VI, Exh. apost. Quinque iam anni, 8 décembre 1970 : AAS 63 (1971), p. 97-106
(8)Cf. Code de droit canon, can. 1364
(9)Cf. Congrégation pour le Culte divin, Lettre Quattuor abhinc annos, 3 octobre 1984 : AAS 76 (1984), p. 1088-1089

19 juin 1988

[FSSPX] Communiqué de Mgr Lefebvre sur « l'arrêt des colloques »

SOURCE - Mgr Lefebvre - FSSPX - 19 juin 1988
On comprend difficilement cet arrêt si on ne replace pas les colloques dans leur contexte historique.

Bien que nous n'ayons jamais voulu rompre avec la Rome Conciliaire, même après que la première visite de Rome le 11 novembre 1974 ait été suivie par des mesures sectaires et nulles la fermeture de l’œuvre le 6 mai 1975 et la « suspense » en juillet 76 - ces relations ne pouvaient avoir lieu que dans un climat de méfiance.

Louis Veuillot dit qu'il n'y a pas plus sectaire qu'un libéral ; en effet, compromis avec l'erreur et la Révolution, il se sent condamné par ceux qui demeurent dans la Vérité et c'est ainsi que, s'il possède le pouvoir, il les persécute avec acharnement. C'est notre cas et celui de tous ceux qui se sont opposés aux textes libéraux et aux Réformes libérales du Concile.

Ils veulent absolument que nous ayons un complexe de culpabilité vis-à-vis d'eux, alors que ce sont eux qui sont coupables de duplicité.

C'est donc dans un climat toujours tendu, quoique poli, que les relations avaient lieu avec le Cardinal Seper et le Cardinal Ratzinger entre l'année 76 et l'année 87, mais aussi avec un certain espoir que, l'auto-démolition de l'Eglise s'accélérant, on finisse par nous regarder avec bienveillance.

Jusque-là, pour Rome, le but des relations était de nous faire accepter le Concile et les Réformes et de nous faire reconnaître notre erreur. La logique des événements devait m'amener à demander un successeur sinon deux ou trois pour assurer les ordinations et confirmations. Devant le refus persistant de Rome, le 29 juin 1987 j'annonçais ma décision de consacrer des Evêques.

Le 28 juillet, le Cardinal Ratzinger ouvrait de nouveaux horizons qui pouvaient légitimement faire penser qu'enfin Rome nous regardait d'un œil plus favorable. Il n'est plus question de document doctrinal à signer, plus question de demande de pardon, mais un visiteur était enfin annoncé, la société pourrait être reconnue, la Liturgie serait celle d'avant le Concile, les séminaristes demeureraient dans le même esprit !...

Nous avons accepté alors d'entrer dans ce nouveau dialogue, mais à la condition que notre identité soit bien protégée contre les influences libérales par des Évêques pris dans la Tradition, et par une majorité de membres dans la Commission Romaine pour la Tradition. Or, après la visite du cardinal Gagnon, dont nous ne savons toujours rien, les déceptions se sont accumulées.

Les colloques qui ont suivi en avril et mai nous ont bien déçus. On nous remet un texte doctrinal, on y ajoute le nouveau Droit Canon, Rome se réserve 5 membres sur 7 dans la Commission Romaine, dont le Président (qui sera le Cardinal Ratzinger) et le Vice-président.

La question de l'Évêque est solutionnée avec peine : on insistait pour nous montrer que nous n'en avions pas besoin.

Le Cardinal nous fait savoir qu'il faudrait laisser alors célébrer une Messe nouvelle à S. Nicolas-du-Chardonnet. Il insiste sur l'unique Église, celle de Vatican II.

Malgré ces déceptions, je signe le Protocole le 5 mai. Mais déjà la date de la consécration épiscopale fait problème. Puis un projet de demande de pardon au Pape m'est mis dans les mains.

Je me vois obligé d'écrire une lettre menaçant de faire les consécrations épiscopales pour arriver à avoir la date du 15 août pour la consécration épiscopale.

Le climat n'est plus du tout à la collaboration fraternelle et à une pure et simple reconnaissance de la Fraternité. Pour Rome le but des colloques est la réconciliation, comme le dit le Cardinal Gagnon, dans un entretien accordé au journal italien « L'Avvenire », c'est-à-dire le retour de la brebis égarée dans la bergerie. C'est ce que j'exprime dans la lettre au Pape du 2 juin : « Le but des colloques n'est pas le même pour vous que pour nous. »

Et quand nous pensons à l'histoire des relations de Rome avec les Traditionalistes de 1965 à nos jours, nous sommes obligés de constater que c'est une persécution sans répit et cruelle pour nous obliger à la soumission au Concile. Le dernier exemple en date est celui du Séminaire Mater Ecclesiae des transfuges d'Écône, qui en moins de 2 ans ont été mis au pas de la Révolution conciliaire, contrairement à toutes les promesses !

La Rome actuelle conciliaire et moderniste ne pourra jamais tolérer l'existence d'un vigoureux rameau de l'Église catholique qui la condamne par sa vitalité.

Il faudra donc encore attendre quelques années sans doute pour que Rome retrouve sa Tradition bimillénaire. Pour nous, nous continuons à faire la preuve, avec la grâce de Dieu, que cette Tradition est la seule source de sanctification et de salut pour les âmes, et la seule possibilité de renouveau pour l'Église.

Écône, le 19 juin 1988

+ Marcel Lefebvre.

17 juin 1988

[Mgr Lefebvre - Jean Bourdarias - Le Figaro] « Je désobéis au Pape pour obéir à Dieu »

Mgr Lefebvre - Jean Bourdarias - Le Figaro - 17 juin 1988

Le fondateur d’Ecône explique pourquoi il a pris sa décision et ce qu’il compte faire maintenant. A l’issue de la conférence de presse qu’il a donnée mercredi à Ecône, Mgr Lefebvre a bien voulu répondre aux questions du « Figaro » et préciser sa pensée sur les jugements qu’il a portés sur le Saint-Siège et sur les motifs qui l’ont conduits à décider de sacrer évêques quatre prêtres de sa communauté.

Question. – Vous avez exprimé une grande méfiance vis-à-vis des autorités romaines lors de votre conférence de presse. Pensez-vous que le Saint-Père et ses collaborateurs vous soient fondamentalement hostiles ?
Mgr Lefebvre. – Non. Il n’y a pas vraiment d’hostilité, mais une totale incompréhension de notre position. Nous sommes aux antipodes de ce que pense Rome, qui ne comprend pas notre attachement au passé. D’ailleurs on nous demande sans cesse d’accepter le Concile.
Q. – La déclaration commune du 5 mai reconnaissait qu’il y avait dans la manière dont Vatican II a été interprété par l’Eglise des éléments non conformes à la Tradition, ce qui vous donnerait partiellement raison. Pourquoi l’avez-vous dénoncée le lendemain ?
Mgr L. – Ils ont écrit cela, mais, dans le fond, ils ne l’admettent pas. Ils ont seulement cédé du terrain devant la menace de l’ordination des évêques.
Q. – Sur ce dernier point, le Saint-Siège vous avait proposé la date du 15 août pour l’ordination d’un évêque sacré d’un commun accord. Pourquoi, cette satisfaction majeure obtenue, avez-vous rompu l’accord et précipité les évènements ?
Mgr L. – C’est sous la menace que j’avais obtenu cette concession. J’en avais assez.
Q. – Vous avez, ce faissant, pris le risque d’un schisme…
Mgr L. – Quel schisme ? Je serais schismatique pour des gens que je considère comme étant hors de l’Eglise catholique et qui sont eux-mêmes schismatiques. Lors de mon entretien autrefois, avec Paul VI, je lui avais dit : « j’ai le choix entre la position prise par vos prédécesseurs et les décisions du Concile Vatican II. J’ai choisi vos prédécesseurs. » Aujourd’hui j’ai choisi de rompre. C’est une nouvelle étape. Certains vont s’éloigner de nous. Ce sera difficile pendant des années, pendant dix ans peut-être. Mais la situation va se dégrader dans le camp d’en face. On s’apercevra un jour que nous avions raison.
Q. – Votre action avait fait progresser certaines idées dans l’Eglise. Celle-ci a reconnu des erreurs. Votre décision va, au contraire, provoquer un inévitable durcissement. Le bénéfice de votre croisade va être réduit à néant. Ne prenez-vous pas un risque disproportionné avec le « bénéfice » que vous pouvez en attendre ?
Mgr L. – C’est possible, mais la situation actuelle ne peut pas se prolonger. Je ne sacre pas ces quatre évêques dans un esprit de rupture mais parce que la gravité de la situation dans l’Eglise m’y oblige.
Q. – Comment avez-vous fait votre choix ? Selon quels critères avez-vous désigné ces futurs évêques ?
Mgr L. – J’avais proposé le nom du supérieur général, l’abbé Schmidberger, mais le Vatican a récusé son nom. J’avais d’ailleurs proposé une « terna » comme cela se fait toujours ceux du secrétaire général, l’abbé Bernard Tissier de Mallerais et de l’économe général, l’abbé Bernard Fellay. Mais Rome m’a demandé d’autres noms. Devant cette manœuvre, j’ai décidé d’ordonner deux d’entre eux qui sont les plus proches collaborateurs de l’abbé Schmidberger, et deux autres, les abbés Williamson et de Galarreta. Ils ne voulaient pas mais je leur ai dit : « Il faut vous mouiller et prendre vos responsabilités. » Ils ont fini par accepter.
Q. – Deux de ces prêtres sont très jeunes. Ils ont juste trente ans ; ils n’ont aucune expérience pastorale. Vous, vous avez un certain prestige, celui du missionnaire. Croyez-vous qu’ils feront le poids ? Et pourquoi avoir choisi deux Américains, l’un au Nord et l’autre au Sud ?
Mgr L. – J’ai peur d’une invasion de l’Europe par les communistes et que nous soyons coupés de l’Amérique et de nos fidèles de là-bas, et que tous nos évêques soient immobilisés en Europe.
Q. – Il faut l’assistance et la présence de deux ou trois évêques pour la cérémonie du sacre ? Qu’en ferez-vous ?
Mgr L. – S’il en faut deux ou trois, ce n’est pas pour une raison de validité. Mais j’ai demandé l’assistance de Mgr Castro Mayer . Il m’a promis de venir. Je m’en réjouis d’autant plus qu’il avait refusé jusqu’ici d’ordonner des prêtres, se bornant à conférer les ordres mineurs, mais cette fois-ci, il s’engage vraiment. Il va franchir le pas… Et nous aurons des évêques pour ordonner de nouveaux prêtres en Amérique et ailleurs pour confirmer des enfants. Moi, je ne peux plus voyager au lon…
Q. – Par quoi remplacerez-vous le mandement romain précédant la cérémonie de l’ordination des évêques ?
Mgr L. – Je dirai que je reste fidèle à Jean-Paul II en tant qu’il est le successeur de Pierre, mais que je n’adhère pas à ses erreurs modernistes. Je désobéis à un pape moderniste pour obéir à Dieu et garder la foi catholique.

Interview recueillie par Jean Bourdarias

15 juin 1988

[Mgr Lefebvre] Conférence de presse à Ecône

Mgr Lefebvre - 15 juin 1988

Nous nous sommes permis de vous inviter comme nous l'avions fait il y a maintenant treize ans en 1975, au moment des événements difficiles entre Rome et Écône et qui nous frappaient. Nous sommes de nouveau, on pourrait dire, à un été chaud.

Avant d'en arriver tout de suite aux événements de ces derniers jours et des jours prochains, je voudrais d'abord vous faire un petit exposé afin que vous compreniez mieux la situation, et que dans les compte rendus que vous écrirez dans les journaux, vous puissiez faire, autant que possible, des rapports objectifs.

Il faut placer les événements qui se passent aujourd'hui et qui vont se passer demain - particulièrement la consécration épiscopale de quatre jeunes évêques le 30 juin - dans le contexte de nos difficultés avec Rome, non seulement depuis 1970, depuis la fondation d'Écône, mais depuis le Concile.

Au Concile, moi-même et un certain nombre d'évêques nous avons lutté contre le modernisme et contre les erreurs que nous estimions inadmissibles et incompatibles avec la foi catholique. Le problème de fond, c'est cela. C'est une opposition formelle, profonde, radicale, contre les idées modernes et modernistes qui sont passées à travers le Concile.

Vous me direz, mais qu'est-ce que vous entendez par là ? Eh bien je vais vous citer quelques sujets de ce modernisme. Ce sont par exemple l'acceptation des Droits de l'homme de 1789.

C'est le droit commun dans la société civile, de toutes les religions c'est-à-dire le principe de la laïcité de l'État.

C'est l’œcuménisme ou l'association de toutes les religions. C'est Assise, c'est Kyoto, ce sont les visites à la Synagogue, au Temple protestant ; et dans l'Église c'est la collégialité, avec les synodes, les conférences épiscopales, le changement de la liturgie, le changement de la catéchèse, l'augmentation de la participation des laïcs et des femmes dans les domaines religieux. Vous en avez parlé dans vos journaux, vous connaissez bien ces choses-là puisque tout cela a paru à l'occasion des synodes de Rome. C'est la négation du passé de l'Église. Il y a un combat qui est mené dans l'Église pour faire disparaître le passé, la tradition de l'Église. Cette persécution continuelle contre ceux qui veulent demeurer catholiques, comme l'étaient les papes avant Vatican Il. Voilà notre position. Nous continuons ce que les papes ont enseigné et ont fait avant Vatican II. Nous nous opposons à ce qu'ont fait les papes Jean XXIII, Paul VI et Jean-Paul II actuellement, parce qu'ils ont accompli une rupture avec leurs prédécesseurs. Nous préférons la tradition de l'Église à l’œuvre de quelques rares papes qui s'opposent à leurs prédécesseurs.

Cependant nous avons voulu garder le contact avec Rome, au cours de ces années, depuis 1976, au moment où nous avons reçu la «suspens a divinis», parce que nous continuions à faire des ordinations sacerdotales. Nous avons voulu garder le contact avec Rome, espérant que la Tradition retrouverait un jour ses droits. Mais ce fut peine perdue.

Devant le refus de Rome de prendre en considération nos protestations et nos demandes de retour à la Tradition, et devant mon âge car j'ai maintenant 82 ans, je suis dans ma 83ème année, il est évident que je sens la fin venir, il me faut un successeur. Je ne peux pas laisser cinq séminaires à travers le monde, sans évêque pour ordonner ces séminaristes, puisqu'on ne peut pas faire de prêtres sans évêque. Et que tant qu'il n'y aura pas d'accord avec Rome, il n'y aura pas d'évêques qui accepteront de faire des ordinations. Donc je me trouve dans une impasse absolue et j'ai un choix à faire : ou bien mourir et laisser mes séminaristes comme cela dans l'abandon et laisser mes séminaristes orphelins, ou bien faire des évêques. Je n'ai pas le choix.

Alors j'ai demandé à Rome plusieurs fois : laissez-moi faire des évêques, permettez-moi d'avoir des successeurs. C'est pourquoi, le 29 juin dernier (1987), j'ai fait une allusion claire dans ma prédication ici à Écône à l'occasion de l'ordination des séminaristes. J'ai dit, je vais faire des consécrations épiscopales puisque Rome ne veut pas m'écouter, ne veut pas entendre et nous abandonne. Je me vois obligé de me donner des successeurs. Par conséquent le 25 octobre prochain, je consacrerai des évêques pour ma succession. Grand émoi à Rome !

C'est à partir de cette déclaration que Rome s'est émue, profondément, et que j'ai reçu une lettre le 28 juillet, après avoir rencontré le cardinal Ratzinger le 14 juillet, auquel j'ai dit : « Ou Rome m'accorde de faire des évêques, ou je les fais moi-même ». Dans sa lettre du 28 juillet, le cardinal Ratzinger m'a répondu : « Pour ce qui est des évêques, il faut attendre que votre Fraternité soit reconnue. Pour le reste, nous pouvons peut-être vous faire des concessions, sur la liturgie, sur l'existence de vos séminaires et ensuite à la rigueur vous envoyer un visiteur.

J'avais demandé effectivement une visite, pour que l'on nous connaisse puisque l'on ne nous connaissait pas, on ne venait pas nous voir. Il y a donc eu une ouverture de la part de Rome à ce moment là. J'avoue que j'ai beaucoup hésité. Est-ce que je devais accepter cette ouverture ou est-ce que je devais la refuser. J'avais bien envie de la refuser parce que je n'ai aucune confiance dans ces autorités romaines, je dois bien le dire, car leurs idées sont complètement opposées aux nôtres. Nous ne sommes pas du tout sur la même longueur d'ondes, je n'avais donc aucune confiance.

Nous avions toujours été persécutés, c'était encore l'époque de Port-Marly, de la persécution de l'abbé Lecareux pour ses paroisses, approuvée par Rome d'ailleurs, les évêques étant approuvés par Rome. Tout cela ne nous inspirait pas du tout confiance de nous mettre dans les mains de Rome, d'une Rome qui combattait la Tradition.

Cependant nous avons voulu faire un effort : essayons, nous allons sonder quelles vont être les dispositions de Rome à notre égard. C'est dans cet esprit­là que je suis allé à Rome et qu'ensuite nous avons reçu la visite du cardinal Gagnon. Il semble que cette visite a été favorable. J'avoue que je n'en sais rien, puisque je n'ai pas eu un seul mot du résultat de cette visite qui a eu lieu il y a sept mois. Je l'ai dit au cardinal Ratzinger : c'est inadmissible. On fait une visite pour savoir si nous faisons bien, si nous faisons mal, s'il y a des reproches à nous faire, s'il y a des compliments à nous faire, et l'on ne nous dit rien. Je n'ai rien su de la visite en 1974 des deux prélats belges qui sont venus visiter le séminaire voilà maintenant quatorze ans. Je n'ai jamais reçu une seule ligne me disant quel était le résultat de cette visite.

Alors le cardinal Gagnon est venu, et puis ensuite on nous a proposé des colloques pour réaliser un protocole préparant un accord destiné à mettre en place les institutions qui auraient régi la tradition. Nous avons donc eu ces colloques. J'avoue que j'aurais bien voulu participer moi-même au premier des colloques, mais ils ont préféré que je n'y sois pas et que je désigne un théologien et un canoniste. C'est ce que j'ai fait. J'ai désigné M. l'abbé Tissier de Mallerais et M. l'abbé Laroche pour se rendre à Rome, pour s'entretenir avec des représentants du cardinal Ratzinger. Ils étaient trois : un théologien, un canoniste et le père Duroux qui présidait cette réunion.

Une première rédaction a été mise au point après quarante huit heures, réglant les questions doctrinales et les questions disciplinaires. Nous avons été surpris de voir qu'ils voulaient nous faire signer un texte doctrinal. Étant donnée l'ouverture qu'avait manifestée le cardinal Ratzinger par sa lettre du 28 juillet, l'année dernière, il n'était plus question de problèmes doctrinaux. Nous avons donc été un peu surpris que l'on nous remette sous les yeux ce qui avait fait l'objet d'une incompréhension pendant quinze ans. Nous étions opposés par des questions doctrinales précisément. Mais comme l'article 3 de la partie doctrinale du protocole assurait que nous pouvions reconnaître qu'il y avait des points dans le Concile, dans la liturgie et dans le Droit canon qui n'étaient pas parfaitement conciliables avec la Tradition, alors cela nous a satisfait. En quelque sorte on nous donnait satisfaction sur ces points-là. Cela nous permettait de discuter des points dans le Concile, dans la liturgie, et dans le Droit canon. C'est ce qui nous a permis de signer ce protocole doctrinal, sans quoi nous ne l'aurions pas signé.

Et puis venaient ensuite les questions disciplinaires. Il y avait surtout la question de l'évêque, celle d'un bureau à Rome, bureau dans lequel Rome aurait eu cinq membres et nous seulement deux. Cela ne nous plaisait pas beaucoup. Nous avons discuté parce que nous trouvions que vraiment nous étions mis en minorité dans ce bureau de Rome. Mais d'autre part, ensuite, dans une certaine mesure, nous étions exempts de la juridiction des évêques.

Au cours d'une seconde réunion, cette fois avec le cardinal Ratzinger et moi-même et avec les différents théologiens, canonistes, qui avaient déjà discuté entre eux, nous sommes arrivés à une conclusion, sur le papier, acceptable. Le cardinal Ratzinger a d'abord signé; moi j'ai signé le 5 mai à Albano. Le protocole était donc signé.

La presse a annoncé : accord entre Mgr Lefebvre et le Vatican. Il semble que les choses s'arrangent, que tout va s'arranger. Personnellement comme je vous l'ai dit, j'allais avec méfiance. J'ai toujours éprouvé un sentiment de méfiance et je dois avouer que j'ai toujours pensé que tout ce qu'ils faisaient c'était pour parvenir à nous réduire, à accepter le Concile et les réformes post-conciliaires. Ils ne peuvent admettre, et d'ailleurs le Cardinal l'a dit récemment dans une interview à un journal allemand: « Nous ne pouvons pas accepter qu'il y ait des groupes, après le Concile, qui n'admettent pas le Concile et les réformes qui ont été faites après le Concile. Nous ne pouvons pas admettre çà ». Le Cardinal l'a plusieurs fois répété : « Monseigneur il n'y a qu'une Église, il ne peut pas y avoir d'Église parallèle ». Je lui ai dit: « Éminence ce n'est pas nous qui faisons une Église parallèle puisque nous continuons l'Église de toujours, c'est vous qui faites l'Église parallèle en ayant inventé l'Église du Concile, celle que le cardinal Benelli a appelé l'Église conciliaire, c'est vous qui avez inventé une église nouvelle, pas nous, c'est vous qui avez fait de nouveaux catéchismes, de nouveaux sacrements, une nouvelle messe, une nouvelle liturgie, ce n'est pas nous. Nous, nous continuons ce qui a été fait auparavant. Ce n'est pas nous qui faisons une nouvelle église ».

Nous avons donc senti, tout au cours de ces colloques, un désir, une volonté de nous ramener au Concile.

Bien. Malgré tout, j'ai signé, j'ai essayé de montrer de la bonne volonté mais dès le jour même où nous avons décidé de signer, à propos de l'évêque j'ai demandé au cardinal Ratzinger : «Alors, maintenant, nous allons signer le protocole, est-ce que vous pourriez déjà nous donner la date pour la consécration de l'évêque » (c'était le 4 mai). « Vous avez le temps d'ici le 30 juin de me donner le mandat pour l'évêque. J'ai moi-même participé à la présentation des évêques quand j'étais Délégué apostolique, pour trente-sept évêques, je sais comment cela se fait. » J'avais présenté les noms. Les noms étaient déjà sur le bureau du Vatican, trois noms, c'est ce qu'on appelle la terna. C'est un terme classique à Rome pour dire les trois noms des évêques qui sont proposés, et le Saint-Siège choisit parmi ces trois noms. J'ai donc donné trois noms. « D'ici le 30 juin vous avez le temps de préparer, de faire une enquête et de me donner le mandat ».

« Ah! non, non, non, c'est impossible; le 30 juin, impossible. - Alors quand ? Le 15 août ? A la fin de l'année mariale ? Ah! non, non, non, Monseigneur. Vous savez bien, le 15 août à Rome il n'y a plus personne. Du 15 juillet au 15 septembre ce sont les vacances, il ne faut pas compter sur le 15 août, ce n'est pas possible. - Alors disons le 1er novembre, la Toussaint ? - Ah ! je ne sais pas, je ne peux pas vous le dire. - Pour Noël ? - Je ne peux pas vous le dire ».

J'ai dit ; c'est fini, j'ai compris. On veut nous mener en bateau, c'est terminé, c'est fini, je n'ai plus confiance. J'avais bien raison de ne pas avoir confiance, on est en train de nous jouer. J'ai perdu confiance complètement. Et le jour même, le 5 mai, j'ai écrit une lettre au Pape et une lettre au cardinal Ratzinger en disant : J'avais espéré arriver à un résultat, je crois que c'est terminé. Nous voyons très bien. Il y a une volonté de la part du Saint-Siège de vouloir nous soumettre à ses volontés et à ses orientations. C'est inutile de continuer. Nous sommes tout à fait opposés l'un à l'autre.

Grand émoi évidemment à Rome à ce moment-là, au sujet de cette lettre que j'ai écrite; « Comment, vous dénoncez le protocole, ce n'est pas permis, c'est lamentable ».

Oui, mais je puis vous lire rapidement quelques extraits de cette lettre que j'ai écrite : c'était le 6 mai (voir le texte de cette lettre dans les documents, ainsi que la réponse du cardinal Ratzinger). Au courrier du Cardinal était joint un projet de lettre à faire au Pape dans lequel il fallait que je demande pardon non pas pour ça, mais pour tout ce qui a été fait au cours de ces treize années passées, pour les torts que j'avais pu avoir, même en toute bonne foi. Ce sont eux qui écrivent cela pour que je le signe; ce n'est pas moi. « En toute bonne foi on peut commettre des erreurs. Ainsi je vous prie humblement de pardonner tout ce qui dans mon comportement ou celui de la Fraternité, a pu blesser le Vicaire du Christ et l'Église ».

Toutes ces choses que l'on avait abandonnées, on les remettait de nouveau sous nos yeux. Les tracasseries que l'on remettait sous nos yeux manifestaient qu'il n'y avait pas de bonne volonté vis-à-vis de nous, et que le seul désir du Saint-Siège était de nous ramener au Concile et aux réformes.

C'est pourquoi on vous a remis la lettre qu'en définitive j'ai écrite au Pape le 2 juin.

« Très Saint Père Les colloques et entretiens avec le cardinal Ratzinger et ses collaborateurs, bien qu'ils aient eu lieu dans une atmosphère de courtoisie et de charité, nous ont convaincu que le moment d'une collaboration franche et efficace n'est pas encore arrivé », étant donné que le but de cette réconciliation n'est pas du tout le même pour le Saint-Siège que pour nous. J'ajoutais : « C'est pourquoi nous nous donnerons nous-même les moyens de poursuivre l'œuvre que la Providence nous a confiée ».

Évidemment affolement à Rome ! J'ai reçu, après, une lettre du Saint Père, signée de lui-même, me suppliant de garder l'unité, l'unité de l'Église, de ne pas diviser l'Église, de demeurer dans la fidélité à l'Église.

Mais précisément, nous ne sommes pas dans la même vérité. Pour eux la vérité est évolutive, la vérité change avec le temps, et la Tradition : c'est Vatican II aujourd'hui. Pour nous la Tradition c'est ce que l'Église a enseigné depuis les apôtres jusqu'à nos jours. Pour eux, non, la Tradition c'est Vatican II qui résume en lui-même tout ce qui a été dit précédemment. Les circonstances historiques sont telles que maintenant il faut croire ce que Vatican II a fait. Ce qui s'est passé avant, ça n'existe plus. Cela appartient au temps passé. C'est pourquoi le Cardinal n'hésite pas à dire « Le Concile Vatican II est un anti-Syllabus ». On se demande bien comment un cardinal de la Sainte Église peut dire que le Concile de Vatican II est un anti-Syllabus, acte très officiel du Pape Pie IX dans l'encyclique Quanta Cura. C'est inimaginable.

J'ai dit un jour au cardinal Ratzinger : « Éminence, il faut que nous choisissions : ou bien la liberté religieuse telle qu'elle est dans le Concile, ou bien le Syllabus de Pie IX. Ils sont contradictoires et il faut choisir. » Alors il m'a dit: « Mais Monseigneur nous ne sommes plus au temps du Syllabus. Ah ! Ai-je dit, alors la vérité change avec le temps. Alors ce que vous me dites aujourd'hui, demain ce ne sera plus vrai. Il n'y a plus moyen de s'entendre, on est dans une évolution continuelle. Il devient impossible de parler » .

Ils ont cela dans l'esprit. Il m'a répété : « Il n'y a plus qu'une Église, c'est l'Église de Vatican II. Vatican II représente la Tradition ». Malheureusement, l'Église de Vatican II s'oppose à la Tradition. Ce n'est pas la même chose.

Alors le Pape me supplie de ne pas briser l'unité de l'Église. Il me menace des peines canoniques si je fais ces consécrations le 30 juin prochain.

Je vous avoue que l'ambiance dans laquelle se sont déroulé les colloques précédant la rédaction du protocole, puis les faits qui ont atteint ceux qui se sont ralliés à Rome donnent à réfléchir.



LE SORT RÉSERVÉ AUX RALLIÉS

Je prends l'exemple de Dom Augustin, qui a un couvent à Flavigny dans lequel il y a vingt-quatre prêtres que j'ai moi-même ordonnés, des bénédictins, et qui me quitte et me dit: « Monseigneur, je ne peux plus rester avec vous, je me rallie à Rome ; je rentre dans l'obéissance avec Rome; je ne peux pas rester avec vous. « Bien, il s'est rallié à Rome avec l'espoir qu'on lui garderait la Tradition, qu'il conserverait dans son monastère, c'est-à-dire la messe traditionnelle pour ses moines, pour la messe conventuelle. Eh bien, Rome a exigé que pour la messe conventuelle ce soit la messe du Concile et non pas la messe ancienne. Au lieu de nous dire vous pouvez garder la Tradition, on change la Tradition.

Prenons un deuxième exemple: encore un monastère: Fontgombault. Ils ont accepté par obéissance de garder pendant quinze ans la messe nouvelle; parce que les évêques avaient dit qu'il fallait prendre la messe nouvelle, ils l'ont fait. Vient l'indult de Rome ; tous ceux qui ont accepté la messe nouvelle, désormais pourront dire la messe ancienne. Cela s'appliquait parfaitement à Fontgombault. Refus de l'archevêque de Bourges. Vous ne pouvez pas dire la messe ancienne pour la messe conventuelle. Vous devez garder la messe nouvelle, c'est comme çà. L'Abbé de Fontgombault va voir à la Congrégation du Culte à Rome, Mgr Mayer, qui lui dit: « Vous savez c'est difficile, essayez donc de voir le Pape. Le Pape le renvoie au cardinal Mayer disant: Faites un effort, peut-être on pourra arranger cela... Le cardinal Mayer finit par le renvoyer à l'évêque de Bourges, et ils sont toujours avec la messe nouvelle pour la messe conventuelle.

Et pourtant ils remplissaient parfaitement les conditions de l'indult.

Nous ne pouvons pas avoir confiance, ce n'est pas possible. Et je vais vous citer un dernier exemple : un exemple extraordinaire.

Vous avez entendu parler, sans doute, et vous avez fait quelques articles dans les journaux, il y a deux ans, sur les transfuges d'Écône, les fameux transfuges d'Écône ! Etaient partis d'ici, d'Écône neuf séminaristes. Celui qui a été le chef en quelque sorte de cette petite rébellion, l'abbé... est resté dans le séminaire pendant un certain temps, il cachait bien son jeu, et il est arrivé à déterminer huit autres séminaristes à quitter Écône. Il s'est mis en relation avec l'abbé Grégoire Billot qui est ici en Suisse à Baden ; cet abbé Billot est lui-même en relation avec le cardinal Ratzinger ; il parle l'allemand. Il a téléphoné au cardinal Ratzinger : « Voilà, il y a à Écône neuf séminaristes qui sont prêts à partir. Qu'est-ce que vous leur promettez ? Qu'est-ce que vous faites avec eux ? ».

Oh ! C'est formidable ; c'est une occasion unique ; si on leur promet monts et merveilles, il y en aura d'autres qui vont venir. Il l'a dit explicitement. Le cardinal Ratzinger l'a dit « Je suis heureux qu'il y en ait qui aient quitté Écône et j'espère bien qu'il y en aura d'autres qui suivront les premiers. »

Vous le savez très bien, on a fait le fameux séminaire Mater Ecclesiae dirigé par un cardinal, le cardinal Innocenti, avec le cardinal Garrone et un troisième cardinal le cardinal Ratzinger, approuvé par le Pape officiellement dans L'Osservatore Romano. Une affaire mondiale. Tous les journaux du monde ont parlé de ce séminaire traditionnel fait avec les transfuges d'Écône et qui rassemblerait aussi bien des séminaristes qui avaient la même sensibilité.

Ils sont partis là-bas et se sont retrouvés peut-être une vingtaine de séminaristes.

Je vous assure que çà vaut la peine de lire cette lettre que vient de nous envoyer ces jours-ci l'abbé... qui était l'instigateur du départ de ces séminaristes. Il écrit : « Je regrette », en gros titre dans sa lettre. « Je regrette, nous avons tout perdu, on n'a tenu aucune promesse. Nous sommes des misérables, nous ne savons plus même où aller (voir l'extrait de cette lettre dans nos documents).

Eh bien voilà pour des gens qui ont voulu se rallier à Rome!... Cela va être notre cas. Nous en sommes de plus en plus persuadés. Plus nous réfléchissons à l'ambiance de ces colloques, plus nous nous rendons compte que l'on est en train de nous tendre un piège, de nous piéger, et que demain on nous dira désormais c'est fini la messe traditionnelle, il faut accepter la messe nouvelle aussi. Il ne faut pas être contre la messe nouvelle. Cela ils nous l'ont dit.

Voici un exemple qu'a donné le cardinal Ratzinger. « Par exemple à Saint Nicolas-du-Chardonnet, Monseigneur, quand le protocole sera signé, que les affaires seront réglées, il est évident que Saint-Nicolas-du-Chardonnet ne va pas rester comme maintenant. Pourquoi ? Parce que Saint-Nicolas est une paroisse de Paris et dépend du cardinal Lustiger. Par conséquent il sera absolument nécessaire que dans la paroisse de Saint-Nicolas-du-Chardonnet il y ait une messe nouvelle régulièrement, tous les dimanches. On ne peut pas accepter que les paroissiens qui désirent une nouvelle messe, ne puissent pas aller dans leur paroisse pour avoir cette messe nouvelle. « Voyez cela! C'est le commencement de l'introduction: accepter la messe nouvelle, nous aligner... Ce n'est pas possible ! Nous nous sentons pris dans un engrenage dont nous ne pouvons plus sortir.

Des difficultés inextricables surgiront avec les évêques, avec les mouvements des diocèses qui voudront que nous collaborions avec eux si nous sommes reconnus par Rome. Nous aurons toutes les difficultés possibles et imaginables. Alors, c'est pourquoi je pense et qu'il m'a semblé en conscience que je ne pouvais pas continuer. J'ai décidé... D'où ma lettre du 2 juin au Saint Père et l'annonce de la consécration des quatre évêques qui aura lieu le 30 juin.

Vous avez sur une feuille que l'on vous a remise, les indications sur ces futurs évêques.

L'Osservatore Romano publiera l'excommunication, une déclaration de schisme, évidemment.

Qu'est-ce que tout cela veut dire ?

Excommunication par qui ? Par une Rome moderniste par une Rome qui n'a plus parfaitement la foi catholique. On ne peut pas dire que quand il y a une manifestation comme à Assise, on est toujours catholique. Ce n'est pas possible. On ne peut pas dire que quand il y a Kyoto, et les déclarations qui ont été faites aux juifs à la Synagogue et la cérémonie qui a eu lieu à Sainte-Marie du Transtevere l'année dernière en pleine Rome, que l'on est encore catholique. C'est scandaleux. Ce n'est plus catholique.

Alors nous sommes excommuniés par des modernistes, par des gens qui ont été condamnés par les papes précédents. Alors qu'est-ce que cela peut bien faire. Nous sommes condamnés par des gens qui sont condamnés, et qui devraient être condamnés publiquement. Cela nous laisse indifférent. Cela n'a pas de valeur évidemment. Déclaration de schisme; schisme avec quoi, avec le Pape successeur de Pierre ? Non, schisme avec le Pape moderniste, oui, schisme avec les idées que le Pape répand partout, les idées de la Révolution, les idées modernes, oui. Nous sommes en schisme avec cela. Nous n'acceptons pas bien sûr. Nous n'avons personnellement aucune intention de rupture avec Rome. Nous voulons être unis à la Rome de toujours et nous sommes persuadés d'être unis à la Rome de toujours, parce que dans nos séminaires, dans nos prédications, dans toute notre vie et la vie des chrétiens qui nous suivent, nous continuons la vie traditionnelle comme elle l'était avant le Concile Vatican II et qu'elle a été vécue pendant vingt siècles. Alors, je ne vois pas pourquoi nous serions en rupture avec Rome parce que nous faisons ce que Rome elle-même a conseillé de faire pendant vingt siècles. Cela n'est pas possible.

Voilà la situation actuelle. Il faut bien le comprendre pour ne pas pinailler sur elle.

Alors on peut penser: vous aviez un évêque, c'est bien. Vous pouviez avoir un peu plus de membres dans le conseil romain. Mais, ce n'est pas cela qui nous intéresse. C'est le problème de fond qui est toujours derrière nous et qui nous fait peur. Nous ne voulons pas être des collaborateurs de la destruction de l'Église. J'ai écrit dans mon livre Lettre ouverte aux catholiques perplexes - j'ai terminé par là - « Je ne veux pas quand le Bon Dieu me rappellera qu'Il me dise : qu'est ce que tu as fait là-bas sur la terre ? Tu as contribué à démolir l'Église aussi ». Ce n'est pas vrai. Je n'ai pas contribué à démolir l'Église. J'ai contribué à la construire. Ceux qui la démolissent, ce sont ceux qui diffusent des idées qui détruisent l'Église et qui ont été condamnés par mes prédécesseurs. Voilà le fond de ces événements. Ces événements que nous allons vivre ces jours-ci, bien sûr vont faire parler et il y aura un monde fou à la cérémonie du 30 juin pour la consécration de ces quatre jeunes évêques qui seront au service de la Fraternité. Eh bien, ces quatre évêques seront au service de la Fraternité, voilà.

Celui qui aura donc en principe la responsabilité des relations avec Rome lorsque je disparaîtrai, ce sera le Supérieur général de la Fraternité, M. l'abbé Schmidberger, qui a encore six années de supériorat général à accomplir. C'est lui qui, éventuellement, aura désormais les contacts avec Rome pour continuer les colloques, s'ils continuent ou si le contact est maintenu ce qui est peu probable pendant quelque temps puisque dans l’Osservatore Romano va être mis sous un grand titre: « Schisme de Mgr Lefebvre, excommunication... » Pendant X années, peut-être deux ans, trois ans, je n'en sais rien cela va être la séparation.

Écône, le 15 juin 1988

30 mai 1988

[Mgr Lefebvre, fsspx - Fideliter] Exposé de la situation concernant ce que Rome appelle la "réconciliation"


SOURCE - Mgr Lefebvre, fsspx - Fideliter - 30 mai 1988

[Le Pointet, 30 mai 1988 - publié dans Fideliter, Numéro hors-série, 29-30 juin 1988. Texte manuscrit remis par Mgr Lefebvre aux prêtres et religieuses réunis par lui au Pointet le 30 mai. Reproduit également ans Itinéraires, Numéro 325-326 de juillet-octobre 1988]
  • Quinze ans d'opposition aux déviations doctrinales du Concile et aux Réformes issues de cet esprit conciliaire, afin de demeurer fidèles à la foi et aux sources de la grâce sanctifiante.
  • Pour demeurer dans cette fidélité nous subissons la persécution de Rome et des épiscopats, des Congrégations religieuses.
  • Réalisant le même combat, nous nous sommes entr'aidés pour consolider et développer les œuvres que la Providence a mises dans nos mains et qu'elle a visiblement bénies.
  • La Providence a permis que nous ayons un Evêque, grâce auquel les grâces des ordinations et des confirmations ont pu nous être données, secours indispensable pour notre fidélité.
  • Quinze années de vie ecclésiale traditionnelle, quinze années de bénédictions, de vie avec le sacrifice eucharistique, de prières, de réception de sacrements valides et fructueux. Évêque, prêtres, religieux, religieuses, familles chrétiennes unis dans la foi, la ferveur, la générosité, la pleine croissance spirituelle et matérielle, au milieu d'épreuves, de croix, de mépris, etc.
  • L'Evêque formait le lien moral et même le lien ecclésial avec la Rome moderniste actuelle. Il faut bien reconnaître que les efforts pour corriger 1'esprit et les Réformes du Concile furent vains, ainsi que les demandes d'autoriser officiellement l'«expérience de la Tradition».
Cependant le problème vital pour la fidélité à la Tradition se pose avec la disparition de l'Evêque.
Rome refusant son concours à la permanence de la Tradition, la nécessité pour le salut des âmes fait loi. Le 29 juin 1987 est annoncée la décision de créer quelques Evêques pour la succession épiscopale.
Le 14 juillet 1987 une ultime demande est faite à Rome de vive voix et par lettre. Le 28 juillet 1987 une ouverture sérieuse se fait jour, Rome semble effrayée par la menace de la consécration des Évêques.
La réponse ne rejette pas l'idée d'une succession épiscopale, mais, après reconnaissance légale de la Fraternité, la liturgie, les séminaires traditionnels seront autorisés. On n'y parlait plus de document doctrinal. Ils y reviendront. Un visiteur apostolique est envisagé.Que devons-nous faire?
  • La visite par le cardinal Gagnon est décidée et se réalise du 11 novembre au 9 décembre. [NDLR : 1987]
  • Rapport remis le 5 janvier [NDLR : 1988] au Pape.
  • Le 18 mars : proposition d'une Commission.
  • Réunion de la Commission d'experts les 13-14-15 avril. Signature d'un projet le 15 avril.
Réunion de la Commission entre le Cardinal, Mgr Lefebvre et les experts, les 3 et 4 mai. Signature du Protocole le 5 mai, St Pie V.
  • Procédure pour l'application.
  • Question de la date de la consécration? Remise "sine die".
  • Lettre de Monseigneur au Pape du 5 mai 1988.
Commencent les difficultés d'application:
Lettre du 6 mai au Cardinal : menace de procéder aux consécrations le 30 juin. Réponse du Cardinal le 6 mai.
Projet de lettre pour le Pape avec demande de pardon, la lettre du 5 mai étant trop administrative- (apportée par l'abbé du Chalard)
L'abbé du Chalard confirme au Cardinal l'intention de consacrer le 30 juin- le Cardinal demande que je vienne à Rome.
Lettre au Pape et lettre au Cardinal au sujet de la date et du nombre des évêques et des membres de la Commission Romaine - du 20 mai et du 24 mai.
Rencontre avec le Cardinal et les Secrétaires le 24 mai - Remise des lettres - Le Cardinal fait alors allusion au 15 août pour la consécration, mais ne répond pas aux autres problèmes. Les Secrétaires, eux, font allusion aux autres problèmes en disant qu'on peut examiner les demandes !... -le Cardinal me remet un autre projet de lettre au Pape. Le 28 mai, le Pape confirme la date du 15 août "intus l'anno mariale".
L'ambiance de ces contacts et des colloques, les réflexions des uns et des autres au cours des conversations
L'ambiance de ces contacts et des colloques, les réflexions des uns et des autres au cours des conversations, nous manifestent clairement que le désir du Saint-Siège est de nous rapprocher du Concile et de ses Réformes, de nous remettre aussi dans le sein de l'Eglise Conciliaire et des Congrégations religieuses :
  • Le Bureau de Rome sera provisoire (Note spéciale).
  • L'Evêque est inutile, mais accordé de mauvais gré. Délais!
  • L'Eglise catholique est l'Eglise du Concile Vatican II.
  • L'acceptation des nouveautés conciliaires à Saint-Nicolas!
  • [Faire] retourner les Congrégations religieuses à leurs Ordres respectifs, avec un statut spécial!
  • On nous remet une note doctrinale à la signature.
  • On nous redemande le pardon de nos fautes.
Notre réintégration semble être un atout politique, diplomatique, pour faire équilibre aux excès des autres.
C'est alors que se pose le problème moral suivant et pour lequel je n'ai pas cru pouvoir agir sans avoir votre avis puisque vous êtes concernés d'une manière directe. (Rappel de M. l'abbé Schmidberger des USA.)
Il faut prendre conscience qu'une nouvelle situation apparaîtra après la mise en application de l'accord.
Disons les avantages :
  • Normalisation canonique de nos œuvres. Reprise des relations avec Rome de chacune de nos œuvres.
  • En gardant une certaine indépendance pour la sauvegarde de la Tradition, par la liturgie, par la confirmation des membres et des fidèles.
  • Et relations avec les évêques et le monde conciliaire ; suppression des appréhensions et des réticences !... dans une certaine mesure.
  • Et relations facilitées avec certaines administrations civiles.
  • Contacts missionnaires plus faciles pour convertir à la Tradition, prêtres et fidèles !...
  • Afflux de vocations et de fidèles dans nos œuvres.
  • Evêque consacré avec l'agrément du Saint-Siège.
Disons les inconvénients :
  • Dépendance mesurée mais certaine de la Rome moderniste et conciliaire, à travers la commission romaine dirigée par le cardinal Ratzinger, dont les principes sont ceux qui nous ont éloignés de la Rome moderne.
  • Dissociation normale de notre unité morale créée autour de ma personne, qui disparaît au profit en partie du cardinal Ratzinger et en partie au profit des différents Supérieurs généraux et générales qui auront affaire directement avec Rome, mais pourront continuer à s'adresser à l'Evêque consacré pour la Tradition.
  • Risque de moins d'unité et de moindre force.
  • Relations avec les congrégations et Ordres, avec statut spécial, mais malgré tout avec une dépendance morale, que Rome souhaite voir transformée le plus tôt possible en dépendance canonique.
Danger de contamination.
  • Relations avec les évêques et un clergé et des fidèles conciliaires malgré l'exemption très étendue ; les barrières canoniques disparaissant, il y aura nécessairement des contacts de courtoisie et peut-être des offres de coopération pour les unions scolaires, union des supérieurs, réunions sacerdotales, cérémonies régionales, etc. Tout ce monde est d'esprit conciliaire, œcuméniste, charismatique.
  • Un seul évêque.
  • Moins de protection, plus de danger.
Nous étions jusqu'à présent protégés naturellement, la sélection s'assurait d'elle­ même par la nécessité d'une rupture avec le monde conciliaire; désormais, il va falloir faire des dépistages continuels, se prémunir sans cesse des milieux romains, des milieux diocésains.
C'est pourquoi nous voulions trois ou quatre évêques et la majorité dans le Conseil Romain. Mais ils font la sourde oreille. Ils n'ont accepté qu'un évêque, sous la menace continuelle, et ont avancé la date. Ils estiment inconcevable qu'on les traite comme un milieu contaminé, après tout ce qu'ils nous accordent.
Le problème moral se pose donc pour nous :
• Faut-il prendre les risques de contacts avec ces milieux modernistes, avec l'espoir de convertir quelques âmes et avec l'espoir de se prémunir, avec la grâce de Dieu et la vertu de prudence, et ainsi demeurer légalement unis à Rome par la lettre, car nous le sommes par la réalité et l'esprit ?
• Ou faut-il avant tout préserver la famille traditionnelle pour maintenir sa cohésion et sa vigueur dans la foi et dans la grâce, considérant que le lien purement formel avec la Rome moderniste ne peut pas être mis en balance avec la protection de cette famille qui représente ce qui demeure de la véritable Eglise catholique ?
• Qu'est-ce que Dieu et la Trinité Sainte et la Vierge de Fatima demandent de nous comme réponse à cette question ?
Il est clair que quatre évêques nous fortifieront mieux qu'un seul.
La décision doit être prise dans les 48 heures.
Réfléchissez, priez, veuillez me donner votre avis, même par écrit si vous le voulez, et il me faudra, avec le secours de l'Esprit Saint et de la Vierge Marie Reine, prendre une décision.
Note : Mgr de Castro-Mayer a promis de venir pour le 30 juin, pour les consécrations épiscopales, avec trois prêtres de son diocèse.

+ Marcel LEFEBVRE

6 mai 1988

[fsspx.org] Lettre de Mgr Lefebvre au Cardinal Ratzinger

SOURCE  - Mgr Lefebvre - 6 mai 1988

Éminence,

Hier, c'est avec une réelle satisfaction que j'ai apposé ma signature au protocole élaboré les jours précédents. Mais, vous avez vous-même constaté une profonde déception à la lecture de la lettre que vous m'avez remise m'apportant la réponse du Saint Père au sujet de la consécration épiscopale.

Pratiquement reporter la consécration épiscopale à une date ultérieure non fixée, ce serait la quatrième fois que je remettrais la date de la consécration. La date du 30 juin a été bien indiquée dans mes lettres précédentes, comme la date limite.

Je vous ai remis un premier dossier concernant les candidats, il reste encore près de deux mois pour établir le mandat.

Étant donné les circonstances particulières de cette proposition le Saint Père peut très bien facilement abréger la procédure pour que le mandat nous soit communiqué à la mi-juin.

Si la réponse était négative, je me verrais, en conscience, obligé de procéder à la consécration, n'appuyant sur l'agrément donné par le Saint Siège dans le protocole pour la consécration d'un évêque membre de la Fraternité.

Les réticence exprimées au sujet de la consécration épiscopale d'un membre de la Fraternité, soit par écrit, soit de vive voix, me font légitimement craindre les délais. Tout a été désormais préparé pour la cérémonie du 30 juin, hôtels retenus, moyens de transport, location d'immenses tentes qui devraient abriter la cérémonie.

La déception de nos prêtres et de nos fidèles serait très vive. Tous souhaitent que cette consécration se réalise avec l'accord du Saint Siège, mais déjà déçus par les délais antérieurs, ils ne comprendraient pas que j'accepte un nouveau délai. Ils sont conscients et soucieux avant tout d'avoir de vrais évêques catholiques leur transmettant la vraie foi et leur communiquant d'une manière certaine, les grâces du salut auxquelles ils aspirent pour eux et pour leurs enfants.

Dans l'espoir que cette requête ne sera pas un obstacle irréductible à la réconciliation en cours, je vous prie, Éminence, d'agréer mes sentiments respectueux et fraternels in Christo et Maria.

Marcel Lefebvre

Archevêque-Évêque émérite de Tulle

5 mai 1988

Protocole d'accord du 5 mai 1988 entre le Saint Siège et la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X
Ce protocole a été établi au cours de la réunion tenue à Rome le 4 mai 1988 entre le cardinal Ratzinger et Mgr Lefebvre, et signé le 5 mai. Le protocole a ensuite été rompu par Mgr Lefebvre. [Original : français]
I - TEXTE DE LA DÉCLARATION DOCTRINALE

Moi, Marcel Lefebvre, archevêque-évêque émérite de Tulle, ainsi que les membres de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X par moi fondée :

1) Nous promettons d'être toujours fidèles à l'Église catholique et au Pontife romain, son Pasteur Suprême, Vicaire du Christ, Successeur du Bienheureux Pierre dans sa primauté et Chef du corps des évêques.

2) Nous déclarons accepter la doctrine contenue dans le n. 25 de la Constitution dogmatique Lumen Gentium du concile Vatican II sur le Magistère ecclésiastique et l'adhésion qui lui est due.

3) A propos de certains points enseignés par le concile Vatican II ou concernant les réformes postérieures de la liturgie et du droit, et qui nous paraissent difficilement conciliables avec la Tradition, nous nous engageons à avoir une attitude positive d'étude et de communication avec le Siège apostolique, en évitant toute polémique.

4) Nous déclarons en outre reconnaître la validité du Sacrifice de la messe et des sacrements célébrés avec l'intention de faire ce que fait l'Église et selon les rites indiqués dans les éditions typiques du missel romain et des rituels des sacrements promulgués par les papes Paul VI et Jean-Paul II.

5) Enfin nous promettons de respecter la discipline commune de l'Église et les lois ecclésiastiques, spécialement celles contenues dans le Code de Droit canonique promulgué par le pape Jean-Paul II, restant sauve la discipline spéciale concédée à la Fraternité par une loi particulière.


II - QUESTIONS JURIDIQUES

Tenant compte du fait que la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X a été conçue depuis 18 ans comme une société de vie commune — et à partir de l'étude des propositions formulées par S. Exc. Mgr M. Lefebvre et des conclusions de la Visite apostolique effectuée par Son Eminence le cardinal Gagnon —, la figure canonique la mieux adaptée est celle d'une Société de vie apostolique.
1. Société de vie apostolique.

C'est une solution canoniquement possible, avec l'avantage d'insérer éventuellement dans la Société cléricale de vie apostolique également des laïcs (par exemple des Frères coadjuteurs).

Selon le Code de Droit canonique promulgué en 1983, canons 731-746, cette Société jouit d'une pleine autonomie, peut former ses membres, peut incardiner les clercs, et assure la vie commune de ses membres.

Dans les statuts propres, avec flexibilité et possibilité inventive par rapport aux modèles connus de ces Sociétés de vie apostolique, on prévoit une certaine exemption par rapport aux évêques diocésains (cf. can. 591) pour ce qui concerne le culte public, la cura animarum et les autres activités apostoliques, compte tenu des canons 679-683. Quant à la juridiction à l'égard des fidèles qui s'adressent aux prêtres de la Fraternité, elle sera conférée à ceux-ci soit par les Ordinaires des lieux soit par le Siège apostolique.
2. Commission romaine.

Une commission pour coordonner les rapports avec les divers dicastères et les évêques diocésains, ainsi que pour résoudre les problèmes éventuels et les contentieux, sera constituée par les soins du Saint-Siège, et pourvue des facultés nécessaires pour traiter les questions indiquées ci-dessus (par exemple l'implantation à la demande des fidèles d'un lieu de culte là où il n'y a pas de maison de la Fraternité, ad mentem can. 383, § 2).

Cette commission serait composée d'un Président, d'un Vice-président, et de cinq membres, dont deux de la Fraternité.

Elle aurait en outre la fonction de vigilance et d'appui pour consolider l'œuvre de réconciliation et régler les questions relatives aux communautés religieuses ayant un lien juridique ou moral avec la Fraternité.
3. Conditions des personnes liées à la Fraternité.

3.1 Les membres de la Société cléricale de vie apostolique (prêtres et frères coadjuteurs laïcs) : ils sont régis par les statuts de la Société de droit pontifical.

3.2 Les oblats et les oblates, avec ou sans vœux privés, et les membres du tiers-ordre liés à la Fraternité : ils appartiennent à une association de fidèles liée à la Fraternité aux termes du canon 303, et collaborent avec elle.

3.3 Les Sœurs (c'est-à-dire la congrégation fondée par Mgr Lefebvre) qui font des vœux publics : elles constitueront un véritable institut de vie consacrée, avec sa structure et son autonomie propre, même si on peut prévoir une certaine forme de lien pour l'unité de la spiritualité avec le supérieur de la Fraternité. Cette congrégation — au moins au début — dépendrait de la commission romaine, au lieu de la Congrégation pour les religieux.

3.4 Les membres des communautés vivant selon la règle de divers instituts religieux (Carmélites, Bénédictins, Dominicains, etc.) et qui sont liés moralement à la Fraternité : il convient de leur accorder cas par cas un statut particulier réglant leurs rapports avec leur Ordre respectif.

3.5 Les prêtres qui, à titre individuel, sont liés moralement à la Fraternité, recevront un statut personnel tenant compte de leurs aspirations et en même temps des obligations découlant de leur incardination. Les autres cas particuliers du même genre seront examinés et résolus par la commission romaine.

En ce qui concerne les laïcs qui demandent l'assistance pastorale aux communautés de la Fraternité : ils demeurent soumis à la juridiction de l'évêque diocésain, mais — en raison notamment des rites liturgiques des communautés de la Fraternité — ils peuvent s'adresser à elles pour l'administration des sacrements (pour les sacrements de baptême, confirmation et mariage, demeurent nécessaires les notifications d'usage à leur propre paroisse et can. 878, 896, 1122).

Note : il y a lieu de considérer la complexité particulière :

1) de la question de la réception par les laïcs des sacrements de baptême, confirmation, mariage, dans les communautés de la Fraternité ;

2) de la question des communautés pratiquant — sans leur appartenir — la règle de tel ou tel institut religieux.

Il appartiendra à la commission romaine de résoudre ces problèmes.
4. Ordinations.

Pour les ordinations, il faut distinguer deux phases :

4.1 Dans l'immédiat : pour les ordinations prévues à brève échéance, Mgr Lefebvre serait autorisé à les conférer ou, s'il ne le pouvait, un autre évêque accepté par lui.

4.2 Une fois érigée la Société de vie apostolique

4.2-1 Autant que possible, et au jugement du supérieur général, suivre la voie normale : remettre des Lettres dimissoriales à un évêque qui accepte d'ordonner les membres de la Société.

4.2-2 En raison de la situation particulière de la Fraternité (cf. infra) ordination d'un évêque membre de la Fraternité qui, entre autres tâches, aurait aussi celle de procéder aux ordinations.
5. Problème de l'évêque.

5.1 Au niveau doctrinal (ecclésiologique), la garantie de stabilité et de maintien de la vie et de l'activité de la Fraternité est assurée par son érection en Société de vie apostolique de droit pontifical et l'approbation des Statuts par le Saint-Père.

5.2 Mais, pour des raisons pratiques et psychologiques, apparaît l'utilité de la consécration d'un évêque membre de la Fraternité. C'est pourquoi, dans le cadre de la solution doctrinale et canonique de la réconciliation, nous suggérons au Saint-Père de nommer un évêque choisi dans la Fraternité, sur présentation de Mgr Lefebvre. En conséquence du principe indiqué ci-dessus (5.1.), cet évêque n'est pas normalement supérieur général de la Fraternité. Mais il paraît opportun qu'il soit membre de la commission romaine.
6. Problèmes particuliers.

- Levée de la suspensio a divinis de Mgr Lefebvre et dispense des irrégularités encourues du fait des ordinations.

- Prévision d'une « amnistie » et d'un accord pour les maisons et les lieux de culte de la Fraternité érigés — ou utilisés — jusqu'à maintenant sans autorisation des évêques.



Joseph Cardinal Ratzinger
Mgr Marcel Lefebvre